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«Le clou du spectacle représentait le cabinet d'un psychiatre. Le médecin psychanalysait une luronne languide, laquelle se mourait de consomption, parce qu'en amour elle ne parvenait pas à trouver chaussure à son pied. Vous le devinez, le docteur essayait de la revigorer par ses propres moyens physiques dont je dois admettre qu'ils étaient estimables. Mais la donzelle restait sur sa faim. Le psy mandait alors son concierge, quelque peu plus membré que lui. Toujours sans que la cliente en conçût la moindre satisfaction.

«C'est alors que je me manifestais. L'on avait accru mon aspect rétro par une mise surannée. Je portais lorgnon, guêtres de daim, pantalon rayé, veste noire, lavallière de soie grise. Je demandais, depuis ma table, si l'on voulait bien m'essayer. Hilarité dans la salle. Le «docteur» m'invitait à rejoindre sa patiente. Je commençais alors un strip-tease qui faisait se plier en deux l'assistance, jusqu'au moment où je finissais par déballer ce qui serait l'objet de ma vanité, si j'étais vaniteux. Alors un silence merveilleux muselait le public. La dame blasée se jetait sur mon membre, achevait par des caresses enthousiastes de le mettre au beau faxe et, là, Antoine, je la prenais sur le divan médical. J'avais pour partenaire une personne hautement comestible dont la peau parlait à la mienne et dont le parfum de femelle me chavirait. Elle appréciait loyalement notre étreinte et je crois sincèrement que c'est sur la piste de La Charte en Feu que j'ai accompli mes meilleurs prestations amoureuses.

«La présence de ces gogos en rut ne me troublait pas. Peut-être même attisait-elle quelques fantasmes secrets en moi? La salle retenait son souffle mais exhalait mille plaintes. Quand je me retirais c'était l'ovation spontanée! Des houris frénétiques abandonnaient leurs compagnons de soirées pour venir toucher ma biroute fourbue. J'ai compris ce que pouvait être la gloire d'un artiste de music-hall. Certains soirs de liesse déferlante, je me prenais presque pour Aznavour et j'avais envie de régaler l'assistance d'une branlette supplémentaire, comme le grand Charles accorde une dernière chanson a capella (ou a cappella) à ses fans en délire.»

Il rêvasse un instant et je note un certains remue-ménage dans le pyjama, provoqué par l'évocation. Les flammes illuminent son visage de vieux jeton branlant. Un paf surcalibré comme le sien constitue chez lui une double anomalie.

— Eh oui, Antoine, soupire-t-il, eh oui, ça été une sacrée période de ma vie. J'étais assailli d'invitations! Le nombre de personnes qui ont voulu m'avoir chez elles, mon cher! Très vite, je me suis fait payer. J'étais un virtuose, après tout! Invite-t-on Menuhin à venir jouer du violon chez soi contre une tranche de foie gras et un magret de canard aux pêches? Je peux vous révéler une chose plaisante, Antoine: j'ai fait fortune. Pas une fortune qui porte ombrage à Bouygues ou à Lagardère, mais une fortune à ma mesure qui, convenablement investie, assurera mes vieux jours si toutefois les méchants qui me cherchent m'en laissent!

— Eh bien! bravo, Félix! Tous mes compliments.

Il sourit, lointain.

— Un jour, j'ai dû cesser mes représentations par la faute de ma partenaire. Elle s'est mariée à un notable de province et personne n'a pu la remplacer de manière à me garder opérationnel. Beaucoup de gens «ont leurs têtes», Antoine. Moi, j'ai «mes culs». Il me faut une motivation secrète, une impulsion subconsciente. Ainsi, de l'affreuse boscotte qui m'héberge. J'ai besoin du petit rien qui fait de moi un surbandant, sinon je ne suis qu'un triste sexagénaire aux prises avec sa sénescence. Vous me comprenez, Antoine? Sans la touche mystérieuse de la nature, votre vieux Félix n'est plus qu'un pauvre con à la queue. basse. Vous me comprenez?

