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Surtout qu’ils devaient gérer leurs propres crises post-Spin. Les Hypothétiques avaient aussi installé un Arc sur Mars. Il se dressait au-dessus du désert équatorial et s’ouvrait sur une petite planète rocheuse similaire, hospitalière mais inhabitée, en orbite autour d’une étoile distante.

Les communications entre la Terre et Mars s’étaient réduites à un petit flot de pure forme.

Et il n’y avait plus aucun Martien sur Terre. Tous étaient repartis après leur mission diplomatique. Lise n’avait jamais entendu dire autre chose.

Alors comment Sulean Moï pouvait-elle être martienne ?

« Elle ne ressemble même pas à un Martien », protesta Lise. Les Martiens mesuraient au maximum de 1,20 m à 1,50 m et avaient des rides profondes sur la peau, comme des sillons. Sulean Moï, sur le cliché original pris dans la maison de son père à Port Magellan, était ordinairement petite et pas spécialement ridée.

« Sulean Moï a une histoire particulière, répliqua Diane. Comme vous pouvez l’imaginer. Une boisson fraîche ? Pour ma part, ce ne serait pas de refus… j’ai la gorge un peu sèche.

— Je vais en chercher, intervint Turk.

— Très bien. Merci. Quant à Sulean Moï… je crains de devoir commencer par vous parler de moi avant de pouvoir vous expliquer. » Elle hésita et ferma un instant les yeux. « Mon mari était Tyler Dupree. Je suis la sœur de Jason Lawton. »

Lise mit quelques instants à reconnaître ces noms. C’étaient des noms de livres d’histoire, des noms de l’époque du Spin. Jason Lawton avait participé à l’ensemencement des déserts stériles de Mars et initié les lancements de réplicateurs, c’était à Jason Lawton que Wun Ngo Wen avait confié son assortiment de médicaments martiens. C’était lui qui avait défié le gouvernement américain en distribuant ceux-ci, ainsi que les techniques pour les reproduire, au sein d’un groupe dispersé d’universitaires et de scientifiques devenus de ce fait les premiers Quatrièmes terriens.

Et Tyler Dupree, si elle se souvenait bien, avait été le médecin personnel de Jason Lawton.

« Est-ce possible ? chuchota Lise.

— Je n’essaie pas de vous impressionner avec mon âge, répondit Diane. Juste d’établir mes références. Bien entendu, je suis une Quatrième, et je fais partie de cette communauté depuis sa création. C’est pour cette raison que Sulean Moï est venue me trouver, il y a quelques mois.

— Mais… si elle est martienne, comment est-elle arrivée ici ? Pourquoi ne ressemble-t-elle pas aux Martiens ?

— Elle est née sur Mars. Toute petite, elle a failli mourir dans une inondation catastrophique… elle a été blessée, avec entre autres une nécrose des tissus cérébraux uniquement soignable par une reconstruction radicale avec les mêmes médicaments que ceux prolongeant la vie. Administré à un si jeune âge, le traitement a un effet secondaire assez extrême : une sorte de récidivisme génétique. Elle n’a jamais eu ces rides qui apparaissent à la puberté chez la plupart des Martiens et a continué à grandir après l’arrêt ordinaire de leur croissance. Ce qui lui a presque donné l’air d’une Terrienne… une régression, de leur point de vue, vers ses premiers ancêtres. Comme elle avait perdu la plus grande partie de sa famille proche et qu’on la considérait d’une difformité grotesque, elle a été élevée par une communauté d’ascètes Quatrièmes Âges. Ils lui ont donné une éducation irréprochable, au moins. Elle était fascinée par la Terre, sans doute à cause de son apparence, et elle s’est lancée dans ce que nous appellerions des “études terriennes”. Je n’ai aucune idée du nom que leur donnent les Martiens.

— Une spécialiste de la Terre, comprit Lise.

