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quand nous sommes revenus, je l'ai revue et elle avait changé. Nous sommes de la même race, elle et moi, Catherine.

C'est cela qu'il te faut comprendre.

La furieuse poussée de colère qui s'enfla en elle ranima Catherine. Les mots affreux frappaient sa tête comme des coups de marteau. Ils n'étaient pas vrais, j ils ne pouvaient pas être vrais ! D'ailleurs, ils sonnaient faux ! Elle se dressa, les poings serrés.

— Tu l'aimes, dis-tu ? Tu oses me dire cela à moi ? As-tu oublié tout ce qui nous a liés depuis dix ans... dix ans !

Étais-tu fou, ou bien ne savais-tu pas ce que tu disais ? Si c'est elle que tu aimes, en vérité tu as une étrange façon d'aimer. À coups de fouet ?

Il devint blême et, sous la visière relevée, les ombres de son visage parurent se creuser davantage. Les narines se pincèrent et la bouche se serra au point de n'être plus qu'un mince trait rouge.

On frappe un chien qui a commis une faute et pourtant on l'aime ! Je t'ai dit que nous étions de même race, elle et moi.

Elle pouvait comprendre ce châtiment. Elle l'avait mérité en me désobéissant. Je lui avais donné l'ordre de te laisser en paix.

Catherine, alors, se mit à rire, à rire, à rire... Des éclats -durs, secs et métalliques qui, sous la longue galerie de bois, résonnèrent étrangement. C'était un rire nerveux qui faisait plus mal que des sanglots.

— Ainsi... articula-t-elle au bout d'un instant, tenter de me tuer, essayer d'étouffer Michel, c'est seulement pour toi une désobéissance ? Si c'est cela, je pense en effet que vous êtes tous deux de la même race : vous n'avez pas de cœur ! Rien !

Les pierres de ce mur, les loups que l'on entend hurler la nuit dans ces bois sont plus humains que vous. Tu veux partir ?

A merveille, mon seigneur ! Pars ! Va-t'en cacher tes nouvelles amours... Moi, je retourne aux miennes !

Au prix de sa vie Catherine n'eût pu dire ce qui l'avait poussée à lancer cette affirmation, à moins que ce ne fût le désir de rendre coup pour coup, blessure pour blessure, souffrance pour souffrance. Avec une joie amère, elle constata que le coup avait porté : Arnaud avait chancelé et s'était adossé à la muraille.

— Que veux-tu dire ? fit-il avec fureur, quelles amours ?

— Celles que je n'aurais jamais dû quitter : le duc Philippe. Je vais partir, moi aussi, Arnaud de Montsalvy, je vais rentrer chez moi, en Bourgogne, retrouver mes terres, mes châteaux, mes joyaux...

— Et la réputation d'une femme perdue ?

— Perdue ? (Elle eut un petit rire bref, infiniment douloureux.) Ne suis-je pas déjà perdue ? Penses-tu que je vais demeurer ici, enfermée dans ce château croulant, à user ma jeunesse, ma beauté, à contempler le ciel, à prier auprès de ta mère, à m'occuper de bonnes œuvres et à supplier le ciel de te ramener à moi quand tu en auras assez de ton sac d'os ?

Non ! Si tu l'as cru, tu t'es trompé, Monseigneur ! Je vais repartir chez moi... et j'emmènerai mon fils.

— Non !

La voix d'Arnaud avait porté si loin qu'une des sentinelles arpentant lourdement la tour voisine s'arrêta, interdite, la lance en arrêt... cherchant d'où venait ce cri. Plus bas, alors, mais avec une farouche détermination, il reprit :

— Non, Catherine. Tu ne partiras pas... Tu resteras ici, de gré ou de force !

— Pendant que tu t'en vas avec l'autre ? Tu es fou, je pense ? Je ne resterai pas une heure de plus. Avant que le soir tombe, j'aurai quitté ce château de malheur avec mes gens, avec Sara et Gauthier... et avec mon enfant !

Sa voix se fêla sur le dernier mot. Elle imaginait déjà ce départ, le pas des chevaux résonnant sur le sol dur, s'éloignant, et le château disparaissant dans le brouillard, dans le lointain, s'effaçant comme un rêve... un rêve qui avait duré dix ans !

— Ainsi, ajouta-t-elle, tu n'auras pas à quitter ton poste, tu pourras demeurer ici, entre ta mère et cette... et tu ne seras pas obligé de forfaire à l'honneur !

