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— Pardon ? s’étrangle l'Incriminé.

— Eh oui, Gros, essayé-je de l'apaiser, je ne puis collaborer à une enquête que j'ai officiellement refusée, admets-le ! Or, si tu entendais mes questions et les réponses qui leur seront faites, fatalement tu bénéficierais de ma technique policière.

Le pauvre Béru lance un cri prolongé qui évoque : le cri de l'automobiliste s'engageant sur un passage à niveau qui aurait dû être fermé, le miaulement du vent dans une cheminée médiévale, le brusque freinage d'un tramway dans une descente, la corne de brume d'un steamer et l'appel de l'alpiniste tombé dans une crevasse sans son pot de glycérine.

— Qu’ouïs-je ! bavoche l'Infâme. Après que je vinsse de te tirer de la mouscaille, c'est tout le remerciement ! je trouve môssieur saucissonné, échaudé, bricolé de partout, j'y sauve la mise comme toujours, et il vient me parler de quoi t'est-ce ? De sa technique policière dont au sujet de laquelle y aurait plutôt de quoi se frapper sur les jambons ! Ah ! elle est bath, ta technique policière, eh, fesse de rat ! Une technique qui t'amène le c… dans un lavoir avec les pattes en l'air, moi je la trouve meûmeû ! Ah ! la vache ! il craint pas les coups de pompe dans les chevilles ! Quand je vais leur raconter ça, aux aminches de la maison Pouleman, ils en prendront la colique de rire. San-A. avec son gentil robinet d'eau chaude, je regrette de ne point avoir eu de polard-ovide pour te tirer un instant tanné. Heureusement que la vanité n'est pas un poisson volant, je veux dire un poison violent, autrement sinon tu tomberais raide comme dans les pièces de Chat-qu'expire.

Epoumoné, il se tait. Je lui frappe sur l'épaule.

— Très bien parlé, Gros. Cela dit, tu vas nous excuser un moment et tenir compagnie à Mlle Carole pendant que je bavarderai avec nos amis.

Mon calme souriant le finit. Il s'abat dans un fauteuil et, désignant une bouteille de xérès sur une table basse, il murmure à l'adresse de la fille Vosgien :

— Si vous permettriez, je me mouillerais un peu la meule, car des coups pareils. ça vous met moral en torche.

Valéry et miss Staube me conduisent dans un bureau contigu au grand salon. Au mur, il y a des vues en couleur de Paris, plus une photographie représentant, grandeur nature, les généraux Jailair, Dunsal, Conju, Rératet dans leur beau costume des dimanches. Ces nobles figures constituent le fer de lance de la doctrine vosgienne. C'est l'imagerie épinalesque sur laquelle s'appuie l'action des comploteurs. La fresque des martyrs sans lesquels aucune cause n'est prise au sérieux bien longtemps.

Je m'assoie derrière le bureau, dans le fauteuil que devait occuper Vosgien. Mes interlocuteurs restent debout devant moi : Je leur souris.

— Vous êtes un peu déconnectés par votre existence de proscrits, leur dis-je doucement. Se placer en marge de sa société originelle n'est exaltant qu'un moment ; on fait figure de héros, mais pas longtemps. Tout le monde se fout de tout le monde. L'intérêt ne dure que le temps d'un article dans France-Soir. Si je vous disais qu'en France, Vosgien est pratiquement oublié, sauf par les services de sécurité ? Vous avez été fidèles l'un et l'autre à un homme ou à sa doctrine, peut-être aux deux, seulement, vous sentez que, dans le fond l’idéal n'est pas dans la politique, mais dans la vie quotidienne…

Je leur montre une photo représentant les quais de la Seine à la auteur du Pont-Neuf. Chromo classique qui, depuis un demi-siècle illustre la plupart des guides sur Paname.

— Avouez que vous aimeriez vous trouver à Paris en ce moment ? Et pas seulement en triomphateurs.