— C’est pour ça que, plus tard, on l’a choisie pour faire partie de la légation martienne.

— Dans ce cas, on aurait dû voir sa photo partout.

— On l’a gardée à l’écart de la presse. Son existence était un secret soigneusement caché. Vous comprenez pourquoi ?

— Eh bien… si elle ressemblait tant à un Terrien…

— Elle pouvait passer inaperçue dans la foule et elle avait appris au moins trois langues terrestres qu’elle parlait à la perfection.

— Vous voulez dire que c’était une espionne ?

— Pas tout à fait. Les Martiens savaient qu’il existait des Quatrièmes sur Terre. Sulean Moï était leur mission diplomatique auprès de nous. »

Turk leur tendit des verres d’eau glacée. Lise but avec avidité : elle avait la gorge sèche.

« Et quand les Martiens sont repartis, continua Diane, Sulean Moï a choisi de rester. Elle a échangé sa place avec une femme, une Quatrième terrienne qui lui ressemblait. Lorsque la légation est rentrée sur Mars, cette femme l’a accompagnée… notre propre ambassadrice secrète, en quelque sorte.

— Pourquoi Sulean Moï est-elle restée ?

— Parce que ce qu’elle a découvert ici l’a scandalisée. Sur Mars, bien entendu, les Quatrièmes existent depuis des siècles et sont soumis à des lois et institutions qui n’existent pas sur Terre. Les Quatrièmes martiens achètent leur longévité par divers compromis. Ils ne se reproduisent pas, par exemple, et ils ne participent pas au gouvernement, à part comme observateurs et arbitres. Tandis que nous, nos Quatrièmes sont des hors-la-loi… à la fois en danger et potentiellement dangereux. Elle espérait apporter la formalité martienne à ce chaos.

— Elle a échoué, si je comprends bien.

— Disons qu’elle a rencontré un succès mitigé. Il y a Quatrièmes et Quatrièmes. Ceux d’entre nous favorables à ses objectifs l’ont financée et encouragée au fil des ans. D’autres n’apprécient pas qu’elles se mêlent de leurs affaires.

— Quelles affaires ?

— Leur tentative de créer un être humain capable de communiquer avec les Hypothétiques. »

« Je sais que ça a l’air grotesque, dit Diane Dupree. Mais c’est vrai. » Elle ajouta d’une voix plus sombre : « C’est ce qui a tué mon frère Jason. »

Ce qui rend ses dires incontestables, songea Lise, c’est son évidente sincérité. Et aussi le vent qui secoue les stores, le bruit humain des villageois vaquant à leurs occupations, le chien en train d’aboyer pour rien au loin, et Turk qui boit à petites gorgées son eau glacée comme si tout cela était pour lui de l’histoire ancienne.

« Jason Lawton est mort de cette manière ? » Dans les livres qu’avait lus Lise, il avait trouvé la mort dans l’anarchie des derniers jours du Spin. La panique avait fait des centaines de milliers de victimes.

« Le processus, expliqua calmement Diane, est mortel chez un adulte. Il reconstruit la plus grande partie du système nerveux qu’il rend sensible aux manipulations pratiquées ensuite par les intelligences réparties en réseau des Hypothétiques. Il y a… eh bien, une espèce de communication peut avoir lieu. Mais elle tue le communicant. En théorie, la procédure pourrait être plus stable appliquée à un fœtus humain in vivo. À un enfant encore dans le ventre de sa mère.

— Mais ce serait…

— Indéfendable, compléta Diane. Moralement et éthiquement monstrueux. La tentation est cependant énorme pour une faction de notre communauté. Elle offre la possibilité de comprendre vraiment le mystère des Hypothétiques, ce qu’ils veulent de nous et la raison pour laquelle ils ont fait ce qu’ils ont fait. Et peut-être encore davantage, pas seulement la communication, mais une espèce de communion. De mélange entre l’humain et le divin, si je peux utiliser ces mots.