Arnaud se retourna vers lui. L'orgueil flambait sur son visage.
— Elle est prise. Nous partirons.
— C'est bien. Dans ce cas, autant tout te dire. Les nouvelles sont mauvaises et aussi bien tu les aurais apprises avant peu. Il se prépare, en Auvergne, d'étranges choses. La Trémoille réclame le comté comme son fief-Arnaud sursauta. Une lente rougeur s'étendit sur son front. Ses yeux noirs étincelèrent de colère.
— L'Auvergne ? De quel droit ?
— De celui qu'il s'arroge. Tu te souviens qu'en premières noces, il avait épousé la veuve du duc de Berry, Jeanne de Boulogne, héritière d'Auvergne. Celle-ci, en mourant, a légué son fief à son neveu, Bertrand de Latour.
— Tu me la bailles belle, grogna Montsalvy en haussant les épaules, Latour est de ma famille. Sa femme, Anne de Ventadour, est la nièce de ma mère. Nous sommes cousins et du plus proche lignage.
— Parfait ! Mais La Trémoille n'en réclame pas moins le pays en tant qu'héritier de sa première femme. C'est parfaitement illégal, bien sûr, mais depuis quand se soucie-t-il de légalité ?
suivi dans la Seine et comme je te suivrai au tombeau s'il le fallait.
Elle s'arrêta, rouge d'émotion, un peu haletante. Sa poitrine soulevait spasmodiquement le drap vert de sa robe et ses grands yeux brûlaient d'indignation. Arnaud, brusquement, se mit à rire, se releva sur un genou, l'attrapa aux épaules et la serra contre lui.
— Morbleu ! Madame de Montsalvy, vous avez parlé comme l'aurait fait ma mère ! (Puis, plus doucement ) Tu as gagné, mon amour ! Va pour l'aventure, le froid, la nuit, la guerre s'il le faut, et que Dieu pardonne si je fais une sottise.
Les yeux de Xaintrailles allaient du visage d'Arnaud à celui de Catherine.
— Ainsi, tu as pris ta décision ?
Arnaud se retourna vers lui. L'orgueil flambait sur son visage.
— Elle est prise. Nous partirons.
— C'est bien. Dans ce cas, autant tout te dire. Les nouvelles sont mauvaises et aussi bien tu les aurais apprises avant peu. Il se prépare, en Auvergne, d'étranges choses. La Trémoille réclame le comté comme son fief-Arnaud sursauta. Une lente rougeur s'étendit sur son front. Ses yeux noirs étincelèrent de colère.
— L'Auvergne ? De quel droit ?
— De celui qu'il s'arroge. Tu te souviens qu'en premières noces, il avait épousé la veuve du duc de Berry, Jeanne de Boulogne, héritière d'Auvergne. Celle-ci, en mourant, a légué son fief à son neveu, Bertrand de Latour.
— Tu me la bailles belle, grogna Montsalvy en haussant les épaules, Latour est de ma famille. Sa femme, Anne de Ventadour, est la nièce de ma mère. Nous sommes cousins et du plus proche lignage.
Parfait ! Mais La Trémoille n'en réclame pas moins le pays en tant qu'héritier de sa première femme. C'est parfaitement illégal, bien sûr, mais depuis quand se soucie-t-il de légalité ? le dire. Depuis combien de temps es-tu assez fort pour seulement monter à cheval ?
Arnaud recula, baissa la tête, mais son visage demeura contracté. Catherine eut l'impression bizarre qu'une force inconnue et menaçante venait de s'introduire dans la petite pièce paisible. Silhouette noire, aiguë, dont l'ombre, tout à coup, touchait chaque chose, s'étirait vers les angles obscurs, rejoignant les poutres peintes du plafond. C'était comme si, soudain, le routier espagnol était entré tout armé dans la maison, traînant après lui une lueur d'incendie. Elle sentit une main de glace étreindre son cœur quand Arnaud se tourna d'une pièce vers Jacques Cœur.
— Maître Jacques, pouvez-vous me donner le moyen de quitter cette ville dès demain ? Je ne puis plus demeurer.
— Si tu le désires, je peux te donner dix hommes d'armes qui te rejoindront hors de la ville, là où tu me l'indiqueras, coupa Xaintrailles.
Il bouclait de nouveau, sur le buffle de son pourpoint, la cuirasse qu'il avait ôtée un moment pour souper, enfonçait son chaperon sur sa tête, s'enroulait dans son manteau. L'heure de se séparer était venue. Catherine éprouvait de la peine à quitter ce bon compagnon, toujours si rudement fraternel. Elle le lui dit tout simplement, avec cette spontanéité qu'elle avait gardée de son enfance.
