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— Pourquoi ne réponds-tu pas lorsque l'on t'appelle ? demanda-t-elle assez rudement. Depuis ce matin l'on te cherche.

Tu te caches ?

Il secoua lentement sa grosse tête et serra très fort ses mains l'une contre l'autre. Ce geste qui était sien, car, dans les instants de détresse ou de violente émotion, elle serrait ainsi ses mains jusqu'à ce que les jointures blanchissent, éveilla brusquement en Catherine une compréhension bien proche de la tendresse. Elle s'assit auprès du géant au bord de la paillasse, désigna du doigt le baluchon.

— Tu allais partir, n'est-ce pas ? Es-tu donc déjà las de me servir ?

— Non, dame Catherine, mais vous n'avez plus besoin de moi, maintenant que vous avez retrouvé votre protecteur naturel. Il est le père de votre enfant, n'est-ce pas ?

Naturellement ! Mais je ne vois pas en quoi cela te délivre de ton service auprès de moi. Souviens-toi de tes paroles, à Louviers : « Même une dame a toujours besoin d'un chien fidèle », disais-tu ? Je ne t'ai jamais, que je sache, traité comme un chien, mais bien plutôt comme un ami. Ton dévouement d'ailleurs méritait ce titre.

Gauthier baissa la tête. Les jointures de ses mains devinrent blanches.

— Je me souviens de tout cela et j'étais sincère alors. Je le suis toujours et mon plus ardent désir était de continuer à vous servir, de toutes mes forces... Seulement, maintenant j'ai peur...

Un léger dédain arqua les lèvres pleines de la jeune femme.

— Peur ? Quel étrange mot dans ta bouche !... Je croyais que les descendants des rois de la mer n'avaient peur de rien en ce bas monde ?

— Je le croyais aussi, dame Catherine, et je continue à penser qu'il n'est pas un ennemi que je n'affronterais le cœur léger. Mais... c'est de vous que j'ai peur. Laissez-moi partir, dame Catherine, je vous en supplie...

Quelque chose trembla dans le cœur de Catherine. Elle eut peur, elle aussi, tout à coup, peur de perdre ce rempart qu'était Gauthier et à l'abri duquel elle s'était accoutumée à vivre. S'il s'éloignait, les choses ne seraient plus comme auparavant. Il fallait qu'il restât et elle tendit sa volonté pour ce combat qu'il lui fallait gagner à tout prix.

Non, dit-elle doucement mais nettement. Je ne te permettrai jamais de me quitter. Libre à toi de fuir, je n'ai pas la force de te retenir. Mais je ne te donnerai jamais mon consentement. J'ai besoin de toi, quoi que tu en penses, et quelque chose me dit que tu me seras toujours indispensable car, au cours de mon existence bousculée, j'ai appris ce que valait un dévouement comme le tien. J'ai retrouvé mon protecteur naturel, dis-tu ? C'est vrai, dans un sens. Mais il s'agit d'un homme amoindri, pour le moment, incapable même de soulever cette épée qu'il maniait si fermement naguère. Nous sommes proscrits, traqués, menacés de toutes parts et il ne nous serait pas possible de faire trois pas dans l'une de ces rues sans être reconnus et emprisonnés. J'attends un enfant, Dieu seul sait dans quelles conditions il pourra voir le jour !... et c'est ce moment-là que tu choisis pour me quitter ? Tu as peur de moi, dis-tu ? Moi, j'ai encore plus peur du chemin que je vais parcourir si tu n'es pas auprès de moi pour en surmonter les obstacles. Maintenant, décide toi- même.

Le front baissé, têtu, ne se relevait pas et un désagréable filet glacé se glissa dans l'esprit de Catherine. Elle avait la sensation de se heurter à un mur et de n'y trouver aucune aspérité à laquelle s'accrocher.

— J'ai dit que j'avais peur de vous, fit Gauthier sourdement, je dois ajouter que j'ai au moins aussi peur de moi. Une fois déjà... souvenez-vous... j'ai failli oublier ce que vous étiez et ce que j'étais. C'est ce souvenir-là qui m'empoisonne la vie... parce qu'il est trop doux, et parce que j'ai peur, un jour ou l'autre, de succomber.

Catherine se releva et posa ses deux mains sur les épaules du géant, l'obligeant à la regarder.

