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La voiture roulait silencieusement dans les rues désertes. À dix minutes du couvre-feu, il n’y avait plus un chat.

Dutchie stoppa finalement la grosse ambulance dans la ruelle sombre le long de l’hôpital, le capot à trois mètres de Gravenstraat, puis coupa le moteur et les phares. En face, les vieilles maisons de bois semblaient abandonnées. L’entrée principale de l’hôpital se trouvait sur leur gauche. Malko savait par Cristina que les militaires patrouillaient rarement dans le centre de la ville, et surtout pas dans ce coin, situé entre le ministère de la Police et Fort Zeelandia. Le dernier endroit où ils s’attendraient à une attaque.

Il y eut un claquement sec à l’arrière. Tonton Beretta venait de faire monter une cartouche dans la chambre de son pistolet.

Puis le silence retomba. Le premier coup de minuit, égrené par le clocher de la cathédrale, les fit tous sursauter. Ils entraient dans l’illégalité. Malko fit descendre sa glace, écouta. Rien : Pompéi après le cataclysme. Il se tourna vers Van Mook qui tenait le riot-gun dans ces grosses mains.

— Au départ, nous attaquons tous les quatre. Ensuite, divisons-nous en deux groupes. Avec Tonton, nous vous couvrirons. Vous et Éric, ouvrirez les portières et sortirez Julius Harb. C’est plus facile, puisque vous parlez hollandais. Pendant ce temps, Dutchie avancera et nous attendra dans Watermolenstraat. Ensuite, si tout se passe bien, vous et moi resterons en arrière pour neutraliser une éventuelle contre-attaque. Nous ignorons dans quel état Julius Harb va se trouver. Il est peut-être torturé ou affaibli. Ensuite, nous aurons moins de trois minutes pour nous réfugier dans le parking. Je pense qu’il faudra attendre au moins deux heures avant de déclencher la seconde partie de l’opération. Jusqu’à quelle heure Midnight Cowboy doit nous attendre ?

— Jusqu’à ce que j’arrive, fit sobrement Van Mook. Sinon, je lui coupe les oreilles.

Malko ne releva pas l’illogisme : il faudrait pour cela l’attraper.

— Et si ces cons de Fort Zeelandia interviennent ? enchaîna Van Mook avec inquiétude.

— Il leur faudra au minimum cinq minutes, dit Malko. Notre opération doit être bouclée en trois. En plus, il va y avoir une certaine pagaille. Nous ne pouvons pas tout prévoir.

Lui aussi était inquiet, malgré son apparente confiance. Cette attaque de commando était d’une audace folle, avec cette équipe de ringards peu soucieux d’héroïsme. Tout reposait sur les informations de Cristina et un postulat : aucun véhicule ne circulait durant le couvre-feu, donc celui qui allait se présenter serait obligatoirement le transfert de Julius Harb.

Malko ouvrit doucement la portière et gagna le coin de Gravenstraat. Risquant un œil, il aperçut la chaussée déserte des deux côtés.

Pas un piéton, pas un véhicule.

Très loin vers la gauche, sous la lumière crue des réverbères, il devinait, plus qu’il ne voyait, les silhouettes des sentinelles du palais présidentiel. Elles étaient trop éloignées pour être dangereuses. La température était toujours délicieuse, avec un souffle de vent.

Herbert Van Mook le rejoignit silencieusement, son riot-gun à la main.

— Vous croyez vraiment qu’on ne peut pas éviter cette connerie ? demanda-t-il à mi-voix. Et si l’on se tirait avec l’or, tous les deux, après en avoir filé un peu aux autres ? Le Brésil, c’est pas dégueulasse…

Malko ne répondit pas à cette ultime tentative et l’autre n’insista pas. Au moins, il était fixé. Cependant, tant qu’ils ne seraient pas devant la porte de la chambre forte, les autres le protégeraient comme la prunelle de leurs yeux. Ils observèrent ensemble la rue déserte un long moment, puis retournèrent vers l’ambulance. Il fallait vraiment s’en approcher très près pour voir qu’il y avait des hommes armés à l’intérieur… Un oiseau de nuit poussa un cri aigu, strident, dérangeant, comme un cri humain.

