Выбрать главу

Tout cela, Catherine le savait et se le remémorait tandis que le nouveau gouverneur, avec assez de grâce pour un homme aussi lourdement charpenté, s'inclinait devant elle en balayant le dallage des plumes de héron de son bonnet plat. Il portait l'étrange costume de son pays : chausses collantes dont le joyeux quadrillage vert, rouge et noir se répétait sur la grande écharpe de laine qui barrait la cuirasse cabossée et s'attachait à l'épaule par une lourde plaque d'argent ciselé. Un pourpoint de buffle supportait cette cuirasse et drapait des épaules de taille respectable. Le ceinturon supportait une dague longue comme un glaive romain et un curieux sac fait de peau de chèvre. En entrant chez Catherine, Kennedy avait déposé dans un coin son arme traditionnelle, la claymore, cette gigantesque épée à deux mains dont le nom, hurlé dans les batailles, servait de cri de ralliement. Malgré sa taille et son poids, Kennedy maniait sa claymore d'une seule main et avec une déconcertante aisance.

— Je n'espérais pas, Madame, avoir, en venant ici, le bonheur "de revoir la plus belle dame de France, sinon je serais venu beaucoup plus vite.

Il parlait un français rapide, extraordinairement aisé et presque sans accent. Sans doute y avait-il longtemps qu'il s'occupait des paysans de France ! Catherine ébaucha un sourire qui n'atteignit pas ses yeux.

— Merci du compliment, Seigneur. Pardonnez-moi de n'avoir pas réclamé plus tôt votre visite. Ma santé...

— Je sais, Madame. Ne vous excusez pas. C'est moi qui suis heureux du privilège que vous voulez bien m'accorder.

Doublement heureux puisque je constate que vous allez mieux. Mes hommes chanteront, ce soir, à la chapelle, un Te Deum en votre honneur.

En l'écoutant, Catherine reprenait un peu d'espoir. Elle avait craint de voir surgir une sorte de geôlier implacable, mais les procédés de l'Écossais semblaient annoncer qu'il n'userait pas de rigueur avec elle. Elle croisa ses doigts en les serrant très fort, du geste qui lui était familier, désigna un siège à son visiteur, puis :

— J'ignore, sire Kennedy, ce que vous ont dit le comte Bernard, en vous envoyant ici, et messire de Montsalvy en vous y accueillant, mais je voudrais savoir quelle doit être ma vie à l'avenir ; suis-je prisonnière ?

Sous leurs sourcils circonflexes, les yeux de Kennedy s'arrondirent comme deux billes bleues.

— Prisonnière ? Pourquoi donc ? Votre époux, que je connais depuis longtemps, m'a confié cette forteresse et vous-même en me disant qu'il lui fallait s'absenter pour de longs mois. J'aurai donc, Madame, l'honneur de défendre Carlat et le bonheur de veiller sur vous.

— Parfait ! dit Catherine. Puisque vous ne semblez, Messire, avoir en seule vue que ma satisfaction, je pense donc faire prochainement un petit voyage. Vous chargerez-vous de mes équipages ?

Elle avait trouvé, pour cette ultime question, un sourire charmant. Mais il n'eut pas sa contrepartie. Au contraire, Kennedy sembla perdre d'un seul coup toute sa joie de vivre. Les lignes de son visage tombèrent et un gros sillon se creusa dans son front.

— Gracieuse dame, dit-il avec un effort visible... C'est la seule chose que je ne puisse vous accorder. Sous aucun prétexte vous ne devez quitter Carlat... à moins que ce ne soit pour Montsalvy où, dans ce cas, je devrai vous remettre aux mains du vénérable père abbé, avec deux hommes de confiance pour veiller sur vous.

Les mains de Catherine se crispèrent sur les accoudoirs sculptés de son fauteuil. Ses yeux lancèrent des éclairs.

— Savez-vous bien, Messire, ce que vous dites... et à qui vous le dites ?

— À la femme d'un ami ! soupira l'Écossais. Donc à quelqu'un qui, m'étant confié, m'est plus cher que ma propre famille. Même si je dois, en gémissant, déchaîner votre courroux, j'accomplirai le devoir que m'a imposé Montsalvy et ne faillirai point à la parole donnée. Voyez-vous, votre époux est mon frère d'armes...

Encore ! L'irritation gonfla les minces narines de la jeune femme. Trouverait-elle toujours, devant elle, cette invraisemblable solidarité des hommes ? Ils se tenaient les uns les autres comme les doigts d'une seule main et rien, apparemment, ne pouvait rompre cette puissante magie. Une fois de plus, elle était prisonnière et, cette fois, dans sa propre demeure. Il faudrait, sans doute, user de ruse... à moins que la force pure ? L'Écossais était vigoureux, mais de quel homme son fidèle Normand ne viendrait-il pas à bout ?

Avec infiniment de grâce, Catherine se tourna sur son siège, appela Sara d'un geste de la main.

— Va me chercher Gauthier, dit-elle avec une inquiétante douceur. J'ai à lui parler.

— Pardonnez-moi, Madame, répondit la gitane, mais Gauthier est parti chasser ce matin à l'aube.

— Chasser ? Avec quelle permission ?

Ce fut le gouverneur qui se chargea de la réponse.

— Avec la mienne, gracieuse dame. En arrivant, l'autre soir, mes gens ont tué un ours. La femelle, folle de colère, était lâchée sur le pays et, déjà, un homme a été tué. Votre serviteur... un homme extraordinaire entre nous, m'a demandé de le laisser mener seul la chasse. À l'entendre il sait comme personne tuer les ours. Et j'avoue que je le crois volontiers.

Catherine soupira. La passion de Gauthier Malencontre pour la chasse, elle la connaissait bien. L'ancien forestier ne pouvait pas repérer, sous bois, la trace d'un animal quel qu'il fût sans se comporter comme un vieux cheval de bataille qui entend la trompette. Elle éprouva un peu d'humeur en songeant que, délivré des soucis de sa santé à elle, il n'avait rien trouvé de mieux que s'en aller courir les grands chemins.

— Eh bien, mais vous avez eu raison, Messire. Mon écuyer est un homme des bois, il n'aime que le grand air, les grands espaces et c'est un remarquable chasseur. Souhaitons qu'il rencontre l'ourse...

Elle tendit la main pour marquer que l'audience était finie. Kennedy ne s'y trompa pas, prit cette main et y posa ses lèvres.

— N'avez-vous plus rien à me demander ? Hormis vous laisser errer sur les routes sans surveillance, il j n'est rien que je sois prêt à faire pour vous et...

Il n'acheva pas. Poussée violemment de l'extérieur, la porte de la chambre venait de taper rudement contre le mur.

Gauthier, sale à faire peur et rouge d'avoir trop couru, apparut au seuil, portant sur son épaule un étrange paquet.

Catherine vit, pendant devant la poitrine du géant, de longs cheveux noirs, un visage verdâtre aux yeux clos.

Au seuil, le géant s'arrêta un instant, regarda tour à tour Kennedy encore courbé et Catherine, si droite et si pâle dans son fauteuil. Puis, remontant son fardeau sur son dos, il marcha droit à la jeune femme. Avant qu'elle ait pu seulement dire un mot, il avait fait glisser à terre, jusqu'à ses pieds, le cadavre de Marie de Comborn.