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La dague s'approcha encore, mordit légèrement la peau où parut un filet de sang. Catherine, les yeux piqués par la fumée, se mit à tousser, portant à son comble l'exaspération d'Arnaud.

— Fais quelque chose, alors, ou tu es mort !

— Je ne crains pas la mort si elle présente une quelconque utilité, mais j'ai horreur des choses vaines ! Allons dehors, toi et moi. En me voyant, Chapelle cessera son tir de peur de m'atteindre. Il accepterait, sans doute, que tu me tues, mais ne prendrait pas le risque de le faire lui-même.

Sans répondre et sans déplacer sa dague, Montsalvy poussa l'Espagnol au-dehors. Catherine tendit une main pour le retenir, mais ils étaient déjà à la sortie, éclairés par les flammes des dernières torches volantes. Les flèches cessèrent de tomber.

— Porte-moi dehors, cria Catherine à Gauthier, je veux rester avec mon époux !

La jeune femme étouffait. Elle était à deux doigts de s'évanouir, mais le Normand hésitait. Les deux hommes étaient hors de vue. Elle entendit cependant la voix de l'Espagnol qui criait :

— Arrête, Chapelle ! C'est un ordre ! Cesse de tirer !

Puis une autre voix, grossière et éraillée par trop d'ordres hurlés au cours d'une vie entière.

— Pas plus d'un quart d'heure, Messire ! Ensuite, j'attaquerai de nouveau, dussiez-vous y laisser la vie ! Je sais qu'il y a des femmes. Dites à ces gens que, s'ils ne vous lâchent pas, je ne leur ferai ni grâce ni quartier. Les hommes seront écorchés vifs, les femmes éventrées après avoir distrait les soldats. Et puis... je dirai un De Profundispour votre âme.

Une quinte de toux si violente secoua Catherine que Gauthier n'hésita plus. Il confia l'enfant à Sara, puis, enlevant la jeune femme dans ses bras avec les manteaux, les couvertures et même une bonne partie de la paille, il la transporta à l'air libre, hors de la grotte. Elle aspira avidement l'air froid de la nuit. Le Normand la déposa sur une roche plate où Sara vint la rejoindre avec le bébé. D'où elle était, elle pouvait entrevoir le torrent écumant et, entre les arbres, des silhouettes imprécises qui jetaient parfois un éclair d'acier. La lune se levait derrière les croupes montagneuses, précisant de plus en plus le paysage. Elle vit aussi Arnaud, maîtrisant toujours l'Espagnol, debout tous deux à quelques pas. La voix pressante de Villa- Andrado lui parvint :

— Me tuer serait pour toi une faible satisfaction, Montsalvy, et un mince réconfort au moment où mes hommes violeront ta femme sous tes yeux. Ce sont des Navarrais et des Basques, des montagnards à demi sauvages qui n'aiment que le sang et ignorent la pitié. Tu es dans une impasse dont, seul, je peux te tirer.

— Comment ?

La voix d'Arnaud était toujours aussi inflexible et, d'où elle était, Catherine pouvait maintenant voir clairement son profil net, découpé par le rayon de lune. Le groupe étrange qu'il formait avec VillaAndrado se détachait sur le fond plus sombre des bois en pente et, brusquement, elle eut peur, pour elle et pour l'enfant, de l'orgueil d'Arnaud. Il ne céderait pas

! même au prix de leurs vies.

— Rends-moi la liberté ! Bientôt il sera trop tard. Ils flairent le sang et rien ne les arrêtera, pas même moi, si Chapelle les lance.

Comme pour lui donner raison, la voix rugueuse du lieutenant leur parvint et l'angoisse mordit Catherine si violemment qu'elle faillit crier.

— Le temps passe, Messire ! Il n'en reste plus beaucoup ! dit Chapelle.

L'Espagnol reprit, plus pressant :

— Je te l'ai dit, à cause de ta femme, de ton fils, je renonce à faire acte d'ennemi. J'en donne ma parole de Castillan et de chevalier. Je me souviendrai seulement que nous avons, jadis, combattu côte à côte...

La dague quitta enfin le cou de Villa-Andrado, mais ne s'abaissa que faiblement.

— Tu le jures sur la croix ?

— Je le jure sur la croix et sur le nom sacré de Notre-Seigneur qui est mort pour tous les hommes !

