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— C'est creux ; vous devriez venir faire un tour dans la mienne, je suis certaine que vous y prendriez plaisir.

Et c'est à cet instant, pile, que l'idée me chope.

— Vous voulez bien m'accompagner, Diana ? Vous auriez droit à des émotions. Avec moi, c'est comme aux Galeries Lafayette : il se passe toujours quelque chose.

— Chiche !

Une gosse ! La voilà toute joyce. Elle se tourne vers ses glandeurs.

— On se retrouve plus tard ! leur crie-t-elle.

Et elle monte à l'arrière de notre voiture dont je lui ai ouvert la portière.

Thérésa est un peu surprise par cette initiative.

— Je vous présente Diana Van Trilöck ! lui annoncé-je.

La bouille qu'elle fait alors ressemble à un portrait de Jérôme Bosch.

C'est une grande cour d'usine mal pavée, avec des creux, des bosses, des flaques d'eau noire. Dans le fond, y a des bâtiments de briques couverts de verrières en dents de scie. De lourds véhicules destinés aux gros travaux publics sont remisés à la diable.

Curieuse partie qui se joue là : Le camion-grue stationne au centre de la cour. Une vingtaine de gendarmes armés de mitraillettes l'entourent, tous ont mis un genou en terre et coiffé leur casque d'assaut.

— Remets le fourgon sur ses pattes, fiston ! enjoins-je au grutier.

La nouvelle manœuvre s'opère dans un silence épais troublé par les couinements de la grue en activité.

Thérésa et Diana se tiennent adossées à la voiture du commissaire Judemoule. Je les trouve fragilisées par l'importance de l'opération. Même ma consœur n'a plus l'air d'une amazone. C'est une belle gosse, drue et saine, légèrement cheftaine scout sur les bords. Judemoule est surexcité comme cent puces en rut. Il va et vient en faisant sonner ses talons sur les méchants pavetons.

— Si vous voulez bien, mon cher, me dit-il comme s'il me traitait d'emmanché, avec le même ton et le regard adéquat, c'est moi qui assume l'arrestation du type car nous sommes dans mon…

— Mais oui, mais comment donc, l'interromps-je ; faites, mon bon, faites…

Il marche droit au fourgon posé derrière le camion-grue et martèle du poing la carrosserie.

— Sortez de là ! hurle-t-il, je sais que vous m'entendez. Vous êtes cerné et n'avez aucune chance de vous échapper car un cordon de gendarmes en armes vous cernent. Allons, ouvrez !

Rien ne se produit. Mon guignolet cogne dans ma cage à m'en démanteler les cerceaux. Le fourgon serait-il vide ? Aurais-je entrepris tout ce circus pour la peau ? Pour lors, j'aurais l'air d'un sacré branque !

— Si vous n'ouvrez pas, je fais découper la carrosserie au chalumeau, je vous préviens !

Que dale !

Moi j'attends, à l'écart, assis sur le pare-chocs de la voiture à Judemoule. Puisqu'il veut faire du zèle, le copain, qu'il en fasse !

Il commence à passer pour un con en peluche, Juju. Un barbichu qui trépigne devant une porte close en ordonnant qu'on la lui ouvre, il occupe une position pas tenable si elle reste fermée.

Changeant de tactique, il va au grutier et se met à parlementer avec lui ; je n'entends pas ce qu'ils se disent. A la fin de l'entretien, mon pote « Cinq sur cinq » regrimpe à son poste et se remet à manœuvrer son bouzin. Je pige vite. Judemoule lui a ordonné de défoncer le coffrage du fourgon avec les mâchoires de l'engin.

Le blindage du fourgon pourra-t-il résister à la formidable pression ? Je ne le pense pas. Et, en effet, un bruit d'horrible mastication s'opère. L'acier mangeant l'acier ! D'énormes cavités se forent dans le coffrage du fourgon. Ça craque avec un bruit de navire éperonné par un récif. Des brèches se forment.

— Stop ! crie Judemoule.

Les serres de la grue s'écartent, dociles. En se retirant du fourgon blessé, elles provoquent un fracas de tôle meurtrie plus fort qu'en broyant.

Le commissaire se précipite sur la plus forte béanture.

— Rendez-vous ! Vous…

Il se tait.

