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Pour un bébé âgé d'une semaine à peine, le petit Michel faisait preuve d'une belle vitalité. Le voyage, malgré le froid et les chutes de neige, ne semblait pas l'incommoder. Continuellement niché dans le vaste giron d'une Sara rayonnante pour qui l'hiver n'existait plus qu'en fonction de ses effets possibles sur le poupon, chaudement enveloppé, un voile léger sur sa minuscule figure, il dormait à poings fermés les trois quarts du temps, ne s'éveillant que pour réclamer son repas d'une voix perçante. Les voyageurs, alors, faisaient halte dans quelque coin abrité et l'enfant passait des bras de Sara à ceux de Catherine. Ces moments-là étaient pour la jeune mère des instants merveilleux. Elle avait le sentiment profond qu'il était bien à elle, fait de sa chair et de son sang. Lés doigts minuscules s'agrippaient au sein gonflé qu'on lui offrait et la petite bouche ronde tétait avec une ardeur qui inquiétait Arnaud.

— Jeune drôle ! grommelait-il, une fois au château on te trouvera une vigoureuse nourrice ! Si on te laisse faire, tu dévoreras ta mère.

— Rien ne vaut pour un bébé le lait maternel ! objectait Sara doctorale.

— Ouais ! Chez nous, les garçons ont toujours eu des nourrices. Nous sommes de grands dévoreurs dans la famille et nos mères peuvent rarement suffire. Moi, j'avais deux nourrices ! concluait-il triomphalement.

Ces petites escarmouches amusaient Catherine qui connaissait bien la raison profonde qu'avait son époux de prôner les nourrices. Arnaud avait bien de la peine à respecter le temps rituel des couches qui oblige un mari à observer l'abstinence charnelle jusqu'aux relevailles. La nuit venue il laissait, bien à contrecœur, Catherine dormir auprès de Sara et du bébé. Quant à lui, malgré la fatigue de la chevauchée, il s'en allait arpenter les environs, ne rentrant qu'au bout d'une heure ou deux. Catherine, d'ailleurs, connaissait bien l'expression affamée qu'il avait, en la regardant et, lorsqu'elle faisait boire Michel, il demeurait planté devant elle, le regard rivé à sa gorge découverte, cachant ses mains derrière son dos pour qu'elle ne les vît pas trembler.

Le matin même de ce jour qui ne devait pas s'achever sans que l'on fût enfin au but, Arnaud avait à moitié assommé Escornebœuf qu'il avait surpris, embusqué derrière une porte, tandis que Catherine allaitait Michel. Le colosse n'avait pas entendu venir j Montsalvy. Le visage apoplectique, il se tenait ; accroupi, l'œil au trou de la serrure au-delà de laquelle la jeune femme, se croyant seule avec Sara, dans sa cellule de l'abbaye, ouvrait largement son corsage en souriant à la bohémienne qui berçait le bébé. Le sang devait cogner si fort aux oreilles d'Escornebœuf qu'il n'avait pas prêté attention aux pas rapides d'Arnaud sous les arcades du cloître. L'instant suivant, le gros ; sergent roulait dans la poussière en hurlant. D'un magistral coup de poing, Montsalvy lui avait écrasé le nez. Puis il l'avait relevé d'un coup de pied au bas du j dos en grondant.

— File d'ici !... Et souviens-toi que, la prochaine ! fois, je te tuerai !

L'autre avait filé, l'échiné basse, comme un dogue fouetté, mâchonnant des injures entre ses dents. Arnaud n'y avait pas prêté attention, mais Catherine s'était inquiétée.

— L'homme est mauvais ! Il faut se méfier de lui...

— Il ne bronchera pas ! Je connais cette engeance. D'ailleurs, une fois à Montsalvy, rien ne sera plus facile que de le mettre au cachot pour le calmer.

Au moment du départ, pourtant, il avait été impossible de retrouver Escornebœuf. Malgré sa taille gigantesque, il semblait s'être soudain volatilisé. Personne, dans le couvent, ne l'avait vu. Mais, une fois de plus, Arnaud refusa de s'en soucier.

— Bon débarras ! Après tout, nous n'avions plus besoin de lui ! dit-il.

Mais il avait tout de même recommandé à l'abbé d'Estaing de faire jeter le Gascon aux fers si jamais le prévôt de la ville remettait la main dessus. Il ne lui restait plus, des hommes donnés par Xaintrailles, que le seul et fluet Fortunat, mais, pas plus que les autres, Fortunat ne semblait regretter son chef. Depuis l'incident de la forêt de Chabrières, il s'était pris pour Gauthier d'une ardente admiration qu'il partageait équitablement avec Catherine en laquelle Fortunat voyait une créature surnaturelle. C'était une nature simple, sauvage, cruelle par habitude plus que par vocation et, désormais, Fortunat suivait le Normand comme son ombre.

Le soir allait tomber et les quelque huit lieues séparant Aurillac de Montsalvy s'épuisaient sous les sabots rapides des chevaux. Arnaud ne pouvait plus retenir son impatience et le grand étalon noir, quand son maître avait vu surgir de l'horizon brumeux, imprécise comme un mirage, la tour romane d'une église au- dessus de murs sombres, avait pris le galop. Derrière lui, Morgane volait littéralement, le panache éclatant de sa queue flottant joyeusement tandis que les pierres du chemin sautaient sous ses sabots. Gauthier et Fortunat étaient demeurés en arrière, auprès de Sara. Chargée de Michel, l'excellente femme ne pouvait s'offrir d'autre allure qu'un trot paisible.

Emportée par la griserie de la course, Catherine talonna Morgane. La jument tendit le cou, fonça et remonta le cheval noir à la hauteur duquel elle se maintint. Arnaud adressa à sa femme, rouge de joie et d'excitation, un sourire rayonnant.

— Tu ne me battras pas, ma belle cavalière ! D'ailleurs, tu ne connais pas le chemin, cria-t-il dans le vent.

— C'est le château, là-bas ?

— Non... C'est l'abbaye ! Les maisons du village sont massées entre elles et le puy de l'Arbre où est notre maison. Il faut prendre un chemin, à gauche, sous les murs du monastère, s'enfoncer dans le bois. Le château est au flanc du puy et, des tours, on domine un immense paysage. Tu verras... tu auras l'impression d'avoir l'univers à tes pieds.

Il s'interrompit parce que la rapidité de la course lui coupait le souffle. Sans répondre, Catherine sourit, poussa encore sa jument. Morgane donna tout ce qu'elle pouvait, dépassa le cheval. Catherine éclata de rire. Distancé, Arnaud jura comme un templier. Férocement éperonné, l'étalon bondit, passa comme un boulet de canon... Les murs de l'abbaye se rapprochaient. Catherine pouvait distinguer les toits des maisonnettes de lave du petit bourg. Brusquement, Arnaud obliqua vers la gauche, délaissant le grand chemin pour un étroit sentier qui se perdait dans les arbres. Elle se retourna, vit que les autres étaient encore loin.

— Attends-nous ! cria-t-elle.

Mais il ne l'entendait plus. L'air du pays natal qu'il n'avait pas respiré depuis plus de deux ans l'enivrait comme un vin trop riche... Catherine hésita un instant : allait-elle le suivre ou bien attendre les autres ? Le désir d'être avec lui l'emporta.

D'ailleurs, d'où ils étaient, Gauthier, Sara et Fortunat ne pouvaient pas du chemin sautaient sous ses sabots. Gauthier et Fortunat étaient demeurés en arrière, auprès de Sara. Chargée de Michel, l'excellente femme ne pouvait s'offrir d'autre allure qu'un trot paisible.

Emportée par la griserie de la course, Catherine talonna Morgane. La jument tendit le cou, fonça et remonta le cheval noir à la hauteur duquel elle se maintint. Arnaud adressa à sa femme, rouge de joie et d'excitation, un sourire rayonnant.

— Tu ne me battras pas, ma belle cavalière ! D'ailleurs, tu ne connais pas le chemin, cria-t-il dans le vent.

— C'est le château, là-bas ?

— Non... C'est l'abbaye ! Les maisons du village sont massées entre elles et le puy de l'Arbre où est notre maison. Il faut prendre un chemin, à gauche, sous les murs du monastère, s'enfoncer dans le bois. Le château est au flanc du puy et, des tours, on domine un immense paysage. Tu verras... tu auras l'impression d'avoir l'univers à tes pieds.

Il s'interrompit parce que la rapidité de la course lui coupait le souffle. Sans répondre, Catherine sourit, poussa encore sa jument. Morgane donna tout ce qu'elle pouvait, dépassa le cheval. Catherine éclata de rire. Distancé, Arnaud jura comme un templier. Férocement éperonné, l'étalon bondit, passa comme un boulet de canon... Les murs de l'abbaye se rapprochaient. Catherine pouvait distinguer les toits des maisonnettes de lave du petit bourg. Brusquement, Arnaud obliqua vers la gauche, délaissant le grand chemin pour un étroit sentier qui se perdait dans les arbres. Elle se retourna, vit que les autres étaient encore loin.