— Je pense que oui, lui dis-je. Sincèrement.

DESSINE-MOI UNE TÊTE D'HAINEUX

Il surmonte son coup de flou, Félix. Je trouve que son strabisme converge de plus en plus. Ça lui fait pendouiller le regard sur le cercle inférieur de ses lunettes. Il n'est pas rasé et son poil grisâtre le transforme en malade, le pyjama aidant. Curieux que la nature se soit montrée si bienveillante avec sa braguette.

Il repousse de sa mule un menu brandon jailli de la cheminée. Puis poursuit:

— Peu de temps après ma mise à la retraite, alors que j'avais fait des adieux émus à mes partenaires de La Chatte en Feu, j'ai reçu une lettre des Etats-Unis. Elle émanait d'un certain professeur Broutmich, d'Augusta, dans le Maine. Cet homme honorable dirige le service gériatrique de l'hôpital Namofgod, l'un des plus réputés de la côte Est. Dans sa lecture, il m'expliquait qu'une de ses collaboratrices, Nelly Nicethigh, avait assisté à ma prestation lors d'un voyage à Paris et avait parlé au professeur de la surdimension de mon pénis. La description qu'elle en avait donnée troublait le praticien. Il me précisait que si mon élément reproducteur dépassait les 40 centimètres, il était prêt à m'inviter à Augusta pour une série d'observations dans son service; tous frais de déplacement et de séjour payés, avec, en plus, une prime de vingt mille dollars. Pour un homme devenu libre et empêtré dans sa liberté, l'offre était intéressante. Je pris un mètre de couturière, vérifiai ta longueur de mon sexe (48 centimètres) et répondis par l'affirmative à la proposition du professeur Broutmich, auquel j'adressai une photo de moi, nu et en pied, afin qu'il pût constater la réalité de ma bienheureuse anomalie. Quinze jours plus tard, je débarquais à Augusta.

«Prendriez-vous un petit quelque chose, Antoine? Je vous préviens que mon récit sera long. La vieille bosco a une liqueur d'abricot des plus agréable qui s'absorbe sans qu'on y pense, comme un feuilleton américain.»

Sans attendre ma réponse, il va chercher dans un petit meuble en marqueterie un flacon habillé d'une étiquette pimpante, plus deux verres de cristal de petite contenance et qu'il emplit d'une main qui commence à trembler légèrement.

— Au début de mon séjour américain, j'ai eu beaucoup de plaisir. Helmut Broutmich, d'origine germanique, est un homme agréable, plein d'attentions. Son assistante qui est aussi sa maîtresse, à qui je devais d'être connu de lui, mourait d'envie d'essayer mon membre. Depuis sa soirée à La Chatte en Feu, elle fantasmait sur mon phallus et vint me violer dans ma chambre dès la première nuit. C'est une jolie fille, un peu maigre mais pas si étroite que sa morphologie ne me le laissait craindre. Je lui donnai satisfaction, ce qui était la moindre des choses. Sa maigreur m'inspira et ce fut une opération réussie pour les deux.

Côté clinique, ce ne fut pas assujettissant. J'eus droit à une séance de photos et de mensurations précises. On fit également des radios. Broutmich me produisit dans un amphithéâtre à des confrères à lui, puis à ses étudiants. J'eus la grande satisfaction de provoquer un désir incoercible chez une jeune fille qui se croyait frigide et fuyait tous rapports sexuels, de quelque nature qu'ils fussent. J'accordai à l'adolescente quelques séances particulières, mais ne pus, hélas, concrétiser ses vœux, nonobstant les oléagineux auxquels nous eûmes recours pour tenter une percée. Elle dût se contenter de chevaucher l'objet, ce qui la conduisit tout de même à une pâmoison de bon aloi et lui ouvrit du moins des perspectives d'avenir. Vous le voyez, cher Antoine, mon expérience américaine ne manquait pas d'agrément.