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— Il est jaloux ! dit-elle.

Jaloux ? C'était bien possible ! Catherine, un instant, en éprouva quelque contrariété, mais, durant ces jours chargés d'angoisse, elle ne pouvait s'intéresser longtemps à quelqu'un d'autre qu'Arnaud et ne releva même pas le propos. Elle et Xaintrailles livraient contre la mort un combat sans merci, avec l'aide de Sara et de la vieille Mahaut. Les Cœur, avec un tact infini, ne se montraient que deux fois le jour pour prendre des nouvelles. Autour du drame qui se jouait dans la chambre du second, la maison poursuivait sa vie habituelle, tout unie et sans reliefs car il s'agissait avant tout de ne pas attirer l'attention. Pour plus de sûreté, Jacques Cœur avait même fait partir le poète Alain Chartier pour l'une de ses fermes. Il s'était mis à courtiser une petite servante et cela pouvait être dangereux.

La fièvre ne lâchait pas prise, secouant le corps émacié d'Arnaud qui passait tour à tour d'un délire presque frénétique à une torpeur totale, d'une épuisante lutte contre d'invisibles ennemis à une tragique immobilité où sa respiration même devenait difficilement perceptible. Il demeurait alors étendu sur son lit, les narines pincées. Dans ces moments-là, Catherine, le cœur serré, croyait la dernière heure venue et regrettait les fureurs du délire. Elle l'entourait de soins incessants, renouvelant chaque jour le cataplasme d'herbes sur les yeux malades et remerciant Dieu quand, avec une peine infinie, elle avait réussi à faire absorber au blessé un peu de nourriture.

Outre l'état d'Arnaud, elle avait un autre sujet d'angoisse. Le coup de force de Xaintrailles contre le château de Sully avait eu, bien entendu, des répercussions. Heureusement pour le capitaine aux cheveux rouges, La Trémoille ignorait qui avait tué ses hommes et incendié son domaine, Xaintrailles ayant pris bien soin de bannir, pour sa troupe et pour lui-même, tout signe distinctif. Pour tout le monde, un chef de bande avait surpris la défense du château et en avait arraché un prisonnier sur l'identité duquel le chambellan demeurait étrangement discret.

— Mais, confia Xaintrailles à Catherine, si La Trémoille n'a pas la certitude que le coup vient de moi, du moins s'en doute-t-il, et je peux m'attendre à n'importe quel traquenard. C'est pourquoi, chaque soir, je ne sors de chez moi que déguisé en valet et ne viens ici qu'après une station chez une dame de mes amies dont la maison possède une heureuse issue habilement dissimulée par laquelle je repasse avant de rentrer.

Xaintrailles prenait un plaisir évident à berner le gros chambellan et ce plaisir-là inquiétait Catherine. Sa vie et celle d'Arnaud n'étaient-elles pas l'enjeu de cette mortelle partie de cache-cache ? Et où, en cas de besoin, dissimuler le blessé inconscient si la maison des Cœur devenait suspecte ? Dans une cave ? Lorsque le délire s'emparait d'Arnaud, il poussait des cris à percer les plafonds et il fallait calfeutrer la chambre pour ne pas intriguer les passants.

Mais, à l'aube du sixième jour, tandis qu'agenouillée dans un coin de la chambre, devant une image de Notre-Dame, Catherine priait de tout son cœur, la tête dans les mains, et que Xaintrailles, debout au pied du lit, s'étirait comme un grand chat avant de se préparer à repartir, une voix faible mais nette vint couper l'oraison de la jeune femme et fit tressaillir le capitaine.

— Tu portes la barbe, maintenant ? Tu sais que tu es affreux comme ça ?

Un cri étouffé jaillit de la gorge de Catherine qui bondit de son prie-Dieu. Légèrement soulevé sur ses avant-bras, Arnaud regardait son ami avec un sourire pâle mais résolument moqueur. Il avait arraché le bandage de ses yeux qui étaient encore rouges, mais qui, apparemment, voyaient clair. Xaintrailles, son regard brun étincelant de joie, fit une grimace comique.

— Il paraît que tu as décidé de rejoindre le monde des vivants, tout compte fait, dit-il d'une voix qui s'enrouait d'émotion maîtrisée à grand-peine. On était pourtant bien tranquilles, comme ça, n'est-ce pas, Catherine ?

— Catherine ?

