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Il prit possession de sa chambre, ouvrit sa valise et en étendit le contenu sur le sol.

Une demi-heure plus tard, il fit son apparition à la piscine de l’hôtel où sa peau fatiguée, ses longs cheveux noirs et sa chemise à franges, ouverte sur son torse décharné, détonnèrent avec le hâle et les rondeurs des vacanciers allongés sur les chaises longues. Pour ajouter au contraste, ses bras étaient chargés de tatouages dont le plus explicite louait les bienfaits d’une fellation.

Les clients de l’hôtel échangèrent des propos à mi-voix en l’épiant du coin de l’œil. Indifférent aux regards suspicieux, Larry s’accouda au bar et commanda une bière qu’il vida d’un trait. Déconcerté par le prix dérisoire qui lui fut réclamé, il décida de passer à la vitesse supérieure et relança au gin coca.

Vers dix-huit heures, alors que le soleil commençait à décliner, il avait avalé assez d’alcool et offert suffisamment de pourboires au barman pour s’enquérir des possibilités de divertissement plus pimentées. Ce dernier lui apprit que Majorque disposait au quinzième siècle d’un bordel public dont la dextérité des pensionnaires attirait les marins à vingt mille lieues à la ronde. D’après ses dires, l’attachement au travail bien fait s’était conservé au fil du temps. Il lui vanta entre autres le Mustang et le Bora Bora.

Larry remonta dans sa chambre et passa commande d’un demi-poulet rôti, de pommes frites, de petits pois et d’une bouteille de rosé frais.

Selon les déclarations que firent ses voisins, il avait pris son repas devant la télévision en parodiant à tue-tête le discours du commentateur espagnol. Il avait ensuite écouté quelques LP en sautant dans la pièce.

Un taxi vint le chercher à vingt-trois heures et le déposa au Mustang Ranch, à Bajos, dans le centre de Palma.

Dans le night-club, il fut approché par plusieurs entraîneuses et jeta son dévolu sur une femme aux cheveux noir jais et aux formes généreuses, plus âgée que les nymphettes qu’il avait écartées. Il lui offrit une coupe de champagne et fit quelques pas de danse avec elle. Ils se mirent ensuite d’accord sur la somme de dix mille pesetas en contrepartie de ce qu’elle nommait le grand vertige.

Vers deux heures trente, il commanda un taxi. Ils s’y engouffrèrent et prirent la direction du Punta Negra.

Le portier de nuit de l’hôtel les vit entrer vers trois heures du matin. Il déclara par la suite que le couple semblait dans un état d’ébriété avancé.

Vers cinq heures du matin, la femme se présenta à la réception et demanda au portier de lui appeler un taxi. Elle titubait quelque peu, mais ne semblait ni affolée ni anxieuse.

Interrogée plus tard, elle affirma que Larry dormait paisiblement lorsqu’elle l’avait quitté.

Comme chaque dimanche, l’employé chargé d’entretenir les jardins commença son travail à six heures trente. Lorsqu’il entama le nettoyage de la piscine, vers sept heures quarante-cinq, il discerna le corps d’un homme dans le fond. Il appela aussitôt à l’aide et deux cuisiniers assistés d’un serveur vinrent à la rescousse. Les hommes hissèrent Larry Finch hors de l’eau, mais ne purent que constater son décès.

Le médecin légiste dépêché par la police conclut à une mort par asphyxie ayant entraîné un œdème pulmonaire traumatique. Il situa l’heure de la noyade aux alentours de six heures du matin.

La prostituée, Marta Rego, précisa dans sa déclaration à la police que Larry avait beaucoup bu et qu’il s’était enfermé à plusieurs reprises dans la salle de bain durant quelques minutes.

Hormis la bordée d’obscénités dont il l’avait abreuvée pendant leurs ébats, elle l’avait trouvé plutôt gentil. À sa surprise, il avait fait preuve d’une sexualité à la normalité consternante.

En plus des trois grammes d’alcool présents dans son système sanguin, les analyses dépistèrent la présence de codéine, de diazépam, de morphine et d’acide lysergique, un hallucinogène de synthèse plus connu sous l’acronyme LSD.

La police en conclut que Larry Finch était en toute vraisemblance descendu pour se baigner et avait été victime d’une hydrocution.

Lorsque la mère de Larry apprit son décès par téléphone, quelques heures plus tard, elle fit couler un bain chaud, s’y plongea avec une photo de son fils et s’ouvrit les veines.

Pendant que la vie quittait son corps, elle fredonna les couplets de Hush Little Baby, la berceuse qu’elle lui chantait durant les premières années de sa vie.

Hush, little baby, don’t say a word, Mama’s gonna buy you a mockingbird Chut, petit bébé, ne dis pas un mot Maman t’achètera un joli petit oiseau

2

Dans la brume

Dieu me pardonnera-t-il ce que j’ai fait ?

Lui connaît la vérité. Il sait que je n’ai pas voulu cela. Ce qui est arrivé n’est qu’un malheureux concours de circonstances.

Dieu croira mon histoire, cette histoire dont les hommes n’ont pas voulu, cette histoire dont les pages ont disparu et que je retourne sans cesse dans ma tête pour éviter que les détails ne s’évanouissent dans la brume.

3

X Midi

L’appel arriva au service d’urgence à 18 h 12.

Une femme signala qu’un piéton avait été renversé par une voiture sur l’avenue Fonsny, à proximité de l’entrée de la gare du Midi.

Le préposé lui posa les quelques questions susceptibles d’évaluer la gravité de la situation.

— Y a-t-il d’autres blessés ?

— Non.

— Est-il conscient ?

— Je ne pense pas.

— Est-ce qu’il bouge ? Est-ce qu’il remue les jambes ou les bras ?

— Pas à première vue.

Il déclencha aussitôt le dispositif d’intervention.

Une ambulance se rendit sur les lieux. L’hôpital Saint-Pierre fut averti que l’envoi d’une équipe du SMUR était requis.

Les informations furent relayées au central de la police. Une patrouille mobile prit aussitôt la direction de la gare du Midi. À grand renfort de hurlements stridents, la voiture se faufila dans le trafic, monta sur le terre-plein et se gara tant bien que mal devant l’entrée de la gare.

Les policiers coupèrent la sirène, mais laissèrent tourner les gyrophares. Ils sortirent, ajustèrent leur tenue et se dirigèrent d’un pas nonchalant vers l’attroupement.

Une vingtaine de personnes se tenaient en demi-cercle autour d’un taxi. Le véhicule gênait le passage, ce qui engendrait un concert d’avertisseurs.

Un homme se détacha du groupe et vint à leur rencontre.

Il était affolé.

— Je ne sais pas ce qui lui a pris, il a traversé d’un coup. Il s’est jeté sous la voiture, j’ai freiné dès que je l’ai vu, mais c’était trop tard.

L’un des policiers fit reculer les badauds pendant que son collègue se risquait sur l’avenue pour résorber l’embouteillage.

À intervalles réguliers, des fournées de passagers sortaient de la gare et s’éparpillaient sur le trottoir. Certains venaient grossir les rangs des curieux, d’autres pressaient le pas, indifférents au drame qui se déroulait sous leurs yeux, impatients de retrouver leur foyer ou de décompresser dans l’un des cafés avoisinants. Quelques étudiants jetèrent un vague coup d’œil à la scène, les écouteurs fichés dans les oreilles, détachés de la réalité dans leur bulle de musique.