— Ainsi donc, fit-elle douloureusement, le sang versé ne sert à rien ! Le vrai roi de France, c'est La Trémoille, et il ne vous répugne pas de le servir, vous qui avez rang de prince ?
— La Trémoille est mon cousin, belle dame, et un pacte, dûment signé, me lie à lui pour le meilleur et pour le pire.
Mais le pire n'est pas à craindre.
— Alors, remettez-moi entre ses mains, comme vous avez fait d'Arnaud. Nous étions unis à Rouen, vous devez nous unir également dans le châtiment puisque vous estimez que nous en méritons un. Conduisez-moi à Sully...
Brusquement, Gilles de Rais se mit à rire, avec tant de violence et de férocité que la jeune femme, tremblante, pensa que les loups, s'il leur arrivait de rire, devaient ainsi faire.
— Je sers mon cousin, mais je protège également mon avantage, ma chère. Peut-être vous ferai-je... plus tard, conduire à Sully, mais seulement lorsque j'aurai obtenu de vous ce que je veux.
— Que voulez-vous ?
— Deux choses inestimables pour un homme de ma sorte qui a la passion des objets de pure beauté : vous d'abord... et ensuite certain diamant noir dont la possession vous a rendue presque aussi célèbre que vos admirables cheveux...
Voilà donc la raison de ces menées tortueuses ? Voilà ce que voulait Gilles de Rais ? La fureur, la haine et le dégoût envahirent d'un seul coup l'âme de Catherine, la sauvant du chagrin et des larmes. Elle lui éclata de rire au nez.
— Vous êtes fou ! Je ne saurais, monsieur le maréchal, vous remettre l'un ni l'autre de ces deux objets. Le diamant n'est plus entre mes mains et ma personne ne m'appartient plus : j'attends un enfant...
Le désappointement se peignit sur le visage de Rais. Il fit trois pas vers Catherine, la prit par le poignet et F écarta légèrement pour considérer sa silhouette, sa taille déjà légèrement épaissie.
— C'est ma foi vrai ! dit-il d'une voix qui tremblait.
Mais, au prix d'un effort sur lui-même, il parvint à se ressaisir et, de nouveau, il sourit.
— Eh bien... mais je saurai attendre, aussi bien la femme que le diamant ! Je sais que vous n'avez plus ce bijou sans pareil, mais je sais aussi qu'il est toujours vôtre. Et, dès qu'il vous sera possible de toucher certain messager... ce moine qui a le pouvoir d'entrer si aisément chez nos ennemis et, notamment, dans la bonne ville de Rouen, n'est-ce pas ?
Allons, il savait tout ! Catherine était dans sa main, sans plus de force qu'un oiseau sorti de l'œuf. Mais sa propre situation l'angoissait moins que celle d'Arnaud, livré sans défense à son pire ennemi. Qu'allait faire de lui La Trémoille, au fond de son château cerné par la Loire ? Vidée de son courage, elle se laissa tomber sur son siège, luttant contre l'évanouissement qui venait. Elle avait envie de mourir, tout de suite, de cesser une bonne fois de se battre contre des montagnes. Quand elle atteignait un sommet, pensant que, sur l'autre versant, la route serait plus facile, elle s'apercevait qu'une autre montagne, plus haute et plus rude, était derrière la première. Il y en aurait sans doute, comme cela, jusqu'à la fin des temps, jusqu'au bout de ses forces...
— À quoi bon ? fit-elle pour elle-même sans se rendre compte qu'elle parlait tout haut. Tout est inutile ! À cette heure, sans doute, Arnaud a cessé de vivre...
— S'il n'y avait eu que ce cher La Trémoille, répondit Gilles avec désinvolture, ce serait, en effet, chose faite. Mais notre Arnaud a tant de séduction !... et ma belle cousine Catherine a toujours montré pour lui la plus grande faiblesse.
Soyez sans inquiétude, ma chère, la dame La Trémoille veille sur lui avec autant... et peut-être plus de sollicitude que vous ne sauriez le faire vous-même ! Vous savez bien qu'elle a toujours eu un faible pour Montsalvy !
Cette dernière cruauté et tout ce qu'elle sous-entendait vinrent enfin à bout de la résistance de Catherine. Avec un cri de douleur, elle s'effondra dans les bras de Sara et se mit à sangloter, blessée au plus profond. Et le spectacle de sa souffrance eut raison de la réserve de Sara.
