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Son visage grave n'alarma pas le médecin. Il lisait une ironie pétillante dans les prunelles de la pseudomalade.

— Alors, il paraît que le moral donne de la bande, madame Heigerter? fit Smith en s'asseyant au bord du lit.

Sans répondre, elle lui saisit le palonnier d'un geste prompt et informé. Cette bougresse le convoitait tellement que sa main tremblait d'impatience.

Pourquoi à cet instant le docteur songea-t-il qu'il avait omis de se laver les mains après l'auscultation du vieux Ferguson? C'était contraire aux règles les plus élémentaires d'hygiène. Pour comble, il avait pressé un de ses bubons à la con, à travers un tampon de gaze, certes, mais le geste n'en comportait pas moins des risques de contagion. Il fut tenté d'échapper à la main vorace qui lui malaxait les bas morceaux pour procéder a des ablutions, il se retint en songeant que Molly risquait d'interpréter la chose comme une rebuffade et de renoncer à ses initiatives.

Alors, il se laissa aller. Complètement.

Après quelques jours, les pustules recouvrant la face et le torse du vieux Ferguson se firent plus nombreuses et se rompirent. La fièvre reprit. Il fut en proie à des hémorragies multiples qui s'aggravèrent et il mourut en moins d'une semaine après que le pauvre docteur Smith, débordé, l'eut enfin fait conduire à l'hôpital de Garden Walley. Dans l'intervalle, une maladie identique frappa Molly Heigerter. Des analyses de sang montrèrent une mononucléose et une myélocytose. Un œdème de la glotte avec suffocation se déclara, qui faillit l'emporter, mais sa robuste constitution lui permit d'en réchapper. Elle guérit, gardant sur son beau visage d'exquise salope une multitude de petits cratères qu'elle eut bien du mal, par la suite, à mastiquer avec des fards.

Ferguson et Molly Heigerter ne furent que les deux premières victimes d'une longue série qui devait décimer dans la contrée une vingtaine de personnes (parmi les plus fragiles: vieillards, enfants, femmes enceintes) et rendre très malade plus de la moitié de la population.

Les services de santé alertés identifièrent une réapparition de la variole, ce qui devait donner raison à la veuve Ferguson, dont le diagnostic était meilleur que celui du sensuel docteur Smith. La région fut mise en quarantaine. On s'empressa de fabriquer à nouveau du sérum antivariolique afin de protéger les citoyens et une bonne partie de l'Etat du Maine fut vacciné.

Une commission d'enquête, nommée par la Faculté de Médecine d'Augusta, fut chargée de chercher l'origine de cette étrange réapparition, dans une nation saine, d'une maladie depuis longtemps jugulée. Il y eut des conférences de presse, d'éminents articles, des interviewes de sommités internationales. Mais rien de décisif n'apparut. L'on finit par croire que cette résurgence était due à quelque voyageur contaminé par un séjour dans une contrée où la variole restait encore endémique, malgré la belle certitude des médecins qui la réputaient vaincue. Comme ce début d'épidémie avait été enrayé, on l'oublia, d'autre préoccupations mobilisant l'opinion publique.

A cause de son visage grêlé, Molly Heigerter devint réellement neurasthénique et se refusa définitivement à son mari. Mais comme il n'avait plus envie d'elle, tout fut pour le mieux dans le pire des mondes!

DESSINE-MOI UNE BITE

Il me dit, à brûle-pourpoint, en me tendant son stylo feutre:

— Dessine-moi une bite, Tonio!

Bon. Moi, pas bégueule, je lui dessine une bite. Stylisée.

Il regarde mon graffiti de pissotière, pensif, puis me dit:

— T'as remarqué, Tonio, tous les mecs que tu leur demandes de te dessiner une bite, ils la représentent à l'horizontale, avec les roustons de profil; ça ressemble à un canon braqué. T'en as jamais qui la dessinent à la verticale, c'est-à-dire pendante. Pourtant on bande peu de temps dans une journée, non? Et le bout de ton nœud regarde plus souvent tes pieds que ton front, non?

— C'est vrai, conviens-je, frappé par l'argument du môme Toinet.