Alors seulement le bras de Montsalvy retomba. Sa main gauche libéra les poignets qu'il avait tenus serrés tout ce temps. Un grand soupir allégea la poitrine oppressée de Catherine.

— C'est bien. Tu es libre, mais puisses-tu brûler une éternité en enfer si tu m'as trompé, dit Arnaud.

— Je ne t'ai pas trompé...

L'Espagnol fit quelques pas vers les soldats qui, insensiblement, s'étaient rapprochés. Leur cercle de fer enfermait maintenant l'espèce de plate-forme étroite où s'ouvrait la grotte et Catherine, à demi morte d'épuisement et de terreur, pouvait voir luire les fauchards de guerre, les guisarmes et les haches dans les poings d'hommes à l'aspect barbare. Tout ce sauvage appareil guerrier qui menaçait la vie fragile d'un enfant, de son enfant à elle !

La voix de Villa-Andrado s'éleva, vigoureuse, répercutée par l'écho, semblable dans son ampleur à quelque trompette de jugement dernier.

— Je suis libre et la paix est faite ! dit-il. Merci à toi, Chapelle !

— Nous n'attaquerons pas ? fit un petit homme mince et fluet qui s'était détaché des rangs et que Rodrigue de VillaAndrado dominait de toute la tête.

C'était très certainement le fameux Chapelle et Catherine sentit l'inquiétude lui revenir en décelant un regret dans sa voix.

— Non. Nous n'attaquerons pas.

— Et si... pourtant, nous préférions attaquer, moi et mes hommes ? Avez-vous oublié que le seigneur de Montsalvy est recherché comme traître et criminel d'État ?

Le coup partit avant que quiconque n'eût pu le pré voir. Le poing de l'Espagnol se leva et Chapelle alla rouler jusqu'au torrent.

— Je pendrai de mes mains quiconque discutera mes ordres !

Et mes ordres sont les suivants. Que l'on aille au château chercher une litière et que l'on fasse préparer une chambre.

Toi, Pedrito...

La suite du discours, en espagnol, fut incompréhensible pour Catherine, mais déjà Arnaud s'interposait.

— Un instant ! Nous ne nous battrons pas, mais je refuse ton hospitalité. Je ne franchirai l'enceinte de Ventadour que lorsque son légitime propriétaire m'y attendra.

— Ta femme a besoin de repos, de nourriture !...

— Cesse de te préoccuper de ma femme ! Nous partirons quand le jour se lèvera. Rentre dans ton repaire et quittons-nous ici... Accepte cependant mes remerciements.

Le visage sombre de Villa-Andrado se détourna. Son regard accrocha au passage celui de Catherine, puis se détourna, envahi d'une sorte de gêne.

— Non. Tu ne me dois aucun remerciement... Tu comprendras plus tard pourquoi je ne veux pas être remercié. Adieu donc, puisque tu le veux... Nul ne t'inquiétera sur les terres de Ventadour.

Il fit quelques pas et plia le genou devant Catherine, l'enveloppant d'un regard brûlant sous lequel, à son tour, elle rougit.

— J'avais espéré vous recevoir en reine, belle dame. Pardonnez-moi de vous laisser ici. Un jour, peut-être, aurai-je la joie...

— Cela suffit ! coupa Arnaud durement. Va-t'en !

Avec un haussement d'épaules, Villa-Andrado se releva, mit la main sur son cœur pour saluer Catherine et se détourna.

La jeune femme vit la grande silhouette rouge s'éloigner entre les arbres, dans la lumière argentée. Cet homme étrange l'intriguait, mais ne lui inspirait aucune aversion. Il avait agi en gentilhomme et elle en voulait un peu à Arnaud d'avoir refusé son hospitalité. Elle eût tant aimé un bon lit, un grand feu flambant, quelque chose de chaud à boire et aussi plus de sécurité pour le bébé qui dormait dans les bras de Sara. Le froid de la nuit la saisit et elle frissonna. Mais le léger soupir qu'elle avait poussé n'avait pas échappé à Sara.

— En vérité, voilà de bien beaux sentiments ! fit- elle avec humeur en s'adressant à Montsalvy, mais avec quoi pensez-vous nourrir votre épouse, dans l'état de faiblesse où elle se trouve ? C'est fort bien de jouer les difficiles et de trancher en dédaigneux, mais il faut que Catherine mange, sinon l'enfant n'aura pas de lait et...