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— Tonton !

Tonton Beretta appuya sur la détente de son M 16. Il n’y eut qu’un tout petit bruit sec et insignifiant. Le chargeur était vide ! Instinctivement, Malko banda les muscles de son dos comme si cela avait été une protection suffisante pour arrêter une balle de fusil d’assaut tirée à cinquante mètres.

* * *

Mama Harb était accroupie dans l’ombre de la vieille maison de bois quand le petit convoi arriva à sa hauteur. Elle ignorait qu’il s’agissait de son fils. Elle avait vu l’ambulance se mettre en place le long de l’hôpital et des hommes circuler autour, mais n’avait pas osé révéler sa présence. Terrifiée, elle avait assisté à l’attaque du convoi. Quand les flammes avaient illuminé tout Gravenstraat, elle s’était dressée hors de sa cachette. Au même moment, deux soldats s’étaient réfugiés à quelques mètres d’elle, sans la voir.

Les rescapés du minibus.

Mama Harb n’avait jamais assisté à un combat et avait très peur. Mais, plus que tout, elle voulait voir son fils. Quand elle aperçut les trois hommes s’enfuir vers l’ambulance bloquée au milieu de la rue, son instinct de mère lui fit reconnaître son Julius, malgré la pénombre. Elle aurait tant voulu courir vers lui ! Seulement, les soldats étaient à quelques mètres et la tueraient sûrement.

Alors, elle demeura tapie dans son coin, regardant son fils qu’elle ne reverrait peut-être jamais s’éloigner vers la grosse ambulance. Quand il tomba, elle se dressa, muette d’horreur. Personne ne fit attention à elle. Il ne restait plus que deux soldats qui tiraient par intermittence. Un d’eux tomba en arrière, gémissant de douleur. Le dernier, quelques instants plus tard, se leva, visant l’ambulance. Mama Harb ne comprenait pas pourquoi les autres ne ripostaient pas. Son fils était déjà presque entré dans le véhicule, mais il pouvait encore être touché. Arrachant sa machette de son cabas, elle bondit vers le soldat. Ce dernier entendit du bruit, mais n’eut pas le temps de se retourner. Avec une force incroyable, Mama Harb venait d’abattre la machette sur sa nuque !

La lame acérée trancha les vertèbres cervicales comme si c’était du beurre, séparant presque la tête du corps. L’index crispé sur la détente déclencha une longue rafale qui se perdit dans le ciel, tandis que le soldat tombait à genoux, perdant son sang à gros bouillons. Mama Harb resta près de lui, son arme levée, ne sachant plus que faire.

* * *

Malko entendit le cri du soldat et le vit s’effondrer, sans entendre la moindre détonation. Il fallut la lueur de l’incendie pour qu’il aperçoive, près de l’homme tombé à terre, une silhouette humaine. Il était trop loin pour distinguer de qui il s’agissait, et ce n’était pas le moment de se poser de questions. À son tour, il se laissa tomber dans la voiture, à côté de Julius Harb. Ils étaient sur la corde raide. L’opération avait pris beaucoup trop de temps. La police militaire allait arriver d’un moment à l’autre.

— Vite, démarrez ! cria-t-il.

Herbert Van Mook était penché sur le volant.

— Cette saloperie ne part pas ! gronda-t-il.

Effectivement, le démarreur tournait sans que le moteur s’enclenche. C’était le comble. Avec la blessure de Julius Harb, il n’était pas question de s’enfuir à pied. Malko essaya de voir à travers les glaces teintées, mais ne vit que les flammes du blindé achevant de brûler.

Enfin, le moteur de la Mercedes démarra. Herbert Van Mook passa la marche arrière, le moteur rugit encore plus, l’ambulance trembla de toute sa carcasse, mais ne bougea pas d’un centimètre. Malko mit quelques secondes à comprendre ce qui se passait. Le coup avait bloqué le pare-chocs dans les débris de la maison !

— Avancez, puis reculez ! cria-t-il.

