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Rachel sauta du camion et accourut, vit le corps étendu, la crosse du 32 qui dépassait de la botte et s’écria :

— Il a voulu vous tuer !

Malko secoua la tête.

— Je l’aurais abattu de toute façon. À cause de Greta.

Il était trop fatigué pour expliquer ce qui s’était passé en lui lorsqu’il avait surpris le regard du Hollandais. C’était le petit impondérable qui avait emporté sa décision. Si le Hollandais avait continué à jouer la comédie, il lui aurait peut-être accordé le bénéfice du doute, en dépit de l’horreur qu’il lui inspirait.

Il eut un geste las.

— Remontez, nous partons.

À son tour, il se hissa avec peine dans le camion et mit en marche. Le recul de l’Uzi avait réveillé ses élancements.

— Vous allez y arriver ? cria Rachel.

— Il faut bien, dit Malko.

Le camion s’ébranla. Dans le rétroviseur, le corps d’Herbert Van Mook diminua et disparut. Il se volatiliserait bien avant l’or. Malko regarda la piste : elle se gondolait devant ses yeux. Le visage boursouflé de Greta Koopsie le hantait. La douleur avait gagné son épaule, les ganglions étaient énormes sous son bras.

À chaque seconde, il pouvait tomber dans un coma mortel. Il tourna la tête et rencontra le regard anxieux de Rachel.

Chapitre XVIII

La piste semblait ne jamais devoir finir. Serré dans la main gauche de Malko, le volant se défendait comme une bête rétive, cherchant à lui échapper. Le cerveau vide, il maintenait son regard rivé sur le mince ruban de latérite rouge disputé à la jungle, essayant d’éviter les plus grosses ornières, les pièges innombrables. Heureusement, à vide, le camion était beaucoup plus maniable. Plusieurs fois déjà, il avait franchi des fondrières dans lesquelles il se serait enlisé auparavant.

Une heure et demie s’était écoulée depuis qu’ils étaient repartis. Ils avaient parcouru trente kilomètres et il en restait une dizaine d’après ses calculs. Rachel cria de l’arrière :

— Ça va ?

— Ça va, fit Malko en écho.

Son bras avait encore enflé et son coude refusait tout service. Mais surtout l’empoisonnement gagnait du terrain. Toute son épaule était engourdie, douloureuse, et il avait de brusques accès de frissons dus à une fièvre violente, qui le secouaient comme une décharge électrique. Il savait que, s’il s’arrêtait ne fût-ce que cinq minutes, il n’aurait pas la force de repartir.

Il pensa aux deux mille kilos d’or abandonnés en pleine jungle. Il aurait pu se reconstruire un château de rêve avec une telle somme. Les Hollandais avaient voulu trop bien faire. Sans ce maudit métal, l’aventure se serait à peu près bien déroulée… Malko se consola en pensant que seul l’appât du gain avait motivé un homme comme Herbert Van Mook.

La goutte de pluie qui s’écrasa sur son pare-brise lui fit l’effet d’un coup de poignard. Comme le biologiste qui découvre une cellule cancéreuse au cours d’une biopsie. De nouveau, la chance l’abandonnait…

Déjà, les gouttes tambourinaient sur le toit de la cabine. En quelques minutes, ce fut le déluge, transformant la latérite déjà glissante en véritable patinoire. Malko dut ralentir, rétrograda en seconde, tanguant d’une ornière à l’autre. Celles-ci se creusaient sous l’effet de la pluie. De nouveau, il sentit le camion avancer plus difficilement. Hélas, il n’y avait plus moyen de l’alléger. Il donna un brusque coup de volant pour ne pas plonger dans une ornière. Le Willys se mit en travers de la piste. Malko contrebraqua, vit soudain un arbre grandir dans son pare-brise. Il y eut un choc violent sur le côté gauche de la cabine. Malko ressentit une douleur atroce dans son bras infecté et il perdit connaissance d’un coup.

* * *

Le visage de Rachel, penché sur lui, lui apparut flou. Il fit un effort et sa vision se clarifia. Les grands yeux bruns très écartés de la créole étaient pleins d’angoisse.

— Vous êtes blessé ? demanda-t-elle.

Malko mit encore quelques secondes à reprendre complètement connaissance. Il éprouva une violente envie de vomir. La portière était ouverte et il était allongé de guingois sur la banquette, la tête soutenue par Rachel. Il lui sembla que le toit de la cabine n’était pas droit, mais il se trompait peut-être. Plusieurs voyants rouges étaient allumés sur le tableau de bord : le moteur avait calé. Il coupa le contact. Ne se souvenant plus de rien.

— Que s’est-il passé ? demanda-t-il.

— Vous avez heurté un arbre, dit Rachel, puis le camion s’est arrêté tout seul. Ce n’est rien.

Malko se redressa. La douleur dans son bras était insupportable. Atroce. Il se remit tant bien que mal au volant. Le camion était de travers, la roue avant gauche enfoncée dans une profonde ornière. La pluie avait un tout petit peu diminué, mais formait encore un rideau gris devant lui. Il remit le contact, passa la première. Le moteur rugit, le Willys trembla de tous ses rivets, mais ne bougea pas d’un centimètre. Angoissé, Malko débraya et descendit à terre. Un seul coup d’œil l’édifia. La roue avant gauche avait heurté l’arbre et le moyeu s’était cassé net. Pas question de repartir.

Malko regarda le désastre, envahi par le découragement. Jamais ils n’attraperaient l’avion. Rachel l’avait rejoint et contemplait les dégâts. En quelques secondes, ils furent à tordre sous l’averse tropicale qui continuait avec violence. L’eau ruisselant sur son bras enflé, à la peau tendue à craquer, lui semblait de l’acide.

Pataugeant dans la boue rougeâtre, ils allèrent s’abriter sous la bâche. Julius Harb gémissait doucement sur sa civière. Malko consulta sa montre. Quatre heures cinq. Il restait deux heures avant la nuit.

Il était hors de question de transporter la civière de Julius Harb. Donc, il ne restait qu’une solution.

— Vous allez rester ici, dit Malko, je vais essayer d’atteindre à pied le terrain.

Julius Harb ouvrit les yeux.

— Allez-y tous les deux. Je peux rester seul. Sinon, vous n’y arriverez pas. Et, si l’avion n’est pas là, il faudra parler avec les bush-negros. Ils ne comprennent que le taki-taki.

Rachel regarda Malko :

— Il a raison, vous ne vous êtes pas vu…

En tout cas, il se sentait. Par moments, il claquait des dents comme sous l’effet d’une crise de malaria.

— Bon, dit-il, allons-y.

Ils partirent tous les deux, sans même une arme, marchant comme des robots, glissant sur le sol spongieux, aveuglés par la pluie violente. Malko avait l’impression d’être un zombi. La pluie cessa, aussi brusquement qu’elle avait commencé, et, d’abord, ce fut un soulagement. Qui se transforma vite pour Malko en torture ! Dans le camion son bras enflé avait été à l’abri du soleil. Maintenant, c’était une brûlure permanente, inhumaine.

Il essaya de marcher à l’ombre des bas-côtés, mais des branches le fouettèrent, lui arrachant des cris de douleur. Rachel était devant, se retournant sans cesse. Soudain, elle s’arrêta et Malko la rejoignit.

Ils se trouvaient devant un problème totalement imprévu. Devant eux, la piste se divisait en deux ! D’après le soleil, une branche allait vers le nord, l’autre vers le sud. Mais laquelle menait au terrain d’aviation ? Il n’y avait aucune trace sur la carte de cette bifurcation.