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— C'est chez l'éperonnier Naudin. Je me demande si...

Il n'acheva pas. Par ailleurs le drame fut bref. Au bout de quelques minutes, les archers qui étaient entrés dans la maison en ressortirent, poussant devant eux, à coups de bois de lance, trois hommes, l'un âgé et deux plus jeunes. Celui qui venait en dernier se débattait comme un démon, jouant des pieds, de la tête et des coudes, essayant de rejeter les deux hommes qui le maintenaient. Catherine, hypnotisée, regardait.

— Qu'est-ce que cela veut dire ? balbutia-t-elle.

— Que Naudin cachait dans sa maison un cousin de sa femme qui a eu le tort de refuser au Grand Chambellan une terre dont il avait envie... et que quelqu'un les a dénoncés. Quelle misère ! La Trémoille pille, vole, tue et le Roi laisse faire.

Avec une violence dont il ne fut pas maître, le pelletier saisit sur la table un fragile vase de terre bleu qu'il jeta à terre où il éclata en mille parcelles azurées.

— Mais moi, je vous fais courir un danger semblable ! fit Catherine d'une voix blanche. Qui dit que, demain, vous ne serez pas dénoncé ?

— C'est possible ! riposta Cœur fermement, mais je refuse de me laisser intimider. Ce que le chambellan reproche le plus à Naudin, c'est d'avoir soutenu, aimé et admiré la Pucelle. C'est d'avoir osé dire hautement que c'était grand malheur et grand péché de l'avoir si lâchement abandonnée. Tous ceux qui parlent ainsi sont en danger. Même une femme de bien comme Marguerite La Thouroulde, chez qui Jehanne logeait, n'est plus en sûreté. Le favori veut extirper du royaume tout ce qui, de près ou de loin, peut rappeler la Pucelle. Il l'a toujours combattue, et il faut qu'il obtienne raison contre elle par-delà la mort ! Et cela, à un moment où plus que jamais le royaume aurait besoin de paix. L'argent est rare, les cultures inexistantes, le commerce mort. Les grandes foires n'existent plus, les marchandises évitent la France et vont de Venise à Bruges en passant par la Bavière et les États allemands. Et le peu qui reste se dirige inexorablement vers les coffres de La Trémoille.

— Qu'allez-vous faire alors ?

— Rien pour le moment. Le favori est un sanglier qu'il faut chasser aux armes de guerre. Je laisse le soin d'en venir à bout au connétable de Richemont et à la reine Yolande lorsqu'elle reviendra. Mais, une fois La Trémoille abattu, il faudra reconstruire, relancer le commerce, faire de l'argent. Et c'est pour cela qu'au printemps je partirai.

— Partir ? Mais pour quelle destination ?

Les ports de l'Orient, répondit le pelletier, l'œil sur le grand portulan qu'il avait plaqué au mur. Passé les tempêtes d'équinoxe, la galée de Narbonne partira pour son périple habituel autour de la Méditerranée. Je partirai avec elle et j'emporterai des marchandises que je garde en réserve : des émaux, des toiles fines, des vins, du corail de Marseille, pour rapporter des soies, des épices, des fourrures, tout ce qui devient introuvable, et aussi pour nouer de nouvelles relations commerciales dont le Roi bénéficiera. Ensuite, quand tout sera lancé, je rouvrirai les vieilles mines d'argent, de fer, de plomb et de cuivre jadis creusées par les Romains et abandonnées depuis. Le royaume renaîtra, plus riche... infiniment plus riche !

Stupéfaite, Catherine regardait le marchand. Il l'avait oubliée et, les yeux au loin, vivait son rêve grandiose. Elle découvrait qu'il y avait du prophète dans cet homme. Un instant, elle se trouva reportée plusieurs années en arrière, auprès de Garin de Brazey, son époux. Lui aussi, comme le pelletier berrichon, croyait à la puissance du commerce avec l'Orient.

L'argentier borgne eût compris, apprécié, aimé peut- être ce bourgeois audacieux qui lui ressemblait par bien des côtés.