Je ne sais pas au juste pourquoi je leur parle ainsi. Ça m'est venu spontanément, parce qu'ils me font un peu pitié. La vieille fille fronce les narines, mais son regard reste hostile. Je ne la touche pas, je l'irrite. Valéry, au contraire a un peu rosi et je distingue une légère buée derrière ses lunettes.

Avisant un électrophone je m'en approche pour lire le titre du disque engagé sur le plateau. C'est un vieux succès d'Yves Montand, paroles et musique de Francis Lemarque, et ça s'intitule A Paris. Je suis content de voir que j’ai visé juste et mis le doigt à l'endroit où ils ont mal. Ils doivent écouter ça comme un hymne de leur passé et chialer à l'intérieur… Je lance un clin d'œil à Valéry. Cette musique de mon copain Francis est propre à désamorcer des bombes.

C'est drôle, un homme…

Les morsures de la sale chienne, me cuisent horriblement. J'espère que ça ne va pas s'envenimer sous les tropiques !

— Une dernière fois, je vous donne ma parole d’honneur que ce n’est pas la police française qui a enlevé Vosgien. Ce que je vous ai dit à propos de l'homme qui m'a engagé est vrai. Je conçois que ça vous paraisse bizarroïde, à vous aussi, et pourtant c'est rigoureusement authentique.

Je leur fais une minutieuse description de Machinchouette, mais ils ne voient pas qui c'est.

— Enfin, sapristi ! m'écrié-je, on m’a refilé des billets d'avion et une brique d'anciens francs pour venir ici. Il y a bien une raison, non ?

Valéry hoche la tête.

— Nous ne connaissons pas tous nos sympathisants de France, dit-il. Il se peut qu'un groupe de Paris ait pris cette initiative à notre insu.

Je pourrais câbler au Vieux, notez, lui réclamer des précisions sur le sieur Machinchouette ; seulement, le Boss apprendrait par la même occasion que je me trouve au Brésil, et il n'apprécierait pas du tout que son cheval de bataille number one dispute le grand prix sous d'autres couleurs que les siennes. Heureusement que je tiens le Gros avec l'histoire de sa souris qu'il a amenée en lieu et place de Pinuche, sinon Sa Majesté me causerait de graves déboires professionnels au retour.

— Comment Vosgien vivait-il, ici ? demandé-je en examinant le bureau d'un regard circulaire.

— Il travaillait beaucoup ! assure la mère Staube.

— A quoi ?

— A son courrier et à un livre très important.

Je réprime un sourire. Les livres sont toujours « très importants » au moment où on les écrit. Une fois publiés, ils se perdent dans le flot de papier qui ruisselle quotidiennement sur le monde.

— Un livre de caractère doctrinal ?

— Un livre, quand il est à l'état de manuscrit, ne regarde que son auteur ! coupe Pépette, avec hargne.

— Il est ici, ce manuscrit ?

— Oui, dans le coffre ! annonce la dame d'un ton bravache, mais ne comptez pas que nous vous le communiquions.

— Vous demandé-je rien de semblable, mademoiselle ?

— Je connais les méthodes policières…

Un haussement d'épaules me paraît une appréciation suffisante et j’enchaîne :

— Son courrier était abondant ?

Ils se taisent farouchement. Je n'obtiendrai pas grand-chose d'eux. Ils sont trop sur le qui-vive et depuis trop longtemps. Tout leur individu se trouve en position de défense.

— Comprenez-moi bien, insisté-je, je ne veux rien savoir des activités politiques de Vosgien. Ce qui m'intéresse, c'est son comportement d’homme dans la vie quotidienne. Je le considère comme un simple citoyen qui a disparu et que j'ai entrepris de retrouver.

« Il sortait beaucoup ? enchaîné-je.

— Il faisait une promenade le matin, en compagnie d'Albert et de la chienne. Quelquefois je les escortais, dit Valéry.

— Où allait-il ?

— Dans la forêt voisine. Il aimait marcher à travers cette flore tropicale. Il cueillait des bananes ou attrapait des papillons.