Il me dit:

— On voit que t'as un gros paf, toi. La bite que tu viens de dessiner tient toute la feuille!

— Comment sais-tu que j'ai un gros paf, Toinet? je lui demande, par «curie usité».

— Je l'ai vu, dit-il avec simplicité. Le nombre de fois que j' sus entré dans ta chambre juste comme tu sortais de ta douche…

J'ai envie de lui objecter qu'un paf fraîchement douché n'a pas le carénage d'un paf en exercice.

Il me dit, pour désamorcer ma remarque:

— Et puis aussi, je t'ai vu sabrer Maria, la bonniche. Alors là, t'y mettais une verge de bourrin, Tonio! Plus conséquente que mon poignet! Bien plus! Au départ je comprenais pas qu' c'était ton chibre, m' semblait qu' t'avais un troisième bras!

Cette révélation me plonge dans une gêne qui bloque ma respirance au niveau de la glotte.

— Quand m'as-tu vu baiser Maria, Toinet? j'articule, pour dire de réagir.

Il me dit:

— Un aprème que j'étais rentré plus tôt de l'école et qu'm'man Félicie était en course. La Maria gueulait comme une putoise. Tu penses, avec un mandrin pareil dans les miches, ça n'avait rien de surprenant! Elle avait besoin d'en causer!

— Je n'avais pas fermé la porte à clé? m'inquiété-je, troublé.

— Si, mais t'avais pas bouché le trou de la serrure et, à travers lui, on a une vue directe sur ton plumard, je te signale. Je devrais pas te le dire, maintenant tu vas te gaffer de la chose et accrocher ton slip après la clé. Si bien que pour mater, tintin!

Il rit.

Notre converse n'a rien de pervers, je te rassure. Moi, c'est pas mon style de dévergonder un gamin de douze ans. On cause entre hommes, le plus simplement du monde. Y a que les viceloques pour y trouver malice.

On bouffe tête à tête, Toinet et moi. Ma chère vieille est à Abano, pour une cure contre ses rhumatismes. Il lui en est venu brusquement un peu partout: épaules, poignets, genoux. Le doc l'a expédiée chez les Ritals prendre des bains de boue. Ça fait trois jours qu'elle batifole dans la gadoue, Féloche, et déjà elle ressent un grand mieux. Dès lors, je m'occupe davantage du môme, m'efforçant de rentrer pour le dîner, malgré mes occupes. Maria n'a pas assez de poigne pour lui faire lâcher les programmes avant l'extinction de la dernière des chaînes. Le frichti n'a pas le raffinement de celui de ma vieille. On donne dans les œufs au jambon, les nouillettes au beurre et la saucisse de Toulouse au riz, depuis son absence.

Il me dit:

— C'est dingue ce qu'elle peut avoir comme poils au cul, Maria.

— Tas eu le temps de constater ça! m'étonné-je.

— Mouais, et à tête reposée. Elle me montre quand je lui réclame.

— Quoi! égosillé-je.

Justement, elle est en train de chantonner dans la cuistance, l'ancillaire. L'absence de ma Félicie ne la chagrine point trop. Elle chique les maîtresses de maison. Ses responsabilités lui donnent de l'importance. C'est le coup classique. Quand tu veux calmer un garnement turbulent, tu le charges de surveiller la classe; et alors il change tout au tout, devient fumier rapineur, intransigeant!

— Maria te laisse regarder son cul! m'étranglé-je.

— A la demande, répond placidement Toinet.

— C'est une vicieuse, cette Espanche!

— Non: une peureuse. Je lui ai dit que je t'avais vu la sabrer et que si elle ne me laissait pas regarder, je le dirais à m'man Félicie. Alors elle glaglate et me montre tout ce que je veux. Bientôt, j'y demanderai de toucher; ça devrait pouvoir s'arranger. Et puis un jour, p't'être… Mais rien ne presse, j'ai qu' douze ans!

Il écrase son jaune d'œuf avec un gros morceau de pain qu'il s'enfourne ensuite dans la clape. Il m'adresse un clin d'œil. A travers sa mastication il questionne: