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— En effet, mais ses affaires sont gérées par des gens compétents qui continuent d'assurer ma matérielle très largement.

— De quelles « affaires » s'agit-il ?

— Import-export, je crois. Cette question ne m'a jamais passionnée.

— Le siège se trouve à La Haye ?

— Amsterdam.

— Vous pourrez m'en communiquer l'adresse ?

— Je pourrai.

— Comment avez-vous réagi à la disparition de M. Van Trilöck ?

— Mal, mais progressivement. Papa faisait de fréquents voyages dont la durée était variable. Il ne me parlait jamais de ses activités. Il y a cinq ans, j'étais encore pensionnaire dans une institution suisse. J'y ai reçu un jour la visite d'un collaborateur de mon père venu me demander si ce dernier m'avait donné signe de vie récemment car on était sans nouvelles de lui depuis une quizaine. C'est à partir de là que mon angoisse a commencé. Les jours qui ont succédé, j'ai téléphoné soir et matin pour avoir des nouvelles. Au bout d'une semaine, j'ai quitté l'institution afin de me rendre en Hollande. La police néerlandaise avait été prévenue, mais ne savait rien. La police française non plus. Tout ce qu'on est parvenu à établir, c'est que mon père se trouvait à Paris la veille de sa disparition, et que le lendemain il a pris l'avion d'Air Inter pour Marseille. Personne ne l'a revu depuis Marignane. Le temps a passé. J'espérais toujours une lettre, un signe de vie quelconque. Nous avons fait appel à une grosse agence de police privée américaine, mais ça n'a rien donné.

— Qui ça, « nous » ? je demande.

— Le brain-trust de papa et moi. Je m'attendais à une demande de rançon, je la souhaitais de toutes mes forces, car elle m'aurait redonné espoir, mais rien…

Une fois encore ses yeux sont embués.

— Tout à l'heure, lorsque nous nous sommes présentés à vous, vous avez flanqué mon adjoint dans votre piscine, mademoiselle Van Trilöck. Cette grosse blague ne reflète guère votre angoisse. Nous venions enfin vous apporter des révélations, à vous qui dites les avoir attendues dans la plus vive anxiété et, au lieu de m'écouter, vous vous foutez de notre gueule. Ça surprend.

Elle hoche la tête.

— Ça vient de ce que je ne vous ai pas cru, plaide la déesse blonde. Votre gros mec la fout mal, et vous, vous ressemblez à un gigolo.

Merci, ne vous dérangez pas, inutile de nous l'envelopper, on va pas loin ! Je dois pousser une frime déconfite car elle éclate de rire.

— Allons ne m'en veuillez pas, exprime-t-elle. Mais vous savez, des tas de gens se prétendant plus ou moins flics ont tenté de me vendre des tuyaux à propos de mon père, et ce n'étaient que des crapules.

— Vous habitez ici toute l'année ?

— L'été seulement, le reste du temps je demeure à Paris ou à Gstaad.

La belle vie, quoi. Gentille, mais futile, la môme. Je distingue très bien la manœuvre des « associés » de son dabe. Si ça se trouve, ce sont eux qui ont financé l'opération Amadeus. Ils se goinfrent désormais tout leur soûl, en allongeant à Diana de quoi mener une existence dorée. Elle vit avec une cour de branleurs snobs : Gontrand, Matthieu, Barbara, Dorothy et les autres. La fiesta permanente. Les toilettes, les tires décapotables, les parties. Le big marathon de la désœuvrance ! Ç'ui qui en fait le moins a gagné un transat !

— Puis-je vous demander votre âge ?

— Vingt-deux, pourquoi ?

— Ces gens bien qui s'occupent de vos affaires ne vous causent pas d'inquiétude concernant l'avenir ?

Elle fronce le nez et retrousse sa lèvre supérieure. Tu la verrais ainsi, choucarde, t'en boufferais !

— Comment cela ?

— Le décès de votre père va être établi, bien qu'on n'ait pas encore retrouvé son corps. Peut-être alors vous fraudra-t-il prendre en charge votre héritage, vous ne croyez pas ?

— C'est un conseil ? demande-t-elle, la voix déjà acerbe.

— Oui, et excellent, chère Diana. Si vous laissez flotter les rubans pour entretenir un ramassis de parasites du genre de ceux qui se font dorer la paresse autour de votre piscine, vous risquez de grossir avant longtemps la masse des demandeurs d'emploi. Ne me répondez surtout pas que cela ne me regarde pas : je le sais. Si je vous parle de la sorte, c'est parce que je vous trouve foncièrement à mon goût et que j'aimerais pouvoir vous aider, ne serait-ce que d'un conseil.

