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Ça fait un bout de temps que je ne me suis pas couché dans un bon lit tout blanc.

Il n’est pas loin de midi lorsque je me réveille.

Je commence par le commencement, c’est-à-dire par prendre une douche froide, ensuite de quoi je téléphone à Cecilia, histoire de lui donner un petit bonjour. Mais ça ne répond pas à son domicile. Je demande alors Nord 54, deux fois, et c’est sa voix harmonieuse qui lâche dans l’ébonite le traditionnel « Hello ! ».

— Passé une bonne nuit ? demande-t-elle.

Il y a quelque chose de moqueur dans son ton.

— Pas mauvaise. Pourquoi ?

— C’est votre genre, le brun ? C’est vrai que la Française est surtout brune.

Je deviens prudent comme un gars chargé de déminer une région.

— Tout ça pour en arriver à quoi ?

— A la petite taxi-girl que vous avez enlevée cette nuit.

Je prends l’apostrophe dans les gencives.

— On est en Russie ou en Amérique ? Je râle ! On me fait suivre ! Si c’est ça, je refais ma valise et le premier avion pour la Francecaille, y’a moi dedans !

Elle éclate de rire.

— « On » ne vous fait pas suivre, affirme-t-elle. Mais « on » fait suivre tous les hommes qui attendent une taxi-girl à la sortie de son travail. C’est la plus élémentaire précaution, vous ne pensez pas ?

Je ne réponds rien.

Évidemment, j’aurais dû me douter de la chose. En tout cas, ils font fort bien leur service, les anges gardiens, je ne me suis aperçu de rien. Très élégamment fait !

Je pense à Stumm, lequel m’a sauté sur le poil illico. Mazette, ils ont mis en place le dispositif numéro un.

— Vous n’êtes resté chez elle qu’une heure, fait-elle. Je croyais que les Français restaient beaucoup plus longtemps chez les jeunes femmes.

Je me fous en rogne.

— Vous verrez, lorsque j’irai chez vous !

Elle ne l’a pas volé. Du reste, ça la déconcerte un peu.

— Dites-moi, Cecilia, soyons sérieux. J’ai simplement voulu me rendre compte de la façon dont vivait une taxi-girl.

— Et c’est concluant ?

— Qui sait ?.. Autre chose : cette surveillance étroite dont les maisons de danse font l’objet, y’a-t-il longtemps que vous l’exercez ?

— Dès le deuxième meurtre… et elle n’a fait que se renforcer.

— Je ne vois pas comment, en ce cas, mon « compatriote » a pu commettre les cinq autres forfaits.

— Nous non plus ne le voyons pas.

— Il paraît que toutes les boîtes appartiennent à un consortium ?

— C’est exact.

— Et il paraît également que le consortium a à sa tête un certain Maresco ?

— Dites-moi, vous en avez appris des choses !

— Une heure bien employée, en compagnie d’une brunette. Et encore, je ne parle pas la langue du pays !

Là, je viens de marquer un point.

— Qui est ce Maresco ?

— Vous avez entendu parler d’Al Capone ?

— Je connais mal l’histoire des États-Unis, mais je sais qu’après La Fayette, c’est le gars qui a le plus fait parler de lui ici.

— Maresco a été comme qui dirait un de ses lieutenants.

— Bravo. Et, vis-à-vis de la police, quel rôle joue-t-il, actuellement ?

— Aucun. Il se tient…

— … Peinard ?

— C’est ça.

— Ça veut dire quoi ? Qu’il bande les yeux des flics avec des gros billets ?

— Ça veut dire ce que je vous dis : il se tient peinard. L’origine de sa fortune est plus que douteuse, mais la façon dont il la gère est régulière.

— Bon, bon… Où habite-t-il, cet honnête homme ?

— Pourquoi ?

— J’aimerais lui dire un petit bonjour.

Elle semble abasourdie.

— Quoi ! Vous voulez voir Maresco ?

— C’est pas le bon Dieu, non ?

— Ici, c’est beaucoup plus ! Pour le voir, on a une recommandation du gouverneur au moins et on demande audience deux mois à l’avance.

— Bon. Il habite où ?

— Kedzie Avenue, près de Garfield Park.

— Sa maison ne porte pas un numéro ?

— Peut-être, mais elle n’en a pas besoin, car tout le monde la connaît.

Elle ajoute :

— Vraiment, vous allez essayer de le voir ?

— Je vais le voir, Cecilia.

— Quelle idée !

— N’est-il pas le grand patron de toutes les filles mortes ?

— Si, dans un sens.

— Eh bien, c’est dans ce sens-là que je veux parler. Il a eu des réactions, Maresco, en voyant qu’on démolissait ses gambilleuses ?

— Il a offert une prime à qui découvrirait — ou permettrait de découvrir — l’assassin.

— Grosse ?

— Dix mille dollars.

— Hum ! C’est d’un bon patron, un pareil geste !

Je réfléchis afin de voir si je n’oublie rien. Mais non, je lui ai posé toutes les questions qui me titillaient la langue.

— Ça va, je vous laisse travailler, mon ange. Faites mes amitiés à Grane.

Elle prend un ton très nonchalant pour demander :

— Je vous vois, aujourd’hui ?

— Évidemment, dis-je. Il est bien entendu que vous m’invitez ce soir, à neuf heures, à prendre un drink chez vous. J’ai votre adresse !

Je raccroche sans lui laisser le temps de retrouver ses esprits.

CHAPITRE IV

« Maresco (bis) »

Kedzie Avenue est en plein cœur de la ville. J’avise un mec occupé à ramasser des débris de papier ou des épluchures de fruits qu’il jette dans une sorte de tonneau à roulettes.

— Hello ! Je lui lance, the Maresco House, please ?

Vous vous rendez compte combien mon anglais se perfectionne ? Du reste, il n’hésite pas un quart de seconde et me désigne une bicoque qui conviendrait parfaitement à M. Ford pour monter une succursale.

Un immense dais bleu, clouté d’étoiles d’or, orne l’entrée. De part et d’autre de la lourde, il y a deux portiers galonnés. M’est avis que si le Maresco ne se prend pas pour le président des Etats-Unis, il ne se prend pas non plus pour l’excrément qui décore la bordure du trottoir.

Je grimpe les marches du perron.

Les deux portiers, sans se consulter, se rapprochent, ce qui bloque net la lourde.

Je bigle les deux immenses épaules jointes. C’est ce qu’un prof de géographie appellerait une « frontière naturelle » !

L’un d’eux me pose une question. Sans doute me demande-t-il ce que je viens maquiller.

— I veux voir Mr. Maresco !

Ils me dévisagent.

Alors, je gueule :

— Police ! En leur soufflant dans le nez à la façon de King-Kong.

Là, je les émeus un tantinet.

Le plus massif (tout en ronce de noyer !) me fait signe de le suivre. Nous pénétrons dans un hall au fond duquel un huissier en smoking, qui ressemble à un croupier, dit des trucs inaudibles dans un téléphone intérieur.

Lorsqu’il a raccroché, il nous dévisage sévèrement. Le portier baratine. Je laisse flotter les rubans.

— I not speak english, dis-je modestement, après qu’il a jacté. I am a french policeman. I will, I want. M…, je veux voir Maresco, et au trot, remuez-vous ou je fais un malheur !

L’huissier ne bronche pas.

— Ask Nord 54–54, lieutenant Grane ! Fais-je sèchement.

J’écris le numéro de téléphone.

A la fin, l’huissier décroche son appareil intérieur et demande conseil à un mec.