Dutchie avait les mains placées à plat sur le volant. Un peu trop calme, le regard fixe. Herbert Van Mook se tourna vers le barman :

— Va planquer.

L’autre sortit avec un M 16. La montre de bord indiquait minuit cinq. Le couvre-feu était levé à quatre heures. Il restait trois heures cinquante-cinq d’angoisse… Tout à coup, une odeur désagréable frappa les narines de Malko. Il n’était pas le seul. Van Mook interpella le chauffeur d’un ton furieux.

— Dutchie ! Nom de Dieu !

— Pardon, m’sieu Van Mook, pleurnicha le gamin, j’ai fait dans mon froc. J’ai les jetons…

Il ne manquait plus que cela ! L’odeur était si inconfortable qu’ils baissèrent toutes les glaces. Cinq minutes s’écoulèrent. Tout à coup, il y eut des pas précipités et le visage anxieux du barman se pencha à la portière de Malko.

— Il y a deux bagnoles qui arrivent ! annonça-t-il. Roulent assez vite. Elles doivent être à la hauteur du cimetière !

Le plus vieux cimetière de Paramaribo se trouvait en bordure de Gravenstraat, un kilomètre plus haut. Malko sentit son estomac se changer en plomb. Cristina avait affirmé qu’il n’y aurait qu’un véhicule ! Ou alors, était-ce une patrouille ? Comment savoir si c’était bien le transfert qu’ils attendaient ? Il avait au plus une minute pour prendre une décision.

Chapitre XIV

Malko sauta hors de l’ambulance et courut au coin de Gravenstraat. Il regarda les phares blancs qui se rapprochaient. Il y avait bien deux véhicules. Si c’était une patrouille, l’attaque se solderait par une catastrophe. Mais s’il laissait passer le convoi de Julius Harb, c’était encore pire. Se fiant à son instinct, il jeta à Herbert Van Mook :

— On y va !

Van Mook et le barman jaillirent de l’ambulance. Van Mook se retourna vers Dutchie.

— Je me mets au coin. Dès que je lève le bras, tu démarres. Tu te mets en travers de Gravenstraat et tu t’aplatis jusqu’à ce qu’on revienne. Compris ?

— Compris, balbutia le mécano dont les mains tremblaient si fort qu’il était obligé de serrer violemment le volant.

Il y avait un abîme entre tuer une femme sans défense et se trouver pris dans une fusillade. Il vit Malko et le barman courir le long du mur de l’hôpital, puis s’immobiliser dans l’ombre au coin de Gravenstraat. Il entendait les deux véhicules se rapprocher. Il concentra son attention sur Herbert Van Mook accroupi à un coin de mur, le riot-gun au poing, avec dans son sillage Tonton Beretta et le M 16 qui paraissait aussi grand que lui. Un vrai tambour de guerre battait contre ses côtes.

Malko sentit sa gorge se nouer en identifiant le premier véhicule : transport de troupes blindé à huit roues, comme celles qui avaient permis au colonel Bouterse de gagner la Révolution !

La lueur d’un réverbère éclaira le long canon d’une mitrailleuse lourde surmontant la tourelle. Ils allaient tous se faire hacher par ses projectiles. De plus, il devait se trouver six à huit hommes à l’intérieur. Le véhicule blindé avançait rapidement. Il n’était plus qu’à cent mètres, quatre-vingt, soixante…

Malko croisa le regard de Herbert Van Mook, paralysé par la stupeur. Il ne fallait surtout pas lui laisser le temps de réfléchir.

— Allez-y ! cria-t-il comme un automate.

Herbert Van Mook leva le bras. Derrière eux, le moteur de la Mercedes 600 rugit. Cette fois, Dutchie avait écrasé l’accélérateur tant il avait peur de caler.

L’ambulance, sous la puissance de ses deux cents chevaux, bondit littéralement, traversa Gravenstraat comme une fusée et son pare-chocs s’écrasa contre la véranda en bois d’une vieille maison qui vola en éclats sous le choc. Le véhicule rebondit en arrière et s’immobilisa au milieu de la chaussée, moteur calé ! Le véhicule blindé se trouvait à vingt mètres.