Le blessé tournait la tête vers l'endroit que regardait Xaintrailles, mais déjà, riant et sanglotant tout à la fois, la jeune femme s'abattait à genoux près du lit. Incapable d'articuler même une syllabe, elle saisit la main d'Arnaud et l'appuya contre sa joue inondée de larmes, couvrant, entre deux sanglots, cette main de baisers.

— Ma mie ! balbutia Montsalvy bouleversé. Ma douce Catherine !... Par quel miracle ? Dieu a donc permis que je te revoie ? Je n'ai donc pas, en vain, crié vers lui du fond de ma prison ? Tu es là ? C'est bien toi ?... Tu n'es pas un rêve, dis ? Tu es bien réelle...

Dans un terrible effort, il tentait de se redresser encore pour l'attirer à lui tandis que de grosses larmes roulaient sur son visage émacié. Jamais Catherine ne l'avait vu pleurer, l'orgueilleux Montsalvy, et ces humbles larmes, qui donnaient la mesure de son amour pour elle, lui parurent cent fois plus précieuses que les plus riches présents. Il pleurait de joie, pour elle, à cause d'elle ! Bouleversée de tendresse, elle se coula contre lui, entourant de ses bras les épaules, à l'ossature saillante, appuyant sa bouche tremblante à la joue d'Arnaud.

— Je suis aussi réelle que toi, mon amour. Le ciel, une fois encore, a fait pour nous un miracle... Et maintenant, personne, jamais, ne pourra nous séparer...

— C'est à souhaiter ! grogna Xaintrailles un peu vexé de se voir abandonné. Tudieu ! Vit-on jamais amour plus traversé que le vôtre ?

Mais c'était peine perdue. Arnaud ne l'écoutait pas. Il avait saisi le visage de Catherine et le couvrait de baisers désordonnés, émaillés de mots absurdes et tendres. Ses mains, tremblant d'une joie démente, s'attachaient à la jeune femme, glissant des joues lisses aux tresses sages, suivant le contour du cou, des épaules comme si elles cherchaient à refaire connaissance avec ce corps trop longtemps désiré, presque oublié. Catherine, à la fois heureuse et confuse à cause du regard amicalement goguenard de Xaintrailles, se défendait doucement.

— Tu es plus belle que jamais, murmura le blessé d'une voix rauque.

Soudain, il l'écarta de lui.

— Laisse-moi te regarder, pria-t-il. J'ai tant supplié le ciel de te rendre à moi, au moins un instant, avant d'en finir avec la vie. C'était de ça, vois-tu, que j'avais le plus peur dans ma prison, c'était de crever là, comme une bête malade, sans avoir revu tes yeux, sans avoir tenu une dernière fois dans mes mains tes beaux cheveux, ton corps...

Il l'avait obligée à se relever et la détaillait avidement, comme s'il voulait absorber une bonne fois et pour toujours une image trop longtemps désirée. Mais son regard, brusquement, s'accrocha à la taille épaissie de la jeune femme, s'y ancra tandis que sa figure pâlissait davantage encore. Il dut se racler la gorge pour que sa voix sortît.

— Tu es...

Mon Dieu, oui, coupa, avec un large sourire, Xaintrailles qui avait saisi instantanément la pensée de son ami. Nous aurons, au printemps et si Dieu le veut, un petit Montsalvy !

— Un petit... Montsalvy ? Mais comment ?

Cette fois, ce fut Catherine qui, pourpre à la fois de honte et d'orgueil, expliqua :

— La nuit de Rouen, Arnaud... Dans la barque de Jean Son...

Une lente rougeur s'étendit peu à peu sur le beau visage du jeune homme tandis que ses yeux noirs, brillants de joie, se mettaient à étinceler. D'un geste impulsif qui lui arracha un gémissement, il tendit les bras vers Catherine.

— Un fils ! Tu vas me donner un fils ! Mon tendre amour... mon cœur ! Quelle joie plus grande pouvait me venir de toi !...

Une joie peut-être un peu trop grande, en effet, pour la faiblesse du blessé, car, en se penchant vers lui, Catherine le sentit mollir entre ses bras tandis que la tête brune roulait contre son épaule. Pour la première fois de sa vie, Arnaud de Montsalvy venait de s'évanouir d'émotion. Catherine, tout de suite, s'affola, mais Xaintrailles, un sourcil relevé, considéra le phénomène avec plus de stupeur que d'inquiétude.