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Catherine ne se le fit pas dire deux fois. Oubliant à la fois sa fatigue et sa peur, elle retroussa à deux mains sa robe et se mit à courir vers sa chambre, priant tout bas pour que cet espoir ne fût pas vain et que rien ne vînt faire revenir le vieux sire sur sa décision généreuse. Elle fit hâtivement un ballot des choses les plus précieuses qu'elle possédât et des quelques vêtements de Sara, glissa l'or qui lui restait dans la poche cousue sur sa chemise, s'enveloppa étroitement de sa mante, prit celle de Sara sur son bras, puis, jetant le ballot sur son épaule, elle sortit sans se retourner de cette chambre où elle avait passé des heures pénibles. Il y avait longtemps qu'elle ne s'était sentie aussi légère !

Quand elle atteignit la porterie, elle vit Craon qui sortait du quartier des prisons suivi d'une forme chancelante. À la lumière de la torche qu'il tenait à la main, Catherine reconnut Sara bien qu'elle fût amaigrie et horriblement pâle. Elle courut à elle, les bras ouverts.

— Sara... ma bonne Sara ! Enfin je te retrouve !

Sans répondre, la bohémienne se serra contre elle

en sanglotant. C'était la première fois que Catherine voyait pleurer Sara et elle en conclut que les nerfs de la pauvre femme avaient dû être soumis à rude épreuve.

— C'est fini, murmura-t-elle tendrement, on ne te fera plus de mal...

Mais Jean de Craon tournait vers le fond obscur de la cour un regard inquiet.

— Ce n'est pas le moment de parler. Venez. Il faut encore passer dans la basse-cour et prendre des chevaux aux écuries. Pressez-vous. Je vais ouvrir la petite porte.

D'un énorme trousseau de clefs qu'il portail à sa ceinture, il tira une clef, l'introduisit dans la serrure de la poterne qui donnait dans la première enceinte.

— Mais... les hommes de garde ? chuchota Catherine.

— Si vous me suivez pas à pas, ils ne vous verront pas. Je vais éteindre la torche. Nous devons prendre certaines précautions pour ne pas donner l'éveil. Rien ne vous sauverait si Gilles était alerté !

Ce fut l'obscurité totale. S'y engloutirent le décor imposant de la cour d'honneur et le sinistre bûcher, dérisoire maintenant, mais qui stimulait la hâte de sortir des deux femmes. La porte pourtant ne s'ouvrait pas. Catherine entendait Jean de Craon respirer vite et fort et s'en inquiétait.

— Pourquoi n'ouvrez-vous pas ? demanda-t-elle.

— Parce que je réfléchis. Je dois changer mon plan initial. Les gardes de l'écurie vous verraient. Écoutez moi bien. Je vais ouvrir et vous sortirez seules. La basse-cour n'est éclairée que vers les écuries et vers le poste de garde. Encore est-ce très peu. Vous longerez le mur jusqu'au renfoncement près de la poterne et là vous m'attendrez. Je vais me rendre ouvertement à l'écurie, prendre deux chevaux et je sortirai avec eux en disant que je vais à l'abbaye. Je vais parfois chercher l'abbé pour chasser le héron au petit jour, c'est la seule chasse que je puisse encore suivre. De plus, il n'est pas rare que je sorte la nuit. Mes insomnies sont connues et j'aime errer sur les bords de Loire. Vous vous glisserez dehors en même temps que les chevaux. Les hommes ne vous verront pas. Là, vous sauterez en selle et vous franchirez le pont. De l'autre côté de la langue de terre vous trouverez un passeur. A Montjean, vous serez en sûreté, à condition de ne pas vous attarder.

— Mais les gardes du pont ne nous laisseront pas passer.

— Si, ils vous laisseront passage si vous leur montrez ceci.

Tout en parlant, il tirait de son doigt une bague. Catherine avait remarqué qu'il portait, comme tout seigneur, son sceau gravé sur un chaton de bague, mais que ce n'était pas toujours la même bague. Il en avait plusieurs, cornaline, sardoine, agate, onyx ou or gravé, et c'était sa coquetterie d'en changer. Elle sentit qu'il lui glissait la bague dans la main.

— Je ne pourrai vous la rendre, dit-elle.