Un silence tomba sur la petite pièce calme. Dans la rue, le bruit avait cessé. Seuls, quelques rares passants se hâtaient de traverser la dangereuse rue, jetant des regards apeurés vers la porte éventrée de la maison Naudin. Quelques gouttes d'eau commencèrent à frapper les vitres.

— Vous voyez bien, dit Catherine tout doucement, que vous n'avez pas le droit de courir un risque, même minime, même méprisé, en me gardant ici. Votre destinée a trop d'importance, maître Jacques. Si l'on commence à dénoncer, vous n'êtes plus en sûreté. Ne pouvez-vous me faire conduire dans quelque maison des champs, quelque ferme où j'attendrai que revienne Xaintrailles ?

Mais la colère avait fait sortir le pelletier de son habituelle réserve. Se penchant vers la jeune femme qui s'était assise sur un tabouret, les mains au creux des genoux, il prit le doux visage entre ses deux mains.

Dans ce pauvre pays, dit-il passionnément, il demeure bien peu de choses belles et précieuses, Catherine. Vous êtes de ces choses rares et j'envie, de toutes mes forces, l'homme que vous aimez. Je n'ai droit qu'à votre amitié, laissez-moi la mériter et s'il y a danger, tant mieux, puisqu'il donnera plus de prix à mon dévouement. Vous resterez ici.

Il se pencha davantage et, incapable de s'en empêcher, posa ses lèvres sur celles de la jeune femme. Mais ce fut un baiser léger, doux et tendre qui venait de l'âme plus que de la chair. Pourtant Catherine frissonna au contact de la bouche de Jacques et, inconsciemment peut-être, y trouva plaisir. Sur ses épaules, les mains du pelletier s'étaient mises à trembler et s'étaient faites lourdes, trahissant son trouble profond. Il se détacha cependant d'elle mais sans la lâcher.

— Je vous défends de bouger d'ici, Catherine. Il faut avoir confiance en moi.

— Mais, j'ai confiance, mon ami ! Toutes mes craintes viennent du danger que je fais peser sur vous.

— Oubliez-le ! Je saurai en défendre les miens tout en vous protégeant.

Les doigts de Jacques s'imprimaient dans la chair de Catherine avec une force dont il n'avait pas conscience tant était ardente sa volonté de lui faire partager sa foi en lui-même. Il avait complètement oublié ce qui venait de se passer dans la rue et sursauta quand une voix tranquille dit, au fond de la pièce :

— Il vous faut descendre au magasin, Jacques. La dame de La Trémoille vous demande et vous savez qu'elle n'est pas patiente.

Tous deux se retournèrent vers la porte où Macée se tenait, toute droite et paisible en apparence. Malgré elle, Catherine se sentit rougir. Depuis combien de temps la jeune femme était-elle là ? Avait-elle vu son mari embrasser la réfugiée ?

Rien dans son comportement ne le laissait supposer et, sans doute, Macée arrivait-elle tout juste. Pourtant Catherine se sentit coupable et, presque à son corps défendant, baissa les yeux.

Je disais à maître Jacques combien j'avais regret de vous mettre en péril, Macée. Je le priais de me laisser partir.

La jeune femme fit un pas dans la pièce et sourit.

— Je suis certaine qu'il a tout fait pour vous rassurer. Chez nous, l'hôte est l'envoyé de Dieu et, comme tel, il est sacré.

Et puis, où iriez-vous, dame Catherine ? Allons, Jacques, descendez. Elle s'impatiente.

L'arrivée soudaine de Macée avait atténué la gravité de ce qu'elle venait annoncer. Catherine frissonna en songeant à celle qui se trouvait en ce moment sous ses pieds. La dame de La Trémoille ! La belle Catherine de La Trémoille ! Celle qui tenait Arnaud en son pouvoir, celle qu'il avait toujours repoussée et que Catherine avait gravement offensée jadis.

Pâlissant soudain, elle se tourna vers le pelletier.

— Vite, maître Cœur, je vous en supplie... Il ne faut pas lui donner le moindre soupçon. Si elle se doutait que je suis ici, nous serions tous perdus. Elle saurait me reconnaître même sous un froc de moine et elle me hait...

— Je sais, répondit Jacques Cœur. J'y vais.

Macée et Catherine demeurèrent seules, face à face