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Les deux embranchements de la piste étaient d’importance égale. Ils écoutèrent : aucun bruit qui puisse les guider, seulement quelques cris d’oiseaux et le bruissement des insectes. Les arbres immenses de la jungle et l’enchevêtrement de la végétation empêchaient de distinguer quoi que ce soit à plus de quelques mètres.

— Je vais à droite, dit Malko, prenez la gauche. Si dans deux heures, vous n’avez rien vu, revenez sur vos pas, c’est que la piste est mauvaise.

Il se lança sur sa piste sans attendre, et très vite perdit Rachel de vue. La latérite lui sembla encore plus glissante. Il fit un faux pas et tomba, une douleur aiguë dans la cheville. Ce n’était rien et il put se relever et repartir. Avec une pensée désagréable. Une mauvaise chute et il risquait de mourir d’épuisement et d’infection.

On pouvait crier dans la jungle, il n’y avait personne pour vous entendre. Sauf les serpents, les jaguars et les tarentules à la piqûre mortelle.

La piste était en pente douce, ce qui aidait sa marche. Mais elle devenait de plus en plus étroite. Soudain, il n’y eut plus de piste ! Malko essaya bien de continuer, mais il enfonçait dans un sol meuble qui n’avait jamais été débroussaillé. Il avait pris le mauvais embranchement. La mort dans l’âme, il fit demi-tour. Mais, cette fois, la pente était contre lui…

* * *

Le pilote du Xingu se pencha pour la dixième fois sur sa carte, jurant entre ses dents. Son voisin, le visage collé aux glaces du cockpit, scrutait anxieusement le tapis vert au-dessous d’eux. La forêt tropicale sans la moindre trouée. Ils furent secoués en passant à travers un cumulus et il dut reprendre le pilote automatique. Puis le pilote leva la tête de ses instruments.

— Il faut repartir sur le Maroni et reprendre la Tapanahoni. Nous sommes trop au nord.

Depuis une heure, ils tournaient en rond à mille pieds, montant parfois un peu plus haut pour se repérer. Partant du terrain près de Talima, ils s’étaient dirigés plein nord jusqu’à couper la rivière Tapanahoni puis ils l’avaient perdue ! Ils devaient se trouver entre le lac Van Blommestein et la rivière.

Le pilote inclina le Xingu et ils repartirent plein est. Heureusement que l’appareil avait une autonomie suffisante. Volant très bas pour échapper à la surveillance radar de la Guyane française, ils consommaient plus. Le pilote fit un rapide calcul.

— Si nous ne trouvons pas le terrain avant une heure, il faut faire demi-tour, annonça-t-il. Sinon, nous serons obligés de passer la nuit à Drietabbetje.

Cari Lelyval, le représentant des Services hollandais, ne répondit pas, pensant à ceux qui devaient les attendre quelque part dans cette jungle immense.

Le contre-ordre avait été transmis juste à temps et les Brésiliens avaient failli dire « non » ne connaissant pas le terrain de Drietabbetje. Grâce à la « station » de Paramaribo, ils savaient que l’attaque avait bien eu lieu, mais tout le monde ignorait ce qui était arrivé ensuite. La junte n’avait pas parlé de l’évasion de Julius Harb, mais seulement d’une attaque de mercenaires. Ils allaient connaître la vérité.

Le Xingu brésilien ne portait aucune immatriculation, eux n’avaient pas de papiers. S’ils tombaient au milieu de la forêt, personne ne les trouverait jamais et, si c’était dans une région civilisée, on aurait du mal à les identifier. Le pilote, Joâo Santos, monta à trois mille pieds pour économiser son essence.

Un quart d’heure plus tard, le ruban jaunâtre et sinueux du Maroni apparut en dessous d’eux. La frontière entre les deux Guyanes, encaissé entre deux murailles vertes, coupé de rapides. Le Xingu vira, revenant vers le sud et descendit à cinq cents pieds. Les seuls qui pouvaient les apercevoir étaient les bush-negros et quelques Indiens « transistors ». Les gros bateaux ne pouvaient pas remonter le Maroni si haut, à cause des rapides. Il fallait porter les pirogues à bout de bras, après avoir ôté les moteurs hors-bord. Un vol de perroquets les croisa, au-dessus d’eux. Seul signe de vie. Cette jungle semblait morte.

