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Alors, bien réveillée soudain, elle ouvrit tout grands ses yeux, redressa la tête sur le manteau roulé qu'on lui avait mis comme oreiller. Entre elle et le feu, il y avait une grande ombre noire, agenouillée, une ombre qui disait :

— Regarde, mon amour... regarde ton fils !

Une merveilleuse onde de joie noya Catherine. Elle voulut tendre les bras, mais ses membres pesaient comme du plomb.

— Attends, chuchota Sara contre son oreille, je vais te soulever. Tu es épuisée.

Mais cela lui était bien égal. Elle voulait tenir contre elle ce petit paquet que maintenant elle distinguait nettement dans les grandes mains d'Arnaud.

— Un fils ?... C'est un fils ? Oh, donne-le-moi...

Il glissa contre son flanc le petit paquet chaud qui gigotait. Gauthier apparut, portant une torche de fortune faite d'un branchage enflammé, immense vu du sol où elle gisait, mais avec un large sourire étendu sur son visage. Grâce à cette lumière, Catherine vit enfin son fils : un minuscule visage rouge et fripé dans l'encadrement des lainages dont Sara l'avait entortillé, deux tout petits poings bien serrés et un léger duvet clair, moussant sur le petit crâne rond.

— Il est superbe ! s'écria la voix joyeuse d'Arnaud. Grand, fort, magnifique... un vrai Montsalvy !

Malgré sa faiblesse, Catherine se mit à rire.

— Tous les Montsalvy sont donc aussi laids quand ils viennent au monde ? Il est tout fripé.

— Il se défripera, intervint Sara. Rappelle-toi...

Elle se mordit les lèvres, retenant au dernier instant les mots prêts à sortir. Sara avait failli lui rappeler le petit Philippe, l'enfant qu'elle avait eu de Philippe de Bourgogne et qui était mort à quatre ans, au château de Châteauvillain. C'eût été une sottise et Sara, mentalement, se traita d'idiote.

Mais Catherine avait compris. Son visage s'était légèrement crispé et, d'un geste instinctif, elle serra contre elle le nouveau-né. Celui-là, il était le fils de l'homme qu'elle adorait et elle saurait le défendre contre le mal. La mort ne le lui prendrait pas. Mais son geste avait réveillé le bébé qui sommeillait. Tout de suite, il protesta. Sa petite bouche s'ouvrit démesurément. On ne vit plus qu'un trou rond sous un nez minuscule, mais un trou ouvrant sur un gosier particulièrement vigoureux.

— Sang du Christ ! s'écria Arnaud. Il a des poumons, le bougre !

— Il doit avoir faim, fit Sara. Je vais lui donner un peu d'eau tiède avec du sucre, en attendant que le lait vienne. J'en donnerai aussi à Catherine. Puis elle dormira. C'est de cela surtout qu'elle a besoin : dormir.

Elle ne demandait que ça, dormir. Pourtant, le premier instant de joie passé, la conscience de leur situation lui revenait et, déjà, de sa main libre, elle s'accrochait à Arnaud qui s'était glissé près d'elle pour lui offrir l'appui de sa poitrine.

— Dis-moi, le combat ?

Nous sommes vainqueurs... d'une certaine manière... J'entends que nous sommes momentané ment en sûreté : du moins tant que nous conservons l'otage que tu vois là-bas.

En effet, de l'autre côté du feu, près de l'entrée de la grotte, Catherine put voir, gardé par l'énorme Escornebœuf et par deux Gascons, un personnage qu'elle n'avait jamais vu. Grand, mince, sec comme une rapière et tout vêtu de rouge, il avait un visage mince dont le principal ornement était un grand nez en bec d'aigle. Le menton arrogant, la bouche rouge et sensuelle, l'inconnu pouvait avoir une quarantaine d'années. Quelques fils blancs striaient ses cheveux noirs et plats qu'il portait assez longs. Assis sur une pierre, ses longues jambes repliées, il regardait le feu d'un air de profond ennui, mais sa situation de prisonnier ne semblait pas l'inquiéter outre mesure.

— Qui est-ce ? demanda la jeune femme.

