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— J'ai une propose honnête à te faire, mec. Dix mille dollars, c'est un gentil bouquet, non?

Je prends dans ma veste la liasse que Félix y a glissée et compte dix mille verdâtres. L'autre, ébloui, se met à faire le poisson exotique contemplant un touriste japonais à travers la vitre bombée de son aquarium et qui le prend pour un voisin de palier.

— Je veux retrouver dans les meilleurs délais trois gonzesses dans une grande voiture noire, Conrad. Deux sont blondes, l'une brune et habillée de cuir.

Heidi qui a aperçu cette dernière sur la place de la cathédrale, tantôt, te donnera son signalement.

— C'est la fille qui était avec… votre mère? fait la marchande de cartes postales qui n'a pas ses méninges dans sa poche.

— Exact, je vois que vous me recevez cinq sur cinq. Autre détail, grand, ces trois filles, selon moi, sont étrangères. Elles ont enlevé deux vieilles dames et un petit garçon au cours de la journée. Je les verrais assez crécher dans une maison discrète. Crois-tu que ton réseau de malfrats soit en mesure de me repérer ces trois pétasses dans les meilleurs délais? Outre dix mille dollars, tu gagnerais mon estime et celle de tous les gens de cœur.

Le Conrad, il est pas beau, il a pas une cervelle aussi mahousse que celle de Biaise Pascal, il a jamais inventé l'eau chaude vu qu'il ne doit pas s'en servir, mais il est dompté, âpre au gain et désireux de me prouver qu'il sait être autre chose qu'un punching-ball à l'occasion.

— Ça devrait pouvoir se faire, déclare-t-il.

— Tu es sincère?

— Et sûr de mon coup! affirme-t-il.

Banco!

Histoire de rester dans la tradition, je déchire en deux la liasse de talbins.

— Le solde à la livraison, lui dis-je en lui tendant l'une des moitiés.

Il enfouille.

— T'as bien tout compris, grand? Deux gonzesses blondes, plus une brune. Elles se sont emparées de deux vieillardes et d'un gamin. Le gosse est français: dix ans, d'un châtain tirant sur le vénitien; c'est dire qu'il a des taches de rousseur autour du pif.

«Sitôt que tu auras du nouveau, appelle-moi à l'hôtel Metternich.»

Je siffle mon godet cul sec et laisse le couple à sa perplexité.

DESSINE-MOI MA LIGNE DE VIE

Les gros méchants comme le gars Conrad, c'est de la capote anglaise trouée! De la barbe à papa! Quand tu affirmes ton emprise sur eux, au lieu de te haïr, ils t'admirent. Chaque dent que tu leur casses constitue un souvenir porte-bonheur et les escalopes de veau dont ils se servent comme compresses c'est comme des bisous que tu leur ferais sur les paupières.

La manière qu'il me reconduit à la lourde et qu'obséquieusement il serre la louche que je lui tends, en révèle long comme un jour sans baise sur sa servilité foncière. Il me rend euphorique, ce mec. Je me dis qu'avec lui je risque d'obtenir du positif.

En quittant ce tandem singulier, je retourne chez mamy Muelner, des fois qu'on aurait procédé à sa levée d'écrou et qu'elle aurait regagné ses pénates. Mais ouichtre! L'apparte est plus désert que la conscience d'un usurier grec. Il sent la vieillarde, le papier jauni, la mauvaise cuisine refroidie. Alors, bon, je me casse et fonce à l'hôtel Metternich que je connais pour y être descendu lors d'un précédent séjour à Vienne, lequel était d'agrément, celui-là.

Je me trouvais en compagnie d'une petite Autrichienne que m'avait présentée Yves Simon et dont le cul et le romantisme m'avaient séduit. Car j'aime que les deux soient réunis. Quand des glandus me demandent ce que je préfère chez une gonzesse, de son intelligence ou de sa chatte, je rétorque que, pour moi, l'une n'est rien sans l'autre. Piner, c'est bon; causer, c'est bien. Acte et paroles doivent s'imbriquer pour constituer l'instant délicat auquel tout homme a droit.

Bien que je n'aie pas retenu, on me trouve une chambre confortable. De la cretonne partout, une couette moelleuse, des meubles de grand-mère autrichienne; le tout accompagné d'une salle de bains performante.

