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— Marie m'a tenu lieu de fille, durant les jours les plus noirs, avait-elle dit. Sa compagnie m'est bonne...

Le regard qui accompagnait cette déclaration laissait sous-entendre qu'aucune autre compagnie ne pour rait remplacer celle-là et Arnaud, qui ouvrait déjà la bouche pour rappeler à sa mère qu'elle avait en Catherine une fille toute trouvée, l'avait refermée sans rien dire. A quoi bon aviver les antagonismes ? À force de vivre ensemble, les deux femmes finiraient peut-être par s'apprécier. Arnaud croyait au pouvoir lénifiant du temps et de l'habitude...

Malgré tout, Catherine eût volontiers accepté la cohabitation avec Isabelle, par respect pour son âge et par tendresse pour son époux, mais l'idée de vivre auprès de cette Marie de Comborn, toujours agressive, et dont elle sentait continuellement sur elle le regard surveillant, lui causait un malaise presque physique. Elle supportait de plus en plus mal la vue de la jeune fille et celle-ci, avec une clairvoyance maligne, s'en rendait parfaitement compte. Elle jouait méchamment de ce sentiment, prenant un malin plaisir à s'imposer et suivant Arnaud comme son ombre dès qu'elle en avait la possibilité.

Quand les dames eurent franchi la porte, basse et sculptée, du logis seigneurial, Marie se glissa près de Catherine dont les yeux désenchantés allaient des voûtes noires de suie aux dalles cassées ou disjointes tachées de graisse et truffées de traces boueuses qui reportaient assez loin dans le temps le dernier lavage.

— Comment la noble dame trouve-t-elle son palais ? ronronna la jeune fille. Magnifique sans doute ! Après la boutique puante d'un marchand, la pire tanière doit être éblouissante.

— Cela vous plaît ? répliqua la jeune femme avec un sourire angélique, feignant de prendre son ennemie au mot. Vous n'êtes guère difficile. Il est vrai que, dans la tour ruinée de votre frère, vous n'avez pas eu l'occasion de voir grand-chose.

Ce logis est tout juste bon... pour un boucher ! C'est une tanière digne d'un Comborn.

— Vous vous trompez, siffla Marie en dardant sur la jeune femme le feu dangereux de son regard, ce n'est pas une tanière... c'est un tombeau !

Un tombeau ? Quelle imagination morbide !

— Il n'y a là aucune imagination, seulement une certitude que j'espère vous faire partager. Un tombeau, je répète...

votre tombeau ! Car, ma chère, vous n'en sortirez pas vivante !

Catherine sentit la colère l'envahir, mais se contint au prix d'un violent effort. Elle n’allait tout de même pas donner à cette chipie le plaisir de voir qu'elle l'avait atteinte ? Un sourire sarcastique retroussa ses lèvres sur ses petites dents parfaites.

— Et, bien entendu, c'est vous qui me ferez passer de vie à trépas ? Vous n'êtes pas un peu fatiguée des menaces, des grandes phrases tragiques ? Quel dommage que le destin vous ait fait naître dans un château ! Sur les tréteaux de la foire Saint-Laurent, à Paris, vous auriez un énorme succès.

Marie s'assura d'un coup d'œil circulaire que personne ne les écoutait. Isabelle de Montsalvy et Sara se dirigeaient déjà vers l'étage supérieur, les hommes étaient ressortis dans la cour, elles étaient seules, apparemment, auprès de la rustique cheminée.

— Riez, grinça la jeune fille, riez, ma belle ! Vous ne rirez pas toujours ! Bientôt vous ne serez plus qu'une charogne pourrissante au fond de quelque trou et moi je serai dans le lit de votre époux.

— Le jour où dame Catherine sera au fond d'un trou, fit une voix profonde qui semblait venir de la cheminée même, le lit de messire Arnaud sera vide, car vous ne vivrez pas assez longtemps pour vous en approcher, Demoiselle !

Gauthier apparut, derrière le pilier de l'âtre, les mains en avant, si formidable et menaçant que Marie eut un mouvement de recul, vite réprimé d'ailleurs. Sa petite tête se redressa et, la lèvre dédaigneuse, vipérine, elle lança :

— Ah ! le chien de garde ! Il est toujours dans vos jupons, bien entendu, toujours prêt à voler à votre secours. Je me demande comment Arnaud supporte cela, puisque vous prétendez qu'il vous aime.

— Les sentiments de messire Arnaud ne sont pas en cause, ici, Demoiselle, coupa rudement le Normand. Depuis longtemps, je veille sur dame Catherine, et il le sait. Aussi, permettez qu'en chien de garde je parle : si vous touchez à Mme de Montsalvy, je vous tue, de ces mains-là !

Les énormes paumes du géant s'étalèrent sous les yeux de Marie, assez impressionnantes pour que la jeune fille pâlît.

Mais l'orgueil vint à son secours, la haine aussi.

— Et... si j'allais dire à mon cousin que vous m'avez menacée ? Croyez-vous qu'il vous garderait ici encore longtemps?

— Aussi longtemps que je voudrai ! coupa Catherine en se glissant entre les deux adversaires. Retenez ceci et ne l'oubliez plus... ma chère ! Si Arnaud est votre cousin, il est mon époux. Et il m'aime, vous entendez, il m'aime, dussiez-vous en crever de rage et de jalousie ! Entre vous et moi il n'hésitera jamais ! Dites ce que vous voulez, faites ce que vous voulez, mais soyez en garde, autant que j'y serai moi-même. Nous verrons bien qui gagnera. Viens, Gauthier, allons rejoindre les autres !

Catherine, avec un dédaigneux haussement d'épaules, se détourna de Marie et, la main appuyée sur le bras du Normand comme pour bien marquer sa solidarité avec lui, se dirigea à son tour vers l'escalier.

— Méfiez-vous, dame Catherine, murmura Gauthier le visage soucieux, cette fille vous hait. Elle est capable de tout, même du pire.

— Alors, veille, mon ami, veille sur moi ! Sous ta garde, je n'ai jamais rien eu à craindre. Pourquoi commencerais-je aujourd'hui ?

— Tout de même, prenez garde ! Je veillerai, mais il est des moments où je ne suis pas toujours auprès de vous. En attendant, je vais prévenir Sara. Face à cette vipère, nous ne serons pas trop de deux...

Catherine ne répondit pas. Malgré la confiance qu'elle affichait, elle ne pouvait se défendre d'une secrète inquiétude.

Comme l'avait dit Gauthier, Marie était de ces reptiles dont on ne peut jamais prévoir l'instant précis où ils vont relever la tête pour frapper. Mais la jeune femme avait l'impression que, si elle montrait la peur sournoise qui l'étreignait, elle perdrait la moitié de ses moyens de défense.

Tard dans la nuit, les soldats de Cadet Bernard travaillèrent à rendre plus habitable l'antique palais vieux de deux siècles. Les chariots qui suivaient Bernard étaient, heureusement, bien fournis en tentures, couvertures, draps et tous objets indispensables à une vie confortable. La grande salle du premier étage et les trois chambres du second reçurent un aménagement approximatif. Les énormes bois de lit, assez larges pour cinq personnes, reçurent des couettes, des matelas et des oreillers ; les chambres reçurent des tentures. Arnaud en prit une avec Catherine ; Isabelle de Montsalvy, Sara et le bébé prirent la seconde ; Marie et