— Allez-vous-en, Monseigneur ! fit-elle rudement. Vous avez fait assez de mal comme cela !
Il haussa les épaules et se dirigea vers la porte, puis, se retournant, il lança à Sara : Du mal ? Allons donc ! Il suffit de voir les choses sous leur vrai jour. Après tout, rien n'oblige dame Catherine à quitter cette maison où elle sera toujours traitée selon ses mérites... C'est-à-dire en reine ! Je ne vois pas qu'il y ait là rien de si tragique. Vous devriez lui dire, ma fille, qu'il y a, pour une femme intelligente, tout intérêt à hurler avec les loups. La partie est jouée... et gagnée. Rien ne peut plus atteindre la puissance de mon cousin... ni la mienne !
— Rien ?...
Sara, brusquement, venait de lâcher Catherine qui faillit s'effondrer à terre. La zingara était devenue blême tandis que ses yeux se dilataient, devenaient énormes et fixes. Elle étendit un bras et marcha vers le maréchal d'un pas saccadé d'automate, si semblable à une somnambule qu'il fronça les sourcils et recula... Comprenant que Sara était prise d'une de ces étranges crises de clairvoyance au cours desquelles le voile de l'avenir se déchirait devant elle, Catherine avait cessé de pleurer et retenait sa respiration. La voix de la bohémienne s'éleva, monocorde :
— Ta puissance a des pieds d'argile et de cendre, Gilles de Rais... Il y a du sang, des flots de sang autour de toi, tellement de sang qu'il t'engloutit et te submerge... Il y a des hurlements de douleur, des bouches qui crient vengeance, des mains qui appellent la justice. Et la justice viendra... en son temps... Je vois une grande ville près de la mer... une foule énorme... un triple gibet ! J'entends le son des cloches et des prières... Tu seras pendu, Gilles de Rais... et le feu dévorera ton corps !
La voix prophétique s'éteignit. Alors, avec un cri de terreur, le seigneur de Rais s'enfuit en courant...
Toute la nuit, les échos du château retentirent du bruit du banquet et de la fête. Dans la grande salle, Gilles, sa famille et ses capitaines festoyaient, mais, dans les cuisines, les salles de gardes et les dépendances, les hommes d'armes menaient joyeuse vie avec les servantes. Les cris, les rires et les chansons à boire parvenaient à percer même l'épaisseur des murs de Champtocé montaient des cours, des escaliers jusqu'à la chambre où les yeux secs mais le cœur serré, Catherine cherchait en vain un moyen d'échapper à sa prison.
— Pourquoi ne t'ai-je pas écoutée, répétait-elle inlassablement à Sara, pourquoi suis-je venue dans ce guêpier ?
J'aurais dû courir à Bourges, voir la Reine à tout prix...
— Tu ignorais le traquenard tendu. Tout était bien combiné. Le premier corps de garde t'aurait arrêtée, jetée dans quelque basse-fosse.
— En suis je plus avancée entre les murs de ce château ? Je suis prise et bien prise. Jusqu'à mon corps, déjà alourdi, qui me tient captive. Comment faire, comment sortir ?
— Calme-toi, murmura Sara en caressant doucement les cheveux dénoués de la jeune femme, calme- toi, je t'en supplie. Dieu t'enverra un secours, j'en suis certaine. Il faut espérer, prier... et guetter l'occasion favorable. La première chose, vois-tu, est de sortir d'ici. Ensuite...
— Ensuite courir au secours d'Arnaud et...
— Tu veux dire courir à Sully ? Risquer de tomber entre les mains de La Trémoille pour le seul plaisir d'être dans les mêmes prisons que lui ? Que non pas ! Chercher un refuge, oui ; et ensuite celui qui saura vous défendre et faire entendre raison au Roi... même s'il faut courir jusqu'en Provence pour demander justice à Madame Yolande. Essaie de te reposer, ma mignonne, l'esprit est plus clair quand il est plus dispos. Je suis là, près de toi. Je veillerai sur toi. À nous deux, nous en sortirons...
Bercée par la voix de sa vieille amie, Catherine, peu à peu, s'apaisa, reprit courage. Mais, au lever du jour, un poing ferré ébranla la porte. Comme dans un cauchemar, Catherine vit des hommes d'armes envahir sa chambre. Le cri qu'elle poussa fut sans écho. Avant qu'elle ait pu seulement protester, Sara avait été arrachée de ses bras, malgré les efforts qu'elle faisait pour la retenir, entraînée dans le couloir...