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— Ecoute, Gros, quand un prisonnier veut jouer la belle, il ne dispose que de deux procédés : ou bien il scie ses barreaux, ou bien il estourbit son gardien. Comme ici les barreaux de la grille sont gros comme mon bras et que nous ne disposons d'aucun outil, on doit se rabattre sur la seconde solution.

Il m'écoute en branlant le chef.

— Le hic, dit-il, c'est de faire entrer les gardiens ! On pourrait gueuler au secours ; dire que je m'ai empoisonné avec des champignons ténébreux ou autre, mais je doute que ça prisse !

— J’ai une bien meilleure idée, coupé-je.

— J'ouïs.

— On va se suicider, mon pote ! Ils nous ont laissé nos cravates. On va faire semblant de s'être étranglés. On s'attache par le corniolon à un barreau et, quand ils rentreront, on prendra des postures de macchabes. On ne bouge plus, les yeux révulsés, la bouche grande ouverte. Ils finiront bien par rentrer pour voir ce qu'il en est. Une fois la lourde débouclée, on joue son va-tout.

Béru réfléchit consciencieusement.

— Ça me paraît valable, dit-il. Seulement, suppose qu'ils ne reviennent plus nous voir avant demain ? Faudrait, mine de rien, pouvoir attirer leur intention.

— Essayons de râler, ils entendront peut-être…

Nous passons à l'exécution — si je puis dire — de ce spectacle de variétés.

— Montre un peu ! demandé-je au Gros lorsqu'il s'est accroché à son barreau.

Il se compose un faciès d'étranglé qui ferait rire un parterre d'académiciens. Ses yeux globuleux lui jaillissent de la boule en louchant. Sa langue violet et blanc pend comme un scoubidou d'âne.

— Tu l'as attachée comment, ta cravate ? fais-je en vérifiant le nœud.

— Ben, comme on doit attacher quèque chose dont avec quoi on se pend ! bougonne le Fulminant.

— Espèce de cloche ! Alors il faudra que tu dénoues ça avant de faire une prise au gardien ! Il aura mille fois le temps de se barrer et d'ameuter la garde !

Je défais sa ligature et je recompose le nœud de manière à ce qu'une simple traction suffise à le dégager du barreau. Après quoi je me mets en scène moi-même. J'essaie de prendre du recul par la pensée, de nous imaginer, vus de l'extérieur, affaissés sur nous-même, la tête tordue.

— O.K. Vagis, Béru !

Ses râles, mes amis, une splendeur. Vous assisteriez à une agonie pareille dans la vie que vous alerteriez les mecs de Cinq Colonnes à la une pour qu’ils le camérassent. C'est bruyant, sinistre, dramatique. L'éléphante en accouchant dans de mauvaises conditions, le pétrolier enroché perdant son mazout, la sourde-muette qu'on viole, le phonographe à pavillon qu'on tente de refaire marcher, oui, seuls ces gens, ces animaux et ces choses produisent des sons semblables à ceux qu'émet mon cher camarade d'infortune.

Ah ! mes fils, l'effet ne se fait point t'attendre. Au bout de trois minutes, j'entends la porte qui s'entrouvre à l'autre extrémité du couloir. Il y a des chuchotements. Puis un pas s'avance. Puis deux. Et puis les pas s'éloignent précipitamment. Et puis il y a des exclamations. Et puis ça radine en force et ça interjectionne.

Je voudrais pas anticiper sur la victoire finale, comme dirait un journaliste sportif, mais il me semble que notre spectacle fait recette. On va peut-être jouer à burlingue fermaga. Ça discutaille ferme. Je me dis que nous avons une chance d'être crus, car le chef nous prend pour des espions ; or il est fréquent (dans les romans, en tout cas) que des espions arrêtés se donnent la mort pour couper aux interrogatoires. En tout cas, si nous ne sommes pas crus, nous sommes cuits. Je sais bien que je vais rater le fauteuil de Mauriac avec des calembours aussi piètres, mais tant pis ! j'aime mieux me marrer de mes pauvretés que de me faire bicorner par des messieurs que je connais pas et dont j'ai même pas entendu causer de la plupart.