— La Tapanahoni ! cria soudain Cari Lelyval.

En bas, un filet marron se greffait sur le Maroni, filant vers le sud-ouest. Ils se mirent à voler carrément au-dessus de l’eau. Quelques minutes plus tard, des carbets d’Indiens bâtis en bordure de la rivière, défilèrent à toute vitesse sous leurs ailes. Sur leur droite, la jungle moutonnait en grosses collines, comme un énorme furoncle vert.

— C’est le Lelygebergte ! cria le pilote navigateur, nous ne sommes pas loin.

Il y avait de plus en plus de carbets le long du fleuve. La carte indiquait une mine de manganèse, loin de la Tapanahoni.

Le Xingu vira légèrement pour suivre les méandres du fleuve. Celui-ci s’élargissait brusquement, puis ses berges se rapprochaient en une faille où bouillonnait une eau jaunâtre.

— Voilà les rapides de Graholosoela ! cria de nouveau Cari Lelyval, qui avait pris la carte. Virez à droite de 90°.

— Le terrain de Drietabbetje devrait se trouver entre la rivière et les collines.

Ils descendirent encore, volant au ras de la cime des arbres, aperçurent un Indien qui leur faisait de grands signes, puis le pilote remonta et commença à grimper en spirale, inspectant la jungle.

— Là-bas, annonça Cari Lelyval. Devant, sur notre droite.

Le pilote se dirigea vers l’endroit indiqué. Une minute plus tard, ils passaient au-dessus d’une bande défrichée de quatre cents mètres de long environ, conquise sur la jungle : la piste d’atterrissage de Drietabbetje. Une minuscule cabane en bois se dressait en bordure et il n’y avait personne en vue. Joâo Santos vira et refit un passage. La piste herbeuse semblait praticable. Un sentier assez visible descendait vers la Tapanahoni et le village, en amont des rapides.

— On peut se poser ? demanda Cari Lelyval.

— Je vais essayer, dit Joâo Santos.

Il fit son tour et revint, volets baissés, hélice au petit pas. Avec ce genre de terrain, on pouvait s’attendre à tout. Les roues touchèrent l’herbe et le Xingu se mit à rouler sans trop de cahots. Il fallut moins de deux cents mètres pour l’arrêter totalement. Au moteur, le pilote revint sur la cabane. Arrivé en face, il coupa les gaz et le silence se fit.

Les deux hommes sautèrent à terre. La chaleur était étouffante, des millions d’insectes les entourèrent aussitôt.

Le pilote jeta un regard inquiet en direction du sentier.

— On risque de recevoir la visite des bush-negros, remarqua-t-il. Qu’est-ce qu’on leur dit ?

Cari Lelyval écrasa un moustique sur son avant-bras.

— Rien, ils s’en foutent. On leur donnera des cigarettes.

Dans l’appareil, ils avaient des carabines, quelques grenades et chacun un pistolet. Ils se trouvaient dans un territoire d’un pays hostile, sans la moindre autorisation, ayant observé le silence radio absolu depuis le début de leur vol. Seuls, les radars de Kourou, en Guyane française, les avaient peut-être repérés.

Cari Lelyval regarda le soleil déjà très bas sur l’horizon. Dans une demi-heure, ils seraient obligés de redécoller. Pourquoi ceux qu’ils étaient venus chercher n’étaient-ils pas là ? Il savait que les Brésiliens ne mettraient pas une seconde fois le Xingu à leur disposition. Trop de risques de complications diplomatiques. Il scruta la jungle autour de lui. Mais où étaient-ils donc ?

Tant de choses avaient pu se passer depuis la veille. Ils étaient restés à l’écoute de la radio surinamienne, sans rien glaner d’intéressant. Peut-être que ceux qu’ils attendaient se trouvaient toujours coincés à Paramaribo. Ils auraient dû être là depuis trois heures au moins, d’après les calculs de Lelyval. Donc, quelque chose était arrivé. Joâo Santos poussa un juron furieux. Un scolopendre venait de se laisser tomber sur son bras nu. Le temps qu’il l’écarté, les pattes de l’insecte avaient marqué sa peau d’une série de traces urticantes.