Van Mook passa en « low » et accéléra. La Mercedes s’enfonça de vingt bons centimètres dans les décombres. Aussitôt, le Hollandais passa la marche arrière. Cette fois, entraînant des débris de bois, la grosse voiture recula et Van Mook put enfin braquer et démarrer. Trente secondes plus tard, il tournait dans Watermolenstraat. Du coin de l’œil, Malko aperçut des silhouettes qui accouraient du côté du palais présidentiel.

L’ambulance dévala la rue étroite, tous phares éteints, faisant hurler ses pneus. Deux cents mètres plus loin, le Hollandais tourna à droite. Encore trente mètres et de nouveau à droite. Coup de frein, et il s’engouffra dans le parking repéré par Malko, longea la grosse maison de bois et s’immobilisa sous des claies, dans un espace invisible de la rue. Malko descendit aussitôt. La portière de la Colt garée à côté s’ouvrit. Greta Koopsie en jaillit et se précipita vers lui.

— Mon Dieu, tout va bien ?

— Presque, dit Malko. Il y a un blessé, occupez-vous-en.

Il revint sur ses pas et, dissimulé dans l’ombre de la maison, inspecta la rue. Personne. Le désert absolu. En principe, personne ne les avait vus entrer. Condition sine qua non de leur survie. Il demeura immobile dans la pénombre plusieurs minutes, entendant des bruits de véhicules dans le lointain, puis une longue rafale : des munitions qui explosaient probablement. Une lueur rouge illuminait le ciel dans la direction de Gravenstraat. Il fit demi-tour, se demandant qui lui avait sauvé la vie.

Mama Harb vit l’ambulance démarrer et appela de sa voix cassée :

— Julius ! Julius !

Bien entendu, il ne pouvait pas l’entendre. La longue Mercedes disparut dans Watermolenstraat et Mama Harb se mit à pleurer, sa machette sanglante au bout de son bras. Les craquements de l’incendie furent pendant quelques instants les seuls bruits à troubler le silence. Puis, les deux soldats survivants sautèrent du minibus et se précipitèrent vers le blindé.

Mama Harb savait que s’ils la prenaient, ils la tueraient sur place : ils avaient eu trop peur. Et puis, d’autres allaient venir. Profitant de ce qu’ils avaient le dos tourné, elle traversa en courant Gravenstraat pour s’engouffrer dans l’hôpital. Elle se heurta à plusieurs infirmiers qui avaient observé la fin de l’embuscade attirés par les coups de feu. Ils regardèrent avec stupéfaction cette vieille mama à l’expression hagarde, une machette pleine de sang à la main.

— D’où sors-tu ? demanda un des infirmiers.

Mama Harb était trop émue pour parler. Des cris venaient de la rue, les soldats n’allaient pas tarder à arriver. L’infirmier renifla quelque chose de bizarre.

Entraînant Mama Harb, il la fit pénétrer dans une salle de pansements, lui prit sa machette et fit couler de l’eau sur la lame. C’était bien du sang.

— Qu’est-ce qui s’est passé ? demanda-t-il doucement.

Mama Harb baissa d’abord la tête, sans répondre. Des vociférations éclatèrent à l’entrée de l’hôpital. Des militaires excités réclamaient du secours.

Mama Harb releva alors la tête et dit :

— Je suis Mama Harb. Ils ont voulu tuer mon fils, je l’ai défendu.

L’infirmier la fixa avec incrédulité. Les cris continuaient dehors. Il la prit par le bras et l’entraîna avec un sourire rassurant.

— Venez, Mama, on va vous mettre dans un bon lit.

* * *

Les mâchoires serrées pour ne pas hurler, Julius Harb, blanc comme un linge, tenait à deux mains le pansement qu’on lui avait fait avec des bandes et une écharpe. La balle avait pulvérisé la cheville et il avait perdu pas mal de sang. Certes, sa vie n’était pas en danger, mais s’il ne voulait pas demeurer infirme, il fallait le faire opérer rapidement. On l’avait allongé sur une des civières de l’ambulance. Les deux femmes se relayaient autour de lui attendant que la morphine administrée agisse. Malko, Van Mook et Tonton Beretta se tenaient à l’avant, leurs armes rechargées. Leur tension commençait à diminuer.