Soudain, Catherine se raidit sous ses caresses. Au fond d'elle-même, l'enfant s'agitait avec une violence nouvelle.
Arnaud perçut son recul, la regarda.
— Qu'as-tu ?
L'enfant... Il bouge beaucoup ! Peut-être ne devrions-nous pas... Il se mit à rire et Catherine songea qu'il riait comme personne avec une force et une gaieté venues de son indomptable vitalité. L'éclair de ses dents blanches étincela dans l'ombre rouge des rideaux.
— Si ce petit bougre se mêle de m'empêcher de t'aimer, il aura affaire à moi. Les enfants n'ont jamais fait la loi chez nous. Et je te veux ! J'ai trop faim de toi... Il y a trop longtemps ! Tant pis pour lui !
Exigeant et tendre, il la ramenait contre lui, la renversait sur la courtepointe de velours, reprenait sa bouche tout en continuant de dénuder son buste et ses épaules. Sous les lèvres chaudes et dures qui la caressaient, Catherine sentit son sang prendre feu. La folie d'amour s'alluma en elle avec la violence de l'ouragan. Elle lui rendit baiser pour baiser, caresse pour caresse et, loin maintenant de le repousser, s'offrit au contraire avec une ardeur nouvelle. C'était la première fois qu'il l'aimait ainsi, avec cette violence contenue, cette science qu'elle ne lui avait jamais connue. Un instant, la pensée la traversa qu'il y avait en lui quelque chose de changé, car, jusque-là, leurs étreintes avaient été brutales, d'une ardeur presque sauvage. C'était un combat passionné, sans vainqueur ni vaincu, dont tous deux sortaient épuisés. Il y avait alors, dans la passion d'Arnaud, quelque chose d'implacable et d'un peu hâtif. Il la soumettait à sa loi. Tandis que, ce soir, elle le sentait attentif à éveiller en elle un plaisir aigu. Et, dans ces caresses lentes, subtiles, sous lesquelles elle gémissait, emportée par le désir, elle retrouvait avec étonnement ces sensations intenses que Philippe de Bourgogne, ce maître d'amour, savait lui dispenser.
Impatiente, elle se plaignit quand il la quitta pour se dévêtir, mais ronronna bientôt de plaisir contre une poitrine dure où le cœur cognait à grands coups. Les flammes de la cheminée, reflétées par les rideaux rouges du lit, habillaient de reflets fauves les épaules brunes d'Arnaud, jouaient dans les boucles noires et drues de ses cheveux en désordre. Elle put encore songer qu'il en serait désormais ainsi chaque nuit que Dieu leur donnerait... et puis elle oublia tout pour se laisser rouler par la vague brûlante qui déferlait sur elle.
Le feu était presque éteint et la chambre chaude baignait dans une obscurité rougeâtre où se mêlaient les senteurs du pin brûlé et celles, plus âpres, de l'amour et des corps en sueur. La tête au creux de l'épaule d'Arnaud endormi, Catherine sommeillait vaguement. Elle flottait délicieusement dans le vague, ayant laissé au lit bouleversé son corps anéanti. Elle avait chaud, elle était bien et elle ne savait plus où finissait la réalité, où commençait le rêve.
Dans l'âtre, les braises crépitaient encore de temps en temps, jetant une brève étincelle, mais tout autour un énorme silence enveloppait le lit comme un cocon protecteur. Il n'y avait plus, au monde, que la respiration calme de l'homme endormi et les paupières battantes de la femme comblée. Avec un profond soupir, Catherine se lova plus étroitement contre Arnaud qui marmotta quelque chose dans son sommeil. Elle ferma les yeux... et les rouvrit presque aussitôt. Au-dehors, un bruit bizarre avait fait éclater le silence, menaçant et lugubre comme le frottement des écailles d'un serpent : celui, caractéristique, du fer claquant contre la pierre.
Écartant le bras d'Arnaud qui tentait, instinctivement, de la retenir, Catherine se coula hors du lit. La température de la chambre, plus fraîche que celle qui régnait sous les courtines du lit, la fit frissonner, mais elle courut sur ses pieds nus jusqu'à l'étroite fenêtre à meneaux. Celle-ci donnait sur la rue des Armuriers. Catherine entrouvrit le volet de bois plein, jeta un coup d'œil. Avec une exclamation étouffée, elle se rejeta en arrière : des soldats en armes, portant arcs et guisarmes, le chapeau de fer enfoncé sur le camail d'acier, prenaient position autour de la maison de Jacques Cœur, barrant la rue des Armuriers et, sans doute, la rue d'Auron sur toute leur largeur. Le silence avec lequel la manœuvre s'effectuait démontrait clairement que les hommes d'armes et l'officier qui les commandait comptaient bien sur l'effet de surprise.