Je me déloque vite faite bien fait, et c'est la plongée délicate dans une couche à la fois ferme et souple. Je remets mes soucis au lendemain pour m'abîmer dans ces songeries voluptueuses qui t'apportent une bandaison languissante, suivie de rêves que si je te les racontais, t'aurais les yeux cernés pendant trois mois.

Une menue sonnerie me réalite. Mettant à profit un rai de lumière qui filtre à travers les doubles rideaux, je décroche. Une voix pareille à de la confiture qui bout m'annonce:

— Ici le concierge de nuit, monsieur. Il y a là une demoiselle Heidi qui désire vous voir d'urgence.

Mon tour ne fait qu'un sang! Heidi! Le cadran phosphorescent de ma tocante me propose deux heures dix. Se peut-il que mes rigolos aient déjà du nouveau?

— Faites-la monter!

Je vais ceindre une serviette de bains et délourder. Quelques petits instants après, la môme Heidi sort de l'ascenseur. Elle vient à moi, le visage serré; entre sans parler. J'ai beau la regarder interrogativement, la fille n'en casse pas une broque. Par contre, tu sais quoi? La v'là qui se dépoile à une vitesse supersonique. Décarpillage instantané. A croire qu'elle exécute un numéro à transformation.

Lorsqu'elle est en grand uniforme d'Eve, elle bondit sur le lit, s'y agenouille, les jambes fortement écartées, passe ses mains par cette arche de triomphe et attend.

Je pige tout: ma description de la brouette thaïlandaise l'a empêchée de pioncer. Alors elle vient à l'hôtel Metternich pour se faire appliquer le traitement.

J'aime bien les gerces voraces. Celles qui vont coûte que coûte au bout de leur propos. O.K. pour la prestation, fillette! Ça suffit d'admirer son panorama intime: sa voûte d'or, la culée de ses jambes admirables, pour me sentir intensément disponible.

Je lui pratique deux ou trois exquises agaceries préliminaires, manière de préparer le terrain. Michel, le bon jardinier de Télé Matin te le répète: ne jamais planter sans avoir convenablement aménagé le terrain. Tas des chiées d'étourdis qui y vont franco de port, que tout juste s'ils mettent la racine en bas. Ils oublient le terreau, la terre de bruyère, le pré-arrosage, tout ça, et conclusion, t'as ton consensus omnium à fleurs polyvalentes qu'est zingué en moins de jouge. Or, donc, j'aménage le frifri de la donzelle avant de lui prodiguer ce qu'elle est venue quérir en pleine nuitée, tant tellement son imagination lui tenaillait le trésor!

Bientôt, comme je le lui avais annoncé, les occupants des chambres avoisinantes se mettent à lézarder les cloisons à coup de bites et de poings! Hurlant qu'on arrête notre vacarme, ou bien qu'alors on les invite carrément, la situation ne tolérant pas de compromission. Faut qu'elle cesse, sinon tout le monde y participe. Mais Fräulein Heidi est sur orbite. Elle oublie la terre entière, avec ses tapages nocturnes répréhensibles, ses pauvres voyageurs solitaires obligés de se régler le compte épargne tout seuls! Faut dire que, piqué au vif, je pique des deux de manière étincelante! Lancelot du Lac! Montgomery crevant avec son bout de bois le lampion de Henri II! Une fougue quasi guerrière. Heidi hurle sa pâmade à la terre entière! Elle veut que ça se sache, sa monstre régalade! Qu'on en cause dans les journaux et à la téloche! Qu'on le répète aux générations futures, la façon forcenée que je lui fais prendre son peton! Une prouesse de cette envergure, ça appartient à l'Histoire humaine. Onc n'a le droit de la celer: il serait passible de poursuites judiciaires. Ce boulot, mamma mia! Remarque, c'est exténuant. Comparé à ma pomme, le gusman qui gagne le marathon des J.O. est frais comme une rose trémière. Quand j'achève l'exploit, une paire de bretelles est plus musclée que mézigue. C'est sous la ligne de flottaison que les avaries sont le plus pernicieuses. Je titube jusqu'à la salle de bains. Je devrais, par galanterie, céder la priorité à Heidi, mais elle-même gît en travers du lit.