— Rodrigue de Villa-Andrado, en personne... J'ai pu lui tomber dessus durant le combat et, en menaçant sa gorge de ma dague, j'ai fait cesser la bataille. C'est une bête sauvage, mais ses hommes tiennent à lui. J'ai pu l'emmener jusqu'ici et les gens du château ne tenteront rien contre nous, de peur qu'il ne soit mis à mort.

Au même instant, l'Espagnol bâilla démesurément, tourna les yeux vers le fond de la grotte.

— Je regrette de t'enlever tes illusions, Montsalvy, mais les hommes de ma bande me connaissent et savent que je ne crains pas la mort. Sois certain qu'ils feront tout pour me reprendre et, à moins que tu ne m'égorges de sang-froid, tu ne pourras pas m'emmener avec toi dans la mort qui t'attend. Souviens-toi... tu n'as plus que quatre hommes, même si deux d'entre eux valent triple.

— C'est vrai, chuchota Sara à Catherine. Les Gascons ont presque tous été tués. Nous n'avons plus que le sergent et deux hommes d'armes... et pour comble nous n'avons plus rien à manger.

Autrement dit, répliqua la jeune femme avec angoisse, cette grotte nous a peut-être offert un abri, mais elle est, en même temps, un piège qui s'est refermé.

Brusquement, Catherine avait l'étouffante sensation que la grotte se resserrait sur elle, insensiblement mais inexorablement. Pourquoi avait-il fallu que l'enfant vînt au monde au fond de ce tombeau ?

Le son pourtant étouffé des deux voix féminines était sans doute parvenu aux oreilles de Villa-Andrado car il se leva brusquement et, suivi immédiatement par Escornebœuf, marcha vers le fond de la grotte.

— Reste où tu es ! lança Arnaud rudement.

— Pourquoi donc ? Veux-tu donc m'obliger à crier quand il nous est possible de causer paisiblement ? Tu dois comprendre, avant qu'il soit trop tard, que ta situation n'est pas aussi bonne que tu le crois et que...

Il s'arrêta court. À la lumière incertaine de la branche flambante que Gauthier, figé à côté de la paillasse dans une immobilité de cariatide, tenait toujours, l'Espagnol venait d'apercevoir Catherine, étendue sous des manteaux, pâle et défaite, mais enveloppée de la masse somptueuse de ses cheveux dénoués qui lui composaient tout à la fois un manteau royal et une auréole de lumière. Le sourire sarcastique s'effaça des lèvres de Villa-Andrado sous le coup de la surprise.

Un instant, la jeune femme et le chef mercenaire se regardèrent... Elle lut dans les yeux sombres de l'homme une admiration non déguisée et, dans le secret de sa pensée, le jugea intéressant. Ce visage anguleux et sec, visiblement pétri d'orgueil, formait un contraste étrange avec le regard où se montrait une chaleur inattendue. C'était, à n'en pas douter, une bête de proie, mais une bête de race et, de plus, l'intuition féminine de Catherine le lui soufflait secrètement, il appartenait à cette catégorie d'hommes qu'une femme regarde toujours au moins deux fois, si ce n'est plus ! Mais, pour le moment, Villa-Andrado était en extase.

Rose de mai ! murmura-t-il, de toute douceur pleine Gente et jolie Vous êtes fleur, de toute fleur...

— Qu'est cela ? aboya Arnaud hargneusement en se plantant entre l'Espagnol et la jeune femme. Te prends-tu pour un ménestrel ou bien penses-tu que ma femme ait quelque plaisir à entendre des fadaises ?

Rodrigue leva vers Montsalvy un regard de somnambule.

— Ta femme ? murmura-t-il... J'ignorais que tu fusses marié, Montsalvy. Et je vois là un enfant... Je ne comprends pas.

— Je te croyais plus intelligent, ricana Arnaud. Il est aisé cependant de comprendre. Nous regagnions en toute hâte mes terres, mais les rigueurs du chemin ont eu raison de mon épouse. Nous espérions trouver à Ventadour de chers cousins en même temps qu'une halte dont Mme de Montsalvy avait le plus grand besoin... et nous n'avons trouvé qu'une bande de charognards et des armes brandies. Toi et les tiens, noble chevalier, avez contraint ma femme à mettre son fils au monde au fond d'un trou de taupes ! Heureuse encore de l'avoir trouvé ! Tu as compris maintenant ?