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Au fort de la mêlée, Arnaud, Gauthier, Fortunat et Saturnin, qui s'étaient groupés, accomplissaient des prodiges de valeur.

Le grand Normand empoignait les hommes, deux à deux, par le col et les assommait l'un contre l'autre avant de les laisser choir. Le fléau d'armes tournoyait sans arrêt faisant éclater les casques, et les crânes avec, comme de simples coquilles de noix, mais la troupe des routiers était nombreuse et semblait renaître sans cesse.

Bientôt, Arnaud et ses hommes eurent le dessous et l'issue du combat ne fit plus de doute pour Catherine : c'était la fin et, sans doute, la mort à brève échéance...

Dix hommes venaient d'isoler Arnaud de ses compagnons et l'ensevelissaient sous leur poids. Pour Gauthier, il en fallut vingt. Mais, quelques instants plus tard, les deux hommes, plus Saturnin et Fortunat, solidement entravés et dépouillés de leurs armes, étaient traînés devant Valette réapparu tout à coup.

— Doux Jésus ! gémit une femme près de Catherine... C'en est fait de nous !

— Taisez-vous, coupa durement la jeune femme. Qu'importe ce qu'il peut advenir de nous s'ils meurent !

Le rire grinçant de Valette couvrit sa voix. Le bandit s'approchait d'Arnaud que deux hommes maintenaient encore malgré les liens dont on l'avait chargé. On lui avait arraché son casque et un filet de sang coulait le long de sa joue, depuis l'arcade sourcilière fendue. Mais ses yeux noirs n'avaient rien perdu de leur arrogance. Dédaigneux, il toisa le routier qui se dandinait devant lui comme un héron boiteux, haussa ses larges épaules... C'en était trop pour la vanité de Valette ; à toute volée, par deux fois, il gifla son prisonnier.

— Voilà qui t'apprendra à respecter ton maître, chien !

Catherine, alors, vit rouge. En aveugle, elle se jeta en avant, toutes griffes dehors, et, avant que Valette l'ait seulement vue venir, elle lui avait sauté au visage comme une chatte sauvage. Le routier hurla, portant la main à sa joue où les ongles de la jeune femme avaient tracé cinq sillons sanglants, voulut reculer, mais elle s'accrochait à lui de toutes ses forces, cher chant à atteindre les yeux, poussée par un instinct de destruction aussi vieux que la terre, l'instinct animal de la femelle dont on attaque le mâle.

Quand deux hommes parvinrent enfin à l'arracher de sa proie, le visage de Valette était rouge vif et il beuglait comme un porc égorgé. Mais, aux mains des hommes d'armes, Catherine écumait encore de fureur, crachant le feu comme un petit fauve en colère et cherchant à griffer et à mordre. Épongeant le sang qui coulait sur sa dalmatique, le routier marcha sur elle.

— Bougre de charogne !... gronda-t-il... Qui es-tu ?

— Ma femme ! fit Arnaud aimablement. (Puis il ajouta, un demi-sourire étirant son visage blessé :) Quand donc prendras-tu l'habitude de m'obéir, Catherine, et de rester à la maison quand je le désire...

— Quand tu cesseras de courir un danger quelconque !

— Il va cesser bientôt, vous n'avez besoin que d'un peu de patience ! grimaça Valette. Juste quelques instants encore et vous serez à jamais délivrés de vos soucis. Allons, vous autres, enchaînez-moi ces deux-là sur le bûcher ! J'ai horreur des choses qui ne servent à rien.

La foule gronda de colère. Mais deux soldats levèrent leurs lances : deux hommes tombèrent, transpercés...

Irrésistiblement, avec une effrayante brutalité, les autres entraînaient déjà Catherine et Arnaud vers le bûcher... Les yeux de la jeune femme étaient agrandis d'horreur devant cette mort affreuse qui les attendait. Elle cria :

— Vous n'allez pas... Non... Pas ça !