Gardez-la. C'est un bien faible dédommagement pour tout ce que vous avez enduré sous mon toit. J'ai de l'estime pour vous, dame Catherine. Vous êtes non seulement belle, mais encore courageuse, noble et droite. Je l'ai compris trop tard, sinon jamais je n'aurais obéi à Gilles. Voulez-vous me pardonner ? Cette nuit marque pour moi le début du temps des regrets et des pénitences. Dieu me punit cruellement, sachez-le. Il ne me reste, je le crains, que bien peu de temps pour tenter de détourner de moi sa colère.

— Mais, murmura Sara, comment rentrerez-vous, Seigneur ? Les hommes s'étonneront de vous voir revenir aussitôt et à pied.

— Il y a, près d'ici, un souterrain qui fait communiquer les caves du château avec la campagne. Je reviendrai par ce moyen.

— Pourquoi, dans ce cas, reprit Catherine, ne pas l'employer pour nous faire sortir ? Ce serait plus simple...

— Peut-être, mais, si je ne l'emploie pas, c'est pour deux raisons : la première est qu'il vous faut des montures et qu'aucun cheval ne peut prendre les souterrains. La seconde, ne vous offensez pas, est que je n'ai pas le droit de livrer à des étrangères les secrets de défense qui constituent la sécurité interne du château. Plus un mot maintenant, je vais ouvrir... Quand vous serez assez éloignées dans la cour, je rallumerai la torche.

La petite porte s'ouvrit avec un très léger grincement, découpant, sur le ciel plus clair, une ogive basse.

— Allez !... souffla Craon. Suivez le mur à gauche.

Les deux femmes, l'une soutenant l'autre, se coulèrent dans l'ouverture. Catherine tenait Sara par la taille et, de sa main libre, tâtait le mur. Ce n'était pas facile car elle était, de plus, encombrée de son baluchon. Sous sa main, la pierre était froide et humide. Elle trébucha sur le sol inégal, mais, peu à peu, ses yeux s'habituaient à l'obscurité.

Au bout de quelques minutes, une torche rougeoya sous l'arche de pierre qu'elles venaient de quitter. Jean de Craon la portait assez haut pour que son visage fût aisément reconnaissable. D'un pas ferme, il marchait vers l'autre bout de la cour.

— Voici l'encoignure, chuchota Catherine, sentant une dépression sous sa main.

Au-dessus d'elle, d'ailleurs, le surplomb du chemin de ronde mettait une ombre plus dense. Le pas lent d'un soldat se fit entendre et son cœur se remit à battre sur un rythme inquiet. Elle retint sa respiration, s'affolant de sentir Sara se faire plus lourde sur son bras. La malheureuse devait être au bord de l'épuisement. Le raclement des semelles ferrées avait cessé.

L'homme devait être arrêté. Catherine l'entendit tousser. Puis il repartit et elle osa demander :

— Est-ce que tu es malade ? Tu sembles si faible.

— Voilà des nuits que je n'ai pas dormi, à cause des rats, et, depuis deux jours, je n'ai rien eu à manger. Et puis...

— Et puis quoi ?

Catherine sentit que Sara frissonnait. Sa voix chuchotant, dans l'ombre, se fit sourde :

— Rien. Plus tard je te dirai... quand j'aurai la force. Moi aussi, je connais le secret du sire de Rais. Tu ne peux pas savoir comme j'ai hâte d'être loin d'ici, même si je dois pour cela me traîner sur les genoux.

Sans répondre, Catherine appliqua brusquement sa main sur la bouche de Sara. Tout en parlant, elle avait suivi le parcours du vieux Craon. Elle l'avait vu se faire ouvrir l'écurie, en sortir à cheval, tenant une autre bête par la bride.

Maintenant, il s'avançait vers elles, le pas des chevaux résonnant sur la terre durcie. Bientôt, il fut entre elles et le corps de garde d'où un homme sortait en courant.

— Ouvre ! cria Craon. J'ai affaire à l'abbaye.

— Bien, Monseigneur !

La poterne s'ouvrit en grinçant, mais le petit pont s'abaissa sans bruit. Sans hésiter, Catherine entraîna Sara sous la tête même des chevaux, de façon que l'homme d'armes ne pût les voir de derrière quand il refermerait. Mais la nuit était si sombre qu'il ne pouvait les distinguer. Bientôt, elles eurent franchi les douves, prirent pied sur le pont dormant. La voix du soldat leur parvint encore :

— Vous ne voulez point d'escorte, Monseigneur ? La nuit est bien noire, il me semble.