— Et je te dis, moi, que tu ne recommenceras pas. Je te dis que tu sauras répondre à la confiance... absolue... que je mets en toi. Je te le demande... et même, je t'en supplie, si c'est cela que tu veux : reste auprès de moi ! Tu ne sais pas comme j'ai besoin de toi. Tu ne sais pas comme j'ai peur de l'avenir !

Sa voix s'enroua sur les derniers mots tandis que des larmes montaient à ses yeux. C'était plus que n'en pouvait supporter Gauthier. Comme au jour où elle l'avait sauvé de la potence et où il lui avait juré fidélité, il mit un genou à terre.

— Pardonnez-moi, dame Catherine. Chacun de nous, en ce monde, a ses moments de faiblesse. Je resterai.

— Je te remercie. Maintenant, viens avec moi.

— Où donc ?

Auprès de cet homme que tu étais prêt à détester sans le connaître. Il est digne, lui aussi, de ton service et...

Mais, au seuil de la porte, Gauthier résista à la main de Catherine qui l'entraînait.

— Entendons-nous bien, dame Catherine. C'est à vous que j'appartiens et à personne d'autre. C'est vous que je servirai... et personne d'autre. Sans doute, un jour, bientôt peut-être, serez-vous sa femme, mais je ne servirai encore que vous seule... jusqu'au jour où vous me direz de m'en aller. J'étais un homme libre jusqu'à votre venue. J'entends le rester pour quiconque n'est pas vous. Mais... il est encore temps de me laisser partir.

Quel entêtement ! Une vague de colère gonfla la poitrine de Catherine et elle faillit se fâcher. Elle devinait confusément que le dévouement fanatique de Gauthier ne plairait guère à Arnaud, qu'elle aurait certainement quelques ennuis entre ces deux hommes qui l'aimaient chacun à sa façon. Mais elle ne se sentit pas le courage de rejeter le Normand qui, par tant de côtés, lui ressemblait. Car elle ne s'illusionnait guère sur la valeur réelle du vernis aristocratique étendu sur elle par la volonté de son défunt mari, Garin de Brazey, et par l'amour exigeant de Philippe de Bourgogne.

Gauthier était plus proche d'elle, avec toute sa sauvagerie, avec ses instincts d'animal de la forêt que les grands seigneurs qui avaient élevé jusqu'à eux la fille de Gaucher Legoix, l'orfèvre du Pont-au-Change, la gamine qui courait jadis pieds nus sur les grèves de la Seine.

Elle accepta sa demi-défaite d'un soupir.

— C'est bon, dit-elle. Il en sera comme tu voudras !

Pourtant, la première entrevue des deux hommes fut meilleure qu'elle ne l'avait craint. Arnaud considéra pensivement le géant dressé au pied de son lit. Habitué aux statures vigoureuses des hommes d'armes, le capitaine des gardes du Roi avait cependant rarement vu pareil spécimen humain et ne le cacha pas.

— Tu es taillé pour porter la broigne de fer et le casque à nasal, lui dit-il. Les hommes qui, jadis, s'en allèrent délivrer le Saint-Sépulcre à la suite de Bohémond et de Tancrède, devaient te ressembler comme des frères.

— Je suis normand ! riposta Gauthier non sans orgueil, comme si ce seul mot résumait tout.

Mais la fierté de la réponse ne déplut pas à Montsalvy. Vaillant et orgueilleux, il aimait qu'un homme eût cette hauteur, même né d'humble condition.

— Je sais ! dit-il simplement.

Puis, poussé par une obscure impulsion qu'il eût été bien incapable d'expliquer - peut-être le désir inavoué de s'attacher cet homme exceptionnel - il ajouta :

— Veux-tu me donner la main ?

Catherine ouvrit de grands yeux. Qu'Arnaud, fier de sa race jusqu'à la hauteur, tendît la main à ce paysan comme à un égal, il y avait là de quoi trouver matière à réflexion. Comment allait réagir le Normand ?

Une profonde rougeur s'étendit sur le visage rude et, un court instant, il hésita devant cette main ouverte, si belle encore dans sa maigreur, qui se tendait vers lui. Il était pris au piège entre son amour pour Catherine et l'attrait qu'exerçait sur tout homme digne de ce nom le capitaine de Montsalvy. Les hommes d'Arnaud l'adoraient, bien qu'il fût brutal et souvent impitoyable, et ce charme, le Normand, malgré lui, le subissait.