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A peine eus-je évoqué ma fille que la musique baissa d’intensité. Les cerceaux de feu pâlirent, s’éloignèrent.

J’essayai de mieux appliquer le cube sur ma tempe, mais la musique se tut. Je reposai le cristal sur la table.

— Alors, l’inforia, ça vous plaît ? s’enquit mon voisin.

Celui-ci apprécia à sa façon les sons inarticulés que je prononçai. Je n’étais encore pas remis de tout ce qui venait de se produire.

— Pas fraîche, n’est-ce pas ? dit-il avec compassion. Vous savez, ce n’est pas la capitale… Mais goûtez ceci, fit mon voisin en montrant un œuf coulé dans du métal léger ressemblant à de l’aluminium.

— Qu’est-ce que c’est ?

— De l’information sur les étoiles instables !

Mon mets préféré, dit l’homme en souriant.

Repu d’information, je sortis. La ville lilliputienne scintillait déjà dans l’obscurité. Le sentiment d’avoir déjà vu cette ville sortie d’un conte de fées ne me quittait pas. Mais où ? Dans un livre lu avec ma fille ? Au cinéma ? J’interrogeai ma mémoire, mais en vain.

En marchant précautionneusement dans les rues, je regardais — je l’avoue — à l’intérieur des maisons. Je voulais savoir de quoi vivaient ces gens, ce qui constituait le sens de leur existence. Pourquoi l’information ou, comme ils disaient, l’inforia était le principal sujet de leurs conversations.

Dans les fenêtres je voyais déjà un tableau familier. Une personne assise, tenant un cube ou une boule appliqué sur la tempe, le visage concentré, comme privé d’expression. Ma fille a cette physionomie lorsque je lui narre un conte captivant.

J’avais déjà deviné que les petits objets à la forme géométrique régulière étaient des blocs d’information. L’institut dans lequel je travaillais planchait depuis plusieurs années sur la création de blocs portatifs pouvant enregistrer différents renseignements. Vous vous rendez compte de l’utilité de la chose pour les cosmonautes ? Au lieu de centaines de lourds volumes d’encyclopédies quelconques il leur suffira d’emporter dans leurs vols lointains, où chaque gramme de poids superflu est comptabilisé, une petite boule ou un petit cube de ce genre. Et puis sur la Terre aussi ces blocs trouveraient application. Notre institut est en passe d’aboutir, sem-ble-t-il… Mais j’ai l’impression que le peuple de lilliputiens l’a devancé.

Non, ces créatures ne sont pas des gens, pensai-je, même si extérieurement elles leurs ressemblent. L’homme peut-il vivre de la seule information, aussi intéressante et diversifiée soit-elle ?

Je prêtai attention aux slogans tracés en lettres lumineuses qui se détachaient dans le ciel nocturne : « Produisons davantage d’inforia », « Toute l’inforia doit être de qualité supérieure ! » et autres clichés de la même veine.

Les piétons se faisaient plus rares. L’information que j’avais ingurgitée au repas me bourdonnait dans la tête. Il fallait absolument que je tire les choses au clair. Si je raconte ça aux amis, ils ne me croiront pas. Les collègues du service ricaneront. C’est pourtant la vérité ! Me voici à un carrefour animé, des passants pressés me bousculent. Ma montre émet son tic-tac habituel. Il est vingt heures trente, la nuit tombe plus tôt en automne. Je me pince. La douleur est bien réelle.

Peut-être des extraterrestres ? Non, c’est absurde. Comme ça, à la vue de tous et à deux pas de la station ? Et personne ne les aurait remarqués excepté moi ? Ensuite, cette ville n’est probablement pas leur seule colonie. Ils ont à plusieurs reprises parlé de la capitale. Il y aurait donc ici, entre la forêt et la voie ferrée, tout un pays ? Un pays baptisé Inforia et qui ne figure pas sur la carte ?

Un homme — croyez-moi, il m’était impossible de les appeler autrement tant ils ressemblaient aux gens malgré leur gabarit réduit — venait à ma rencontre sans se presser. Il était âgé et semblait assagi par l’existence. C’est la personne qu’il me fallait.

Qu’elle m’explique enfin dans quel monde je me trouve.

Je me penchai et pris le vieillard par le bras.

— Je vous demande pardon, je voudrais m’entretenir avec vous, dis-je.

Le vieillard ne sembla pas étonné.

— Pourquoi donc, échangeons de l’inforia, répondit-il.

— Inforia, inforia, je n’entends parler que de cela, grommelai-je. Vous n’avez vraiment pas d’autres sujets de conversation ?

— Qui aurait-il de plus important au monde que l’inforia ? objecta le vieillard.

Nous arrivâmes devant une clairière éclairée par la pleine lune. L’herbe droite arrivait presque au menton de mon interlocuteur.

— Remarquable inforia, dit-il en caressant une tige. Regardant de plus près, je compris que c’était non pas de l’herbe, mais des rubans pareils à ceux que la première personne que j’avais rencontrée jetait dans le feu. Mais ceux-ci étaient verts et non pas jaunis et flétris.

Les rubans bruissaient sous l’effet du vent, comme me murmurant une information insolite.

Les reflets de lune glissaient sur le visage du vieillard lorsqu’il tournait la tête.

— Ces rubans, qu’est-ce que c’est ? demandai-je.

— Des bandes perforées ordinaires.

— De l’information y est donc enregistrée ?

— Bien sûr.

— Mais laquelle ?

— De l’information variée, dit le vieillard en haussant les épaules. Il arracha un brin d’herbe — pardon, un ruban — et le goûta.

— Il est bon ? demandai-je bêtement.

— Déjà mûr, répondit le vieillard avec sérieux. Le moment est venu de faucher.

— Et après, qu’en ferez-vous ?

— Du fourrage pour les vaches, cela va de soi.

— Des vaches… de l’information ? dis-je, décontenancé.

— Et quoi encore ? Seulement il faut faucher juste au moment où l’inforia est mûre. Au moindre retard, l’information s’égrène. Ces rubans ne servent alors plus à rien.

— Vous les jetez ?

— Nous les brûlons.

— Écoutez, dis-je. Je n’arrive pas à comprendre. Chez vous les gens vivent d’information, les animaux aussi. Mais qu’en est-il de la véritable nourriture ?

— L’inforia est précisément la seule nourriture véritable, répondit le vieillard. Jugez vous-même : tout, dans ce monde, ne se réduit-il pas à l’information ?

Maintenant nous avancions dans une ruelle tranquille, faiblement éclairée et couverte de plantes que je ne connaissais pas. J’étais sur mes gardes : dans chaque buisson je voyais une boîte à information, dans chaque arbre, un bloc d’information.

— Dites-moi, enfin, explosai-je, quelle est donc cette information que vous ne cessez de traiter ? De l’information, cela doit absolument parler de quelque chose ! Alors ?

— N’est-ce pas égal ? dit l’étrange vieillard. Est-ce qu’une machine s’interroge quant à la source de l’énergie qui l’alimente ? Non. La machine se moque bien de ce qui brûle dans son foyer, de ce qui la met en action : du charbon, du bois ou encore la synthèse thermonucléaire. La machine, ce qu’elle veut, ce sont des calories, tout le reste lui est indifférent.

— Un combustible peut s’avérer inadapté, bredouillai-je finalement, décontenancé par l’étonnante logique de mon interlocuteur.

— Nous y venons, se réjouit le vieillard. Vous avez saisi le fond. C’est la même chose avec l’information. Elle aussi peut être inadaptée à l’homme.

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