— Je t'en supplie, sois courageuse, mon amour, supplia Arnaud. Ne leur donne pas la joie de t'entendre les supplier...

Déjà, on les hissait sur l'entassement de fagots. Catherine trébucha et tomba lourdement avec un gémissement. Alors, dans ses liens, Gauthier fit un effort terrible. Gonflant ses muscles et sa vaste poitrine, il fit éclater les cordes. Rugissant comme un lion furieux il tomba de tout son poids, de tous ses muscles sur les hommes d'armes, assommant celui-ci, faisant éclater les dents de celui-là, se forçant un chemin irrésistible vers les captifs. Il semblait possédé de quelque fureur sacrée. Ses yeux lançaient des éclairs, sa bouche se tordait convulsivement et écumait. Sa force décuplée par la colère, irrésistible, abattait les ennemis autour de lui comme la faux dans un champ de blé. Les paysans, saisis d'une admiration superstitieuse, regardaient, bouche bée...

Le géant atteignait le bûcher quand une flèche le frappa à l'épaule. Il s'abattit sur les fagots avec un grognement qui trouva son écho dans le cri désespéré de Catherine, puis dans le hurlement féroce de Valette.

— Attachez-le avec les autres ! Et que ça flambe !

Catherine ferma les yeux. Contre le bois rugueux

du poteau, la main d'Arnaud, enchaîné près d'elle, cherchait la sienne, la trouvait et l'enfermait.

— C'est la fin, murmura-t-elle d'une voix qui s'étranglait... Nous allons mourir. Mon pauvre petit !... Mon pauvre petit Michel !

Ses yeux brouillés de larmes voyaient, comme dans un cauchemar, la forme grimaçante d'un soldat qui, un peu plus loin, allumait une torche... Mais, malgré la mort si proche, tout cela continuait à lui paraître absurde, comme frappé d'irréalité. Cette chose stupide ne pouvait pas être vraie. Un miracle allait arriver...

Et le miracle arriva. Un son de trompe retentit, profond, impérieux, et, soudain, la route qui montait de la vallée se couvrit de chevaux, de bannières et d'armures. Une troupe nombreuse, solidement armée mais somptueuse, venait d'apparaître.

Le sol tremblait sous le martèlement des sabots et, sur la prairie, chacun s'était figé sur place, regardant. Même l'homme à la torche, même Valette qui, sourcils froncés, fixait intensément les arrivants. Comme un vivant mur de fer, un escadron de gens d'armes s'avançaient quatre par quatre sur plusieurs rangs, lances à la cuisse, les flammes multicolores dansant au vent. Ils s'arrêtèrent au bord du plateau, se scindèrent en deux et se rangèrent de part et d'autre du chemin, livrant passage à un héraut rouge et blanc empanaché et rutilant qui portait d'un poing arrogant une grande bannière de toile d'argent sur laquelle grimpait un lion écarlate...

A peine Arnaud eut-il aperçu cet emblème qu'il hurla, à pleine voix :

— À moi, Armagnac !

L'effet fut magique. Le beau héraut n'eut que le temps de se ranger. Un groupe de chevaliers aux armures étincelantes, portant huques brodées, rouges, blanches, bleues, or ou argent, les heaumes sommés d'emblèmes fantastiques, les caparaçons des chevaux volant autour des sabots qui martelaient le sol, fonça à travers la prairie qui, en un clin d'œil, fut envahie d'un flot guerrier tumultueux et bariolé. Ils entouraient un grand chevalier rouge et argent dont le casque était ceint d'une couronne comtale. D'autres chevaliers suivaient, puis la piétaille des archers, des piquiers aux chapeaux de fer, des écuyers et même des pages retenant à pleins poings de grands lévriers colletés d'or, héraldiques et superbes. Auprès de cette petite armée, les hommes de Valette faisaient piètre figure et amorçaient déjà un mouvement de repli vers la cité !