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— Si, son frère ! Il est arrivé ce matin… enfin, hier matin, se reprend-elle, réalisant qu'il va bientôt faire jour. Comme il est recherché, il s'était affublé d'un chapeau de paille, de grosses lunettes et avait rasé sa moustache.

— Qu'a-t-il dit ?

— Il voulait savoir où était sa sœur. Il m'a menacée, je n'ai rien dit et, à mon tour, l'ai menacé d'appeler la police s'il ne fichait pas le camp ! Mais il ne s'est pas troublé et m’a répondu que si la police apprenait des choses à propos de Vosgien, je risquais d'avoir des ennuis.

— Et ensuite ?

— Je crois l'avoir persuadé que je ne savais rien au sujet d'Isabel, il a fini par s'en aller.

— Car vous ne savez rien à propos d'Isabel, madame Buisson ?

Elle pose sur moi un regard candide à travers ses verres bombés comme le front du chef-flic de tout à l'heure.

— Non, et précisément, je regrette infiniment de l'avoir laissée s'engager dans cette affaire.

— Vous ne voyez pas où l'on peut obtenir de ses nouvelles ?

M'man, qui en sait long comme l'achèvement du Redoutable sur la question, intervient :

— J'ai expliqué à Mme Buisson qu'il fallait absolument retrouver cette petite ; alors elle pense qu'en allant interroger Rosita, la meilleure amie d'Isabel on risque peut-être d'avoir un indice…

— Où demeure-t-elle, cette Rosita, madame Buisson ?

— Dans la favelle au bord du lac.

— Vous pouvez me préciser son adresse, je vais aller lui parler.

— Tout seul, vous ne feriez pas dix mètres à l'intérieur d'une favelle, mon pauvre garçon !

— C'est pourquoi, complète ma chère femme de brave mère, cette bonne Mme Buisson se propose de venir avec nous, car, grâce à Isabel, elle a été admise dans ce milieu dangereux.

Nous tubons à un bahut et partons à travers l'orage. Tous les quatre : m'man, Mme Buisson, Béru et moi. Vous mordez l'équipage ? Deux gus cradingues comme des peignes en compagnie de deux vieilles dames emmitouflées dans des casaques de veuve ; ça paye, non ?

CHAPITRE IX

Un bidonville tragique, cerné de palissades inquiétantes.

Ce qui surprend, dès qu'on s'engage dans un des boyaux d'accès, c'est son étroitesse, la manière dont les minables constructions de planches et de fer-blanc sont entassées, pressées comme les bêtes d'un troupeau frileux. Il est difficile d'avancer dans les rues-terriers desservant la honteuse cité. On marche dans la fange. Une monstrueuse odeur, en comparaison de laquelle celle de nos poubelles est parfum d'Arabie, nous prend, non seulement au nez, mais aussi à la gorge. Elle colle à nous, malfaisante et vorace. On est happé par cette infecte senteur épidémique et on a l’impression qu'on ne s'en débarrassera plus jamais.

Des sacs de toile servent de porte. Des cartons, de carreaux aux fenêtres. Par les rideaux soulevés, on découvre une population sombre et haineuse à l'intérieur de ces casemates. Des femmes obèses, des gosses à peu près nus, blottis autour d'un lumignon tandis qu'un poste à transistors vocifère des sambas.

Mme Buisson marche en tête. Parfois, des silhouettes inquiétantes s'interposent, mais elle les renvoie à l'ombre puante de quelques mots énergiques.

Au fur et à mesure que nous avançons dans ce cauchemar, nous nous apercevons qu'il est organisé, qu'il a ses commerces, ses bars, ses chapelles. Il s'agit bel et bien d'une agglomération.

— Mon Dieu, quelle odeur ! balbutie Félicie, qui tient son mouchoir en boule sous son nez.

— Tu n'aurais pas dû venir, m'man.

— Je ne le regrette pas, on ne peut pas savoir que ça existe si on ne l'a pas sous les yeux… Ces pauvres enfants couverts de croûtes et encore debout à cinq heures du matin !…

Elle pleure…

Notre guide s'est arrêté devant une cabane où' des vieilles chantonnent des psaumes.