Normal.

On ne peut pas parler sans tête. Et sa tronche vient d'être volatilisée, barbe comprise, par un rayon laser qui a jailli de l'orifice. Ce qui reste du bonhomme représente les six septièmes de son volume initial.

Mes compagnes s'évanouissent en apercevant ce corps détêté, et plus d'un gendarme se met à gerber.

Je devrais être terrifié par ce drame ; seulement je suis un enfoiré de poulet de merde et tu veux que je je dise ce qu'est ma réaction ? La joie ! La joie âcre, enivrante, plus forte que la plus forte des gnoles du triomphe !

Gagné, Sana ! Le fauve est bel et bien dans sa cage.

Mais comment l'en déloger. Comment en avoir raison ?

Ne brusque rien, Antoine. Réfléchis comme si tu étais dans ton plumard avec les bras sous la nuque, mon grand.

Bon, il est évident qu'il est à nous. Qu'il suffit d'attendre…

Mais attendre, il n'en est pas question.

Alors un tireur d'élite balance une cartouche de gaz par l'une des brèches. Il est outillé, le monsieur. Il doit disposer de masques spéciaux. Et puis, je gage qu'il a d'autres armes encore plus terrifiantes que son rayon laser, signe de son grade. On ne va pas monter la chose au paroxysme de l'actualité, rameuter les media, rassembler les foules, provoquer encore des morts à grand spectacle.

Réfléchis ! Réfléchis !

Ordinairement, mon instinct opère en marge de ma pensée. Il pige avant mon cerveau. Qu'est-ce qu'il branle, ce soir ?

Je m'asbstraque. Je chante. Tino, tiens… Qui ressemblait tant au président :

Loin des guitares Au chant si doux Oui, oui, oui…

De toute beauté. Génial, le « oui, oui, oui ».

Et l'Antonio se dresse. Il marche à Diana, lui enserre la taille et la soulève du sol. Elle pantelle. Ce qu'elle doit regretter de m'avoir suivi, d'avoir moulé effrontément Sylvain, Matthieu, Gaétan, Barbara et les autres truffes.

Tout en la tenant devant moi, je me dirige vers le fourgon.

Un « ooooh » réprobateur passe sur le cercle des gendarmes. ce commissaire qui utilise une jeune fille comme bouclier, quelle ignominie ! Comme il déshonore la poulaille !

— Puisque vous pouvez regarder à l'extérieur, jetez un coup d'œil par ici, monsieur le chef du K.K. Boû Din ! j'égosille. Et si le cœur vous dit d'user de votre laser, ne vous gênez pas !

J'avance. Diana essaie de se dégager, mais je la presse contre moi à l'étouffer et elle est si neutralisée par la peur qu'elle n'a guère à opposer que son poids.

— Rendez-vous, big boss ! L'heure des règlements de comptes a sonné.

Une explosion me répond. Un court moment c'est l'Apocalypse. Des flammes, de la fumée noire, jaillissent des trous percés dans le fourgon. Il semble avoir rétréci comme si une fabuleuse succion s'étaient opérée de l'intérieur. Ses parois semblent converger vers son centre.

— Merde, me dis-je, car je ne prends pas de gants avec moi : ce con s'est fait désintégrer dans son studio roulant !

A TOUTE FIN UTILE

— Je crois me rappeler que, ce matin, tu avais entrepris une action délicieuse contre moi, darling, je dis-je à Thérésa.

Elle sourit.

Nous sommes enfin seuls dans sa bagnole après toute cette monstre bastringuée de Deauville. L'Alouette nous a ramenés à Paris et nous voici, fourbus, claquant des chailles dans sa voiture-salon.

— D'accord, mais de même qu'on ne parle pas la bouche pleine, on n'écoute pas non plus la bouche pleine. Donne-moi des explications à présent que nous voici libérés des autres.

— J'ai des illuminations, quelquefois, ma jolie. Lorsque pour l'enlèvement du fourgon, devant le palace, j'ai vu Diana Van Trilöck, j'ai pigé que c'était à cause d'elle qu'il se trouvait là. Mais je n'arrivais pas à en comprendre la raison. Le K.K. Boû Din avait les moyens de la surveiller plus étroitement que depuis un véhicule stationné devant son hôtel.