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Je l'aide à s'installer dans le carrosse et, avant d'y prendre place moi-même, sonde une dernière fois les alentours pour essayer de repérer un danger et également avec l'espoir de voir réapparaître Toinet. Mais rien ne se signale à mon attention vigilante, c'est pourquoi je prends la tangente. Rapidos, je me dépote du vieux quartier pour gagner Herrengasse.

— Vous avez une idée? demande timidement mon compagnon.

— Pas encore, mais ça va venir, c'est l'heure où j'ai ma trouvaille quotidienne.

L'enjeu consiste à déposer mon vieux pote en lieu sûr, pas trop loin de la Platz am Hof afin que je puisse rapidement aller récupérer le moutard. Je ne vois guère qu'un hôtel pour accueillir dame Félix, mais ce genre d'endroit ne m'inspire guère confiance car c'est toujours là que se portent les recherches lorsqu'on veut mettre la main sur un gazier en cavale.

— Avez-vous de l'argent autrichien sur vous? m'enquiers-je.

— Non, mais j'ai encore des dollars.

Je lui tends une petite liasse de schillings.

— Pas la peine de vous faire remarquer prenez ça. Maintenant, voilà la conduite à adopter: vous allez prendre une calèche et vous faire conduire à la cathédrale Saint-Etienne, proche de la Platz am Hof. Vous la visiterez consciencieusement: elle a huit cents ans et mérite le détour. Restez-y jusqu'à ce que je vienne vous y récupérer. D'accord?

— A vos ordres, mon commandant!

Je roule encore un peu afin que sa course en ville soit de quelque importance, puis je le libère, et la «digne vieillarde» s'approche d'une calèche. En l'escaladant, elle prend sa jupe dans le marchepied et en déchire vingt centimètres; ce qui laisse apercevoir les caleçons longs du professeur.

Allons, ça commence bien!

Nous voici encore seuls.

Comme ça qu'il commence son Mort à crédit, Céline. Et tout de suite après, il ajoute (je peux te citer de mémoire): Tout cela est si lent, si lourd, si triste.

Moi, me voici encore seul!

Seul chez la poupette autrichienne qui, décidément, est partie vivre sa vie avec Toinet! Trois plombes au moins qu'ils ont mis les adjas et ils ne sont toujours pas rentrés.

Je morfonds comme un gueule d'hautboïste (personnage affligé de la gueule de bois). Qu'est-ce qu'il lui prend, à la mère Gretta, de faire l'école buissonnière?

Sa cuisine est pas racontable. Si Saint-Marc-Ménage se pointe pas, ce sera la Berezina pour Lady Fantôme. Avec Saint-Marc-Ménage, là, elle s'en tire si j'en crois leur pube. Tu la connais? Un couple rentre chez lui et fait la grimace devant sa cuistance dévastée par le séisme des chiares. Le mec surtout est scié. A lui la partie de biceps! Lugubre, il retrousse ses manches et se met à frotter comme un galérien. Mais zob! Ça part pas! Heureusement, sa gonzesse malicieuse a une boutanche de Saint-Marc-Ménage. Alors, c'est le miracle. En deux aspersions, ça rutile pire que chez Cartier et le couple peut aller limer à tout va. Grâce à Saint-Marc-Ménage! Sans lui, le coup de bite passait à l'as, tu penses, fourbu comme le mec l'aurait été!

Moi, cette situasse me défrise singulièrement. Elle prend mauvaise mine, je trouve. Toinet en cavale avec une vieillarde érotique, Félix travesti en dame patronnesse et visitant une cathédrale. Des tueurs qui rôdent! Et moi, la reine des pommes, en train de me branlocher les couennes! C'est l'heure de la journée ou m'man doit m'écrire une longue bafouille tendre après avoir tiré une salve de cartes postales contre les amis et connaissances.

Elle me raconte sa petite vie creuse de «curiste»: sa boue, les repas ritournelles de son hôtel (où «ils» parlent le français comme toi et moi et sont aux petits soins pour elle). Et puis ce vieux couple belge, les Van Tratter, bientôt septante balais! Quand le monsieur est arrivé à Abano, il pouvait à peine marcher et c'était madame qui lui décarpillait sa braguette lorsqu'il devait licebroquer. Au bout de huit jours, il marche sans cannes, Antoine! Et il coupe sa viande soi-même.

Je la lis à distance, sa lettre, Félicie. Elle ponctue avec son cœur et y a toujours une larme séchée sous la signature.