— En quoi ? fit Arnaud sèchement.

— En abandonnant le château que t'a confié un ami. Tu devais garder Carlat... et il faut que tu l'aimes bien fort, cette fille, pour accepter à la fois de me traiter comme tu fais et de tout abandonner de ce qui fut ta vie de soldat.

Si Catherine tremblait de tous ses membres en parlant, Arnaud, plus que jamais, semblait une statue d'acier. L'ombre du casque dissimulait suffisamment son visage pour que Catherine ne vît pas le désespoir qui habitait les yeux. Il recula de quelques pas pour être encore moins visible.

— Écoute-moi, Catherine, dit-il, et sa voix semblait venir de très loin. Que tu le veuilles ou non, tu es dame de Montsalvy, tu es la mère de mon fils et jamais un Montsalvy ne passera en Bourgogne. La fidélité est un devoir sacré.

Sauf envers sa propre femme ! ricana douloureusement Catherine. Tu me laisserais repartir, peut- être, s'il n'y avait que moi. Mais tu es assez lâche pour te servir de mon enfant, pour m'obliger à demeurer ta captive, ta captive malgré moi, malgré tout, malgré ta trahison... Et tu veux que je demeure ici, seule, abandonnée de tous, dans un pays inconnu, au milieu des dangers, pour t'en aller au loin vivre je ne sais quel amour stupide...

Soudain, la douleur l'emporta sur la colère. Elle courut à son époux, entoura de ses bras le torse vêtu de fer, posant sa joue brillante de larmes contre la froide et lisse surface de l'armure.

— C'est un cauchemar, dis, c'est un mauvais rêve dont je vais me réveiller ? Ou alors tu veux m'éprouver pour voir si je te suis réellement fidèle ? Oui, c'est sûrement cela ? Cette fille t'a exaspéré avec ses calomnies et tu as voulu savoir...

Mais, tu sais, n'est-ce pas, tu sais que je t'aime ? Alors... par pitié, cesse de me torturer, cesse de me faire du mal... Tu vois bien que j'en meurs. Sans toi ma vie n'a plus de sens, je suis plus perdue qu'un enfant au cœur de l'orage et de la nuit. Aie pitié de moi, reste avec moi !... nous nous sommes trop aimés pour qu'il n'en reste rien !...

Sous sa tête, elle entendait battre le cœur, prisonnier de sa carapace d'acier. Il battait vite, à grands coups lourds et puissants, mais trop rapides sans doute. Se pouvait-il que ce cœur sur lequel, tant de fois, elle avait dormi, ne battît plus pour elle ?... La douleur déchirante de son cœur à elle lui fit peur. Catherine voulut resserrer son étreinte, mais Arnaud, doucement, détachait les bras noués autour de lui, s'éloignait de quelques pas.

A quoi bon tenter de réveiller ce qui n'est plus, Catherine ? Je n'y peux rien, et toi non plus... Nous n'étions pas faits l'un pour l'autre. Maintenant, écoute mes paroles, ce sont les dernières. Je n'abandonne pas cette forteresse. J'ai fait prévenir Bernard en lui demandant de me faire relever de mon commandement, d'envoyer d'urgence un capitaine... Dès qu'il sera là... et il ne saurait tarder, je partirai. À toi, je laisse mon fils, mon nom, ma mère.

— Tout ce qui te gêne ! cria Catherine en qui la colère revenue se mêlait à une atroce déception. Mais tu ne pourras rien pour me retenir, ni toi ni tes pareils. A peine auras-tu tourné les talons que je partirai... et le nom de Montsalvy brillera bientôt à l'armoriai de Bourgogne, tu m'entends, de Bourgogne ! J'apprendrai à Michel à haïr les Armagnacs, j'en ferai, plus tard, un page du duc Philippe, un soldat de Bourgogne qui ne connaîtra pas d'autre maître que le grand-duc d'Occident !

— Je saurai bien t'en empêcher, même absent ! gronda Montsalvy.

— Personne ne m'a jamais empêchée de faire ce que j'avais envie de faire, pas même Philippe de Bourgogne... et il était plus fort que toi !

— Gardes !

Le mot claqua et soudain les deux époux, dressés l'un en face de l'autre, ne furent plus que deux ennemis. Les sentinelles n'étaient pas loin. Deux d'entre elles accoururent. Arnaud leur désigna la jeune femme qui, blême et les dents serrées pour maîtriser sa douleur et sa rage, se tenait adossée au créneau.