J'abandonne le prie-Dieu.

— Tenez, ma jolie, voici ma carte avec mon adresse personnelle. Comme vous n'avez pas de poches (y compris sous les yeux), je la place à l'intérieur de cette bible ; peut-être serez-vous amenée à l'utiliser le cas échéant (pas la bible : mon adresse).

Elle se relève sans prendre la main obligeante que je lui tends ; ce qui est insultant, comme on disait au Maroc, mais moi, ce genre d'avanies, tu permets ? Je m'assois dessus.

D'un pas vif, je me dirige vers la piscaille. N'y trouve plus le Gros. M'informe.

L'une des friponnes me désigne les cabines de bain en riant comme une pastèque éclatée. Je vais toquer à l'huis.

— Minute ! rebuffe l'organe du Mammouth, siou-plaît, pas d'panique, mes gosses ; bousculez-vous pas au portillon, y en aura pou' tout l'monde !

Intrigué, j'attends. Des gémissements, gloussements, soupirements sortent de l'étroit local. Enfin, on délourde et j'avise l'une des amies de Diana, la chevelure en botte de radis, le regard pendant comme deux petites poires, mais avec, par contre, les loloches en cornes de bison futé.

Elle va en titubant jusqu'au tremplin et pique une tronche dans la flotte.

Le Majestueux s'avance dans l'encadrement.

— Suvante ! égosille-t-il.

Son pote Nestor est à angle droit, plus massif qu'une poutre de cathédrale gothique.

Il me tend un billet de cent francs.

— Si tu voudrais bien m'tiendre ça, m'en prie-t-il, j'sais pas où l'met'.

Une nouvelle jeune personne s'avance, un billet à la main.

— Donnez-y-lui, dit Béru en me désignant, c'est lui l'caissier.

Devant mon ahurissement, il s'explique :

— Ces frêleuses jeunes filles en r'venaient pas de mon chipolata et ont d'mandé d'faire joujou av'c. J'ai accepté qu'oui à condition comme quoi qu'elles dussent verser quéqu' chose pou' la lutte cont' l'cancer ; t'oublierais pas d'envoilier un mandat, grand.

THIRD

— J'aime pas les parloirs, expliqué-je au dirlo de la carluche ; depuis que j'ai eu une petite amie dans la banque, à laquelle je devais déclarer ma flamme à travers les petits trous d'une plaque de plexiglas, je fais une fixation ; vous avez pas un coin pas cher à me proposer pour que je puisse y discuter avec le client en question ?

Mon terlocuteur est un gros chauve qui ressemble à un grand maigre qui aurait perdu du poids et ses cheveux. Il a bouffé des escarguinches à la parisienne car, avec une haleine pareille, jamais Rudolph Valentino n'aurait fait la carrière que tu sais.

— Si vous voulez attendre une vingtaine de minutes, ça va être l'heure de la promenade, vous discuterez dans sa cellule pendant que ses codétenus feront leur jogging.

Ainsi est fait. J'attends en bavardant politique avec le directeur, comme quoi le gouvernement est ce qu'il est et que le prochain sera ce qu'il sera, tout ça, manière de faire avancer l'Histoire en direction des chiottes. On évoque le masque aux dents blanches, le père la Cerise, qui ressemble de plus en plus à Patrick Sébastien, et on parle également de l'autre, là, ç'ui qu'a une Rolleix, tu vois de qui je parle ? Si tu vois pas c'est que t'as mis tes lunettes sans les retirer de leur étui.

Et puis il est l'heure et un chiourmeur bardé de clés me drive jusqu'à la cellote 2016. C'est un luxueux appartement pour quatre détenus, peint dans les tons paille, avec tout là-haut des vitres trop dépolies pour être honnêtes afin d'estomper un peu les barreaux si chers à Madeleine Renaud. Le prévenu qui m'y attend se nomme Raphaël Sein ; c'est un gars à frime d'intello constipé. Il est maigre du bas, et ses yeux de déchiffreur de grimoires flottent entre deux eaux derrière des lunettes à monture d'acier. Ce type, tu le prendrais pour un terroriste un peu branque, genre ceux qui se font éclater dans la braguette la bombe qu'ils sont venus déposer sur ton paillasson. Y a du rêveur chez ce gazier, un côté pas-de-bol assez navrant. Il doit se gourer en libellant un chèque et faire péter l'installation électrique quand il change une ampoule.