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— Enviandé ! Poulet de mes choses ! Voleur de femme ! Violeur de jeune fille ! Détourneur de mineure, s'étrangle Béru. Dans ma propre chambre ! Une jeune fille de bonne famille, que son père, garde-champêtre, qui plus est, m'avait confiée !

M'est avis que notre quiétude palaceuse aura été de courte durée.

Le flic proteste. Mais les gnons pleuvent trop dru, trop fort, trop rapidos sur son nez déjà en compote.

Fernande pleure. Les loufiats radinent. Un fin gourmé de la direction itou. Il en a marre de la clientèle bérurière. Il en a assez de faire remplacer la porte du 269 toutes les huit heures ! Il peut plus supporter un tel esclandre ! Il va prévenir la police ! Faire amener le pavillon français ! Prendre des mesures, quoi ! Coucher Béru et sa donzelle sur la liste noire, les rendre tricards de palace à jamais.

Tout ce que Béru entend des menaces, c'est le mot police.

— La police ! se décordevocalise-t-il, la police, dis, chien-panzé, la v'là ! C'est elle justement qui me double ! Avec une petite jeune fille tout ce qu'il y a d'innocente que je ni apprêtais précise aimant d'aller épouser à Montez-Vite-Et-Haut en Nu-Rugueux, avant de rentrer chez moi !

— Qu'est-ce que j'entends ? hurle une voix bien connue de mes trompes.

Alors là, mes enfants, c’est du Feydeau ! Quelqu'un paraît, bousculant tout. Quelqu'un d'énorme et de violacé. Quelqu'un qui porte un chapeau de paille agrémenté d'un massif de glaïeuls ! Une robe noire imprimée où s'écrasent des pivoines. Quelqu'un qui a des perchoirs à perroquets en guise de boucles d'oreilles et une sorte de réveille-matin en sautoir. Quelqu'un qui moulinette avec un mignon parapluie dont le manche représente un bûcheron et une bûcheronne en train de préparer le Petit Poucet.

— Berthe ! lance Béru, toute colère anéantie, comme il crierait merde ! en se pinçant le doigt dans la porte.

Puis, se souvenant qu'il a joué des pièces au patronage de Saint-Locdu-le-Vieux, jadis, il enchaîne :

— Je rêve ?

— Non, tu rêves pas ! Goret ! Goujat purulent ! Cocufieur ! Misérable ! Bigame ! Trigame peut-être ! Pis, et puis et Colégramme, s'enroue la rouée.

Elle agonise littéralement.

— Ainsi c'était donc vrai ! Toi au Brésil, avec une traînée qui sent encore le fumier ! Une dévergondée que la rage du cul rend aveugle et qui est capable de tout pour séparer un ménage uni !

Elle pleure, ouvre son sac et, tout en y cueillant un mouchoir, y prend aussi une lettre.

— Cette gueuse qui m'écrit pour me narguer, comme quoi mon homme l'emmenait au Brésil et qu'il allait divorcer en sa faveur !

Je comprends maintenant ce que la rouée Fernande entendait par « donner un coup de pouce » au destin ! Avant de partir elle a prévenu Berthe afin de créer l'irréparable.

Mais Berthe, c'est une guerrière ! Une Jeanne Hachette ! Elle est allée aussi sec retirer ses économies de la Caisse nationale d'épargne et hop ! Voyez Air France ! Elle supporte pas qu’on attente à son foyer, qu'on touche à son jules, qu'on lui démantèle le ménage !

Pour commencer, elle met une paire de claques à l'époux polisson. Ensuite elle file une peignée pure laine à Fernande, sous les regards qui s'exorbitent et se multiplient. C'est une séance historique, mes chefs ! Quand les bras lui en tombent d'avoir cogné, Berthe désigne la lourde à la Fernande tuméfiée, à la Fernande humiliée, ensanglantée, corrigée.

— Dehors, roulure ! Et que je te revoye jamais plus. Et si t'as le malheur de revenir seulement en France, je t'ouvre le ventre, tu m'entends, dis, pétasse ! Radasse !

Fernande défaille :

— Mais qu'est-ce que je vais devenir, au Brésil toute seule ? s'épouvante la payse du Gros.

Alors, le policier sans jugulaire, ni uniforme, ni slip intervient.

