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Jean-Lino ?… La valise s’était avancée toute seule jusqu’au vestibule. Silence. Je suis allée voir. Jean-Lino se tenait debout, dans le couloir, un peu en ombre chinoise avec la lumière de la chambre. Ça va ?

— Elisabeth.

— Vous m’effrayez.

— Si jamais il m’arrive quoi que ce soit, vous n’êtes pas remontée chez moi. Vous ne savez rien.

— D’accord.

— Et la valise est à moi.

— D’accord.

Il a enfilé son perfecto Zara et mis son chapeau des courses. Il a posé le sac et le manteau sur la valise.

— Le type aurait sûrement pris le portefeuille…

— Oui. Je m’en débarrasserai… Ah, une seconde…

Il est reparti vers la chambre et en est revenu avec une paire de gants en mouton retourné.

— Allons-y.

On est sortis de l’appartement. Jean-Lino tirait le chargement. On est restés quelques secondes sans bouger sur le palier pour être sûrs de ne rien entendre. J’ai appuyé sur le bouton de l’ascenseur. En fait il était toujours à l’étage. On a poussé la valise à l’intérieur. Jean-Lino a ouvert la porte de la cage de service. Pas un bruit. On est convenus en chuchotant que j’attendrais un peu pour descendre afin de coordonner nos arrivées dans le hall. Il a allumé la minuterie et s’est engouffré dans l’escalier. Je suis entrée dans l’ascenseur en laissant la porte entrouverte. La cabine est très étroite, il me restait peu de place. Le manteau vert est tombé par terre, je l’ai ramassé et je l’ai coincé entre les barres de la poignée. J’ai voulu faire passer la poignée entre les anses du sac à main mais ça n’a pas marché. J’ai laissé la porte se refermer et j’ai appuyé sur 0. Je regardais mes pieds, mon pantalon de pyjama à carreaux, mes chaussons en fausse fourrure. Je descendais seule quatre étages avec un cadavre. Aucune panique. Je me suis trouvée ultragonflée. Je me suis plu. Je me suis dit, tu aurais eu ta place dans l’armée des Ombres ou dans le service action de la DGSE. Te revoilà Elisabeth. Rez-de-chaussée. Jean-Lino était déjà là. Essoufflé et concentré. Lui aussi, épatant. Il a saisi la valise. Le manteau est retombé par terre, je l’ai récupéré. Je portais le sac à main et le manteau. Les roulettes faisaient un bruit navrant sur le carrelage. La voiture était garée devant. Je la voyais, juste derrière la bordure de pierre. J’ai évalué le trajet, le contournement du buisson. J’ai appuyé sur le bouton de la porte, Jean-Lino l’a ouverte. Il a engagé la valise dans l’entrebâillement. Un moteur démarrait derrière l’immeuble. On a entendu un petit bruit venant du dehors, un bruit humide de talons sur un sol mouillé, et on a vu surgir de la droite, tête baissée pour échapper au vent, la fille du second qui rentrait de soirée. Jean-Lino a reculé, il s’est écarté pour la laisser entrer. La fille nous a dit bonsoir, on a répondu bonsoir. Elle s’est jetée dans l’ascenseur qui l’attendait.

Qu’avait pu enregistrer cette conne ? Tout. La grande bringue du quatrième tenant un manteau et un sac à main, en chaussons de fourrure et pyjama Hello Kitty, avec le type du cinquième en chapeau feutre et mains gantées tirant une énorme valise rouge. Une formation en route pour dieu sait où à trois heures du matin. Tout. Au moment où il croise la fille, Jean-Lino veut faire comme si de rien n’était, comme si ce croisement des plus banals ne devait occasionner aucun trouble du mouvement. Après s’être écarté pour lui laisser le passage, il reconduit la valise vers la sortie. Il a déjà fait cinq mètres dehors lorsque je m’accroche à lui. Elle nous a vus !

— Qu’est-ce qu’elle a vu ?

— Nous. Avec la valise !

— On a le droit de sortir avec une valise.