La peur galvanisa Catherine. Elle courut au lit, secoua Arnaud.
— Vite ! Lève-toi ! Nous sommes cernés !
Il bondit avec cette rapidité d'éveil de l'homme habitué à vivre dangereusement, courut à la fenêtre. Un instant, sa haute silhouette brilla contre le fond sombre des boiseries, puis il enfila ses chausses, ses souliers et, sans même prendre la peine de passer une chemise, se rua dans l'escalier, jetant à Catherine qui, maintenant, claquait des dents :
— Habille-toi ! Je vais prévenir Jacques Cœur.
Rendue maladroite par la peur, Catherine tâtonna à
la recherche de ses vêtements, enfila sa chemise. Elle finissait de passer sa robe quand Arnaud revint avec le pelletier qui nouait la cordelière d'une robe d'intérieur. Déjà, le poing ferré de l'officier faisait résonner la porte d'entrée. On entendit sa voix au-dehors.
— Ouvrez ! De par le Roi !
— Messire de Xaintrailles a dû être suivi, ou reconnu, quand il nous a quittés, chuchota Jacques. Il n'y a pas une minute à perdre. Venez !
Il les entraîna hors de la chambre tandis que Macée, frissonnante dans une longue chemise, une chandelle à la main, y entrait et se coulait dans le lit défait. Elle avait, au passage, échangé avec Catherine un regard chargé d'angoisse. Les coups au-dehors se faisaient plus violents. La voix autoritaire leur parvint, menaçante.
— Enfoncez la porte si ces manants tardent trop à ouvrir !
— Eh ! marmonna Cœur entre ses dents, qu'ils l'enfoncent ! Cela nous donnera du temps.
Ils parvinrent dans la cuisine comme la vieille Mahaut, flanquée de Sara et de Gauthier, y pénétrait. Le visage de Jacques Cœur s'éclaira.
— Conduis-les tous à la réserve secrète, dit-il à la vieille servante. Moi, je vais parlementer. Grâce au ciel, tout le monde est là... et le feu est éteint.
Cette dernière phrase, incompréhensible tout d'abord, le devint pour Catherine quand elle vit son hôte s'engager dans la cheminée. La plaque de bronze, frappée de fleurs de lys, du fond tourna comme par magie, découvrant un trou noir. Déjà, Mahaut avait allumé une chandelle et s'engageait dans le trou. Arnaud saisit Catherine par un bras et l'entraîna.
— Viens ! N'aie pas peur !
Mais elle claquait des dents, autant de froid que de peur. Arrachée brutalement à sa douce quiétude de tout à l'heure, il lui semblait vivre un mauvais rêve. Rapidement, Arnaud ôta son pourpoint, le posa, chaud encore de sa propre chaleur, sur les épaules de sa femme.
— Faites vite ! s'impatienta Jacques. Vous trouverez de quoi vous couvrir en bas. Cette fois, c'est sérieux !
En effet, on entendait le fracas de la porte qui craquait sous les coups des soldats. Elle allait s'effondrer. Sara et Gauthier s'engagèrent à leur tour. La plaque se referma et Catherine, agrippée au bras d'Arnaud, se retrouva dans une obscurité que la chandelle de la vieille Mahaut perçait à peine. Les marches taillées dans la pierre étaient hautes et glissantes ; une forte odeur de fumée froide prenait à la gorge, mais, curieusement, le vacarme de la maison ne s'entendait presque plus.
— Où allons-nous ? chuchota Arnaud.
— Le maître l'a dit. Dans la resserre secrète. C'est là qu'il cache les marchandises précieuses qu'il veut dissimuler à la rapacité des hommes du Grand Chambellan... celles aussi qu'il veut emporter dans son prochain voyage en Orient.
Mais, murmura Catherine, la cachette du toit ? En effet, la maison des Cœur, comme toutes les maisons de Bourges, avait reçu plusieurs visites domiciliaires, mais des cachettes ménagées entre les solives du haut toit pointu avaient permis de dissimuler les hôtes suspects de la maison.