Un coup de sonnette déchire le silence funèbre du vieil appartement. Il ne me réjouit pas, vu que mémère a ses clés. Alors? Ben, ce sont probablement les gens qui traquent Félix, que veux-tu que je te dise, Louise! Quand on redoute trop fort une chose, elle finit par se produire. En tout cas, pour moi c'est comme ça. Je redoute et ça se produit.

Je me sens un peu déshabillé pour les accueillir, n'ayant pas la moindre arme à ma disposition. Quand tu pars rejoindre ta vieille mère pour un week-end prolongé tu n'emportes pas ton parabellum, généralement. D'autant que dans les aéroports ils n'apprécient pas ce genre de bagage accompagné.

Je vais ouvrir courageusement, en me tenant un peu sur le côté toutefois, pour si un futé seringuait la lourde en entendant tourner le loquet. Je me trouve face à un commis épicier en uniforme, coltinant sur l'épaule un carton bourré de denrées. Il m'explique que ce sont les achats de Mme Muelner qu'il livre.

Il doit venir souvent car il se rend à l'office tout en parlant et dépose le carton sur la table. Machinalement, je lui attrique un pourliche. Il se confond en remerciements enamourés.

Je lui demande s'il y a longtemps que la dame a passé commande. Il répond qu'au moins trois plombes. Elle est venue au magasin avec un petit garçon français qui lui réclamait quelque chose. Comme la vieille ne parlait pas le français, c'est Mme Tartmöl, la caissière, qui a servi d'interprète car elle est mariée à un Martiniquais. Le gosse voulait que Frau Muelner l'emmène sur les manèges du Prater. il avait entendu parler de la Grande Roue et tenait absolument à y aller. Gretta a promis. Elle a même prié la caissière de lui appeler un taxoche par téléphone et ils sont partis. Voilà qui explique leur retard. Je connais le citoyen Toinet. Cézigue, une fois à la fête foraine, t'as le bonjour d'Alfred pour l'en extirper.

Je continue donc d'attendre. Félix a eu le temps de visiter la cathédrale de la crypte au clocher. Il serait peut-être opportun que j'aille le récupérer avant que l'édifice ne ferme ou s'écroule! Sale gosse d'Antoine!

C'était bien le moment d'entreprendre sa tournée des grands huit! On est là à se démener comme des diables et messire Gavroche se goinfre de barbe à papa et de manèges, le petit con! Les questions de vie ou de mort, lui, il s'en torche le fion!

Moi, je craque, mon pote! La nervouze en pelote! Et serrée! J'en ai quine de moisir dans cet appartement sinistros qui pue le rance, le vieux harnais de duègne, la mauvaise frigousse!

Je vais puiser dans le carton de mémère. Y a justement de la charcutaille viennoise. Du fumé! Entre deux tranches de biscotte je dépose de la mortadelle et du salami. Je bouffe voracement. J'en veux à la terre entière, en commençant par moi, toujours partant pour les missions à la flan.

Une fois mon sandwich clapé je me dis que bon, y a pas, faut récupérer Félix. Je lui savaterai le prose, à Toinet! Graine de voyou! Saleté de chiare! Tu veux sauver l'humanité et comme remerciement elle te fait chier!

Je me casse, furibard. Bon, je vais récupérer le vieux tordu de Prof et j'en fais quoi? Une mesure pour rien! A quoi ça aura servi que Ducros il se décarcasse, tu me le dis, bouffi?

En cette toute fin d'après-midi, la cathédrale est presque vide. Juste un petit groupe de Japs «Canonisés» de pied en cap s'obstine à flasher chaque centimètre carré de l'édifice. Tout y passe: les statues, le chemin de croix, les piliers, les confessionnaux et jusqu'aux grilles des calorifères. Des scientifiques de la pelloche, les Jaunets. Tu crois qu'ils font développer leur provende en rentrant dans leur termitière? Et si oui, que peuvent-ils bien branler de cette formidable quantité d'images dans leurs appartements-clapiers? Moi, ça m'intrigue, leur mentalité. Ce sont les Martiens de la planète Terre. Des gonziers d'ailleurs. Ils n'ont pas de matières premières, alors ils fabriquent de la main-d'œuvre. Ils transforment, tu comprends? N'importe quoi, ils en font autre chose et en inondent l'univers. Des insectes moines! Le boulot comme religion!