— Je vous épouserai, si vous le voulez bien, dit-il.

Béru s'enhardit à sourciller.

— Un flic brésilien ! Je vois d'ici les émonuments ! Excusez du peu, mais — s'cuse moi, Berthe — son père me l'a confiée et je peux pas la larguer au rabais.

— J'ai des économies, plaide l'autre. J'ai gagné cinq cent mille cruzeiros en allant récupérer cette nuit avant mon chef le cadavre de l'ennemi public n° 1.

Nous nous dévisageons, Béru et moi. Et je réagis. C'est vrai qu'il parle français, ce petit fufute ; il m'avait caché ça pour mieux m'arnaquer, et, en définitive, c'est le front-bombé qu'il a possédé. Il agit et conduit beaucoup plus vite que le singe. Conclusion : il prendra sa place avant pas longtemps !

— Je crois, dis-je à Béru, que tu peux donner ton accord, car j'ai l'impression que ce garçon fera une belle carrière.

Le féroce regard de Berthe aidant, Béru se résigne. Superbe dans sa tenue de gladiateur, il s'approche de Fernande et l’apostrophe.

— Tu as très mal agi, Fernande, d'abord en me soustractionnant par tes charmes à un foyer dont auquel non seulement j'ai l'habitude et de surcroît en plus auquel je tiens…

Il se débat au mitan de son emphase et pour finir :

— … mais surtout en écrivant cette méchante bafouille à ma Berthe. C'est un acte que je veux pas qualifier par respect pour ton père qui a été un des meilleurs gardes champêtres de Saint-Locdu-le-Vieux, un des plus intégrés, en tout cas. Epouse donc ce type puisqu'il a l'air de t'être sympathique et à la mesure et cherche plus jamais à m'adresser la parole. Y a qu'une femme qui compte dans ma vie, fillette : c'est ma Berthe ici présente. Et pour bien lui prouver combien à quel point je tiens à elle et la remercier de son voyage ici, avant de rentrer j'irai la marier en Nu-Rugueux, afin qu'il n'existasse plus un seul pays au monde où que j'eusse la tentation de le faire si le démon me reprenait de calcer une jouvencelle !

Ouf ! Il a bien mérité l'oxygène dont il s'approvisionne.

Berthe se jette sur lui en pleurant. Happy end. Tout le monde a la larmouille au carreau. Même le pingouin mécontent. Il trouve que c'est curieux les Français, quand on les regarde exister entre eux, d'un peu près.

Le cortège se disperse, Fernande la Brésilienne en queue. Je m'apprête à laisser les Bérurier à une félicité retrouvée lorsqu'un chasseur se pointe.

— Il y a dans le hall trois messieurs allemands qui attendent M. Bérurier et ses témoins depuis plus de deux heures, dit-il.

— Tes témoins pour ton mariage ? rechiale B.B., anéantie.

— Mais non, bécasse, fait le Gros, pour mon duel. Excuse-moi si je remets à un peu plus tard notre frénésie sexuelle, mais faut que j'aille revolvériser ou épécer un gros teigneux de Boche à qui t'est-ce j'avais fait l'honneur de me cacher le dargif dans les plis de son drapeau.

Toujours en gladiateur, il se dirige vers la lourde et me sollicite :

— Tu viens témoigner pour moi, au duel, San-A. ?

On trouvera bien à la plonge un zig à qui on cloquera la pièce pour faire le deuxième…

Comme je m'apprête à le suivre, Berthe s'interpose. Elle a ramassé son pébroque, recoiffé son bada. Elle dit qu'elle est pas venue récupérer son Alexandre au Brésil pour qu'il aille se faire perforer la boyasse. Elle va aller causer a ces Allemands, elle ! Leur dire sa façon de concevoir le duel, en plein vingtième siècle. Et s'ils insistent, c'est avec son mignon parapluie qu'elle les remettra à la raison !

Vaincu et fatigué, le Dodu la laisse partir.

— Quelle grande bonne femme ! me dit-il, la voix suintante d'émotion. Tu te rends compte ! Toutes nos éconocroques pour venir me repêcher aux abords de la connerie. Alors qu'elle eût pu s'offrir du bon temps avec ! Tu veux que je te dise, San-A. ? C'est ça, l'amour !