— Je vous aime bien, Jean. Revenez-nous vite !
Le rude visage tavelé de taches de rousseur grimaça ' un sourire qui cachait peut-être une larme et grommela :
— On se reverra à Montsalvy ! J'irai vous demander à souper, un soir, quand vous ne m'attendrez pas. Et je m'installerai chez vous assez de temps pour tuer quelques-uns de ces gros solitaires de la Châtaigneraie. Adieu, mes amis.
Un baiser à Catherine, une accolade à Arnaud, une révérence à Macée qui lui offrait la coupe de vin épicé de l'adieu et Xaintrailles se tournait vers Jacques Cœur qui avait saisi un flambeau pour éclairer son hôte dans l'escalier.
— Je vous suis, maître Cœur ! Encore merci de votre aide !
— Passez, Messire. Je vais vous dire où vous pourrez envoyer, dès demain, les dix hommes d'armes que vous avez promis. Car je savais, avant vous, les nouvelles de ce soir et j'ai tout préparé pour faire quitter la ville à nos amis. J'avais deviné que messire de Montsalvy voudrait partir sur l'heure, et que dame Catherine refuserait de le quitter.
Aucun muscle n'avait bougé dans la figure calme du pelletier. Pourtant, Catherine eut la sensation d'un effort sur lui-même. Il y avait, derrière l'impassibilité de Jacques Cœur, une sorte de désespoir dont peut-être lui-même n'avait pas la conscience très nette, mais qu'il refoulait, d'instinct.
L'horloge du couvent des Jacobins sonna trois coups, puis il y eut le bruit sourd de la porte qui se refermait sur Xaintrailles. Enfin, le claquement d'un pas rapide qui s'éloignait sur les pavés de la rue. Catherine et Arnaud, face à face, n'avaient pas bougé. Tous deux écoutaient partir leur ami comme si le bruit de ses pas résonnait dans leur propre cœur. Macée, alors, mit dans la main de Catherine un bougeoir dont elle venait d'allumer la chandelle.
— Venez, dit-elle, il est temps d'aller dormir. Demain, la journée sera rude !
Dormir ? Catherine, ni Arnaud n'y songeaient guère. Dans la grande chambre de Jacques et de Macée ; qui, pour cette nuit nuptiale, leur avait été cédée, ils se retrouvèrent l'un près de l'autre, la main dans la main, comme deux enfants au seuil d'une aventure. La pièce, intime avec les toiles brodées de rouge et J de bleu qui couvraient les murs, avec aussi son beau feu ronflant dans la cheminée conique et le lit aux draps bien blancs sous ses courtines de drap rouge vif, s'offrait à eux comme un univers clos et douillet au seuil duquel expirait le monde. Tout autour, c'était le silence attentif de la nuit refermé sur la maison comme sur une coquille. Le danger, pour le moment, faisait trêve et ces premières heures de vie à deux n'appartenaient bien qu'à eux seuls. Demain, tout recommencerait, mais, pour l'instant, le mal ni la haine ne pouvaient les atteindre.
Sans quitter la main de Catherine, Arnaud referma soigneusement la porte puis entraîna la jeune femme jusqu'au lit sur le bord duquel il la fit asseoir avant de la prendre dans ses bras. Sans qu'ils eussent seulement échangé un mot, il se mit à l'embrasser avidement. Bien qu'ils habitassent la même demeure depuis que Xaintrailles l'avait ramené mourant, c'était la première fois qu'Arnaud échangeait des caresses avec Catherine. Tous deux avaient mis un point d'honneur à respecter la maison des Cœur et à attendre d'être régulièrement unis. Mais, maintenant, Arnaud semblait décidé à rattraper le temps perdu.
Sa bouche courait des tempes de Catherine à ses yeux, à ses lèvres, à son cou. Il l'étreignait avec une passion qui la meurtrissait, mais qu'elle subissait avec une joie sauvage. De temps en temps contre son oreille, il murmurait son bonheur.
— Ma femme... Ma Catherine à moi... Ma femme pour toujours !
Elle s'abandonnait à ses mains fiévreuses qui, déjà, dénouaient les minces liens de la gorgerette blanche, délaçaient le corselet de la robe. D'un geste vif, il avait enlevé la coiffe de mousseline empesée et l'avait envoyée promener à l'autre bout du lit.