La libraire parlemente. Elle remercie.

— Eh bien ? demandé-je.

— Rosita est à une macumba.

— Qu'est-ce que c'est que cette bête ? s’inquiète Berurier.

— Une messe noire, lui dévoile Mme Buisson. Ça procède de la religion catholique, mais avec l’intervention, en cours d'office, de rites païens importés d'Afrique. Venez voir…

— Une macumba à cette heure ! m'étonné-je.

— Mon cher garçon, ça dure toute la nuit ! Ils doivent être exténuée, maintenant.

En connaisseuse, elle se dirige vers un petit hangar cerné de grillage. La porte en est ouverte et un grand diable de Noir, revêtu d'une chasuble, en garde l'entrée. Contre l'édifice de planches, des caisses grillagées renferment des volailles.

— Pour les sacrifices, nous explique Mme Buisson.

La vieille dame discute âprement avec le Noir. Ce dernier nous défrime sans aménité.

— Je dis que vous voulez vous convertir à leur religion ; certains Blancs en font maintenant partie, des Nord-Américains, surtout.

A l'intérieur ça hurle, ça cantique, ça bat des mains, ça tam-tame…

— Bon, il est d'accord, fait Mme Buisson, seulement il faudra verser quelque chose pour leurs oeuvres.

Comme dans toutes les Eglises, en somme !

Nous entrons dans une chapelle incroyable.

Au fond se dresse un autel échevelé, sorte de grotte baroque, bourrée de statues de saints, d'icônes, d'images, de cierges, de lampes à huile, de reliques en châsse, de fleurs et de guirlandes.

Le public est parqué de chaque côté du hangar dans deux galeries légèrement surélevées. Le centre du local est occupé par les officiants, parmi lesquels vingt jeunes négresses en robe blanche, trois joueurs de tam-tam, quatre choristes et un grand prêtre coiffé de plumes multicolores comme un chef indien d'Hollywood et au torse nu agrémenté de graffiti peints blancs et rouges.

Une énorme négresse suifeuse, drapée dans une robe en voile bleu, encense le grand prêtre au milieu d'un tohu-bohu général. C'est l'hystérie collective. Les vingt vierges se roulent par terre. Le grand prêtre ramasse une bouteille d'eau, la brandit devant l'autel et sort en poussant des hurlements.

— C'est l’esprit du diable qu'il emporte dans cette bouteille ! nous explique la brave libraire, laquelle me semble être une parfaite catholique, apostolique, macumbienne.

— Et pourquoi t'est-ce que les autres poussent ces cris désarticulés ? interviewe le Révérend.

— Ils chantent le Notre Père.

— C'est quand même plus rigolo qu'à Saint-Sulpice, convient le Valeureux en louchant sur les vingt beautés qui se pâment sur le plancher. Y en a des pas mal roulées parmi ces enfantes de chœur !

— Rosita se trouve ici ? demandé-je.

— Oui, c'est la troisième, à gauche de l'autel, renseigne notre cicéronne, mais je ne peux évidemment pas lui parler tant que la cérémonie ne sera pas achevée. Ça ne vous fait rien d'attendre ?

— Au contraire, je trouve ce spectacle passionnant.

Au bout d'un moment, je me désintéresse de la kermesse frénétique qui se déroule sur la « scène » pour contempler le public. Il est recueilli, le public, fervent à outrance. Il psalmodie et frappe dans ses mains, la tête penchée. Je n'aperçois pratiquement que des Noirs au visage luisant de sueur. Quelques rares Blancs, plutôt café au lait à vrai dire, excepté un…

— Où que tu vas ? grogne Béru, en me voyant fendre la foule. T'engager comme enfant de chœur ?

Je ne réponds pas. Je bouscule les fidèles, lesquels me roulent des lotos absolument blancs. Au fond de la travée, prie une superbe fille noire. Et cette fille, mes amis, bien que vous soyez bêtes à bouffer des betteraves sans les faire cuire, vous avez déjà deviné que c'est Isabel.