Les gus s'amènent jusqu'à la grille et nous examinent. Moi, je fais le type déjà clamsé. Béru continue ses vagissements en ayant la bonne idée de les affaiblir. Je coule un regard aussi mince qu'une lame Gillette à travers mes stores. Ils sont trois. Le chef et les deux mecs qui éclusaient du café lors de notre arrivée. Méfiant, le chef a dégainé son feu et reste dehors tandis que les deux gardes pénètrent dans la geôle. Ils ont la fameuse idée, ces crêpes, de se diviser et de venir contempler chacun de nous, ce qui nous facilite le turbin. Le numéro de haute voltige risque d'échouer du fait que le chef est dehors et qu'il lui suffit de tirer la porte et de nous tirer dessus ensuite pour contrôler (définitivement) la situation. J'espère que Graduprose a réalisé le danger ? C'est lui qui se trouve du côté de l'ouverture de la lourde. Je vois, entre la frange de mes longs cils ensorceleurs (c'est une dame qui m'a dit ça un jour) le visage métissé d'un des gardes. Mon immobilité le met en confiance. Il se penche. Malheur de sa vie ! je lui balance un coup de tatane si faramineux dans les joyaux que ce monsieur sera inapte à procréer pendant un laps de temps illimité. Il va pouvoir se placer Coquette sous scellée afin que personne n'y touche ! Il bascule en hurlant et en vomissant, ce qui est du plus pathétique effet. De son côté, Béru n'a pas perdu de temps puisqu'il ceinture son propre client, tout en mettant un panard dans la porte que le singe au front bombé a le réflexe de vouloir fermer. Le chef tire à deux mains, ce qui neutralise son revolver. Je libère le Gros de son antagoniste en plaçant à ce dernier une manchette sur la nuque. Après quoi, j'arrache la porte, amenant à l'intérieur du cachot l'homme qui s'y cramponnait. Ce connard veut alors se servir de sa rapière, mais Béru lui porte une clé au bras et les balles de l'automatique vont écailler le plaftard. D'un coup de boule dans le pif, je le mets groggy. Le tout n'a pas duré vingt secondes.

— Allez, Gros, le chant du départ ! enjoins-je.

— J'arrive ! dit-il.

Mais avant de franchir la porte du cachot, il pique les armes des trois hommes.

— Ça peut servir, m'explique-t-il en refermant la porte de la cellule et en empochant la clé.

Comme nous débouchons dans le poste, nous nous heurtons à deux policiers en uniforme que la pétarade a alertés. Béru leur montre son paquet de revolvers avec bonhomie.

— Quelques dragées, messieurs, à l'occasion de mes fiançailles ? leur demande-t-il.

Les arrivants lèvent les bras au ciel comme pour dire que c'est trop de bonté de sa part. Je les déleste de leurs lance-fumée et leur fais signe de passer dans le bureau du patron, où je les boucle hermétiquement.

— Tu te rends compte d'un arsenal ! me dit le gros. On a en tout cinq composteurs, on va pouvoir en offrir, s'est un cadeau utile.

Il est à la porte, mais, brusquement, ma frénésie s'enlise. Je me sens étrangement calme.

— Eh ben, tu t'annonces ou tu passes le véquende ici ! s'exclame Bérurier.

Ce qui me fascine de la sorte c'est le téléphone. Je me dis que je n'ai pas le droit de différer d'un instant mes révélations au Vieux. Tant pis pour ce qu'il adviendra. Le plus urgent c'est le travail.

— Surveille notre ménagerie Gros. Mais surtout ne défouraille pas sur nos braves amis brésiliens.

— Qu'est-ce que tu vas maquiller !

Je chope le téléphone, sans plus attendre, et je compose le numéro du Copacabana. Le concierge de nuit répond presque aussitôt et je lui demande la chambre de maman. Il se met à carillonner ma brave Félicie.

— Qu'entends-je ! s'exclame Béru, maâme ta mère est ici !

— Tout le monde ne vient pas au Brésil avec une poufiasse, riposté-je, cruellement.

Le Mastar violit.

— Ecoute, San-A., je permettrai pas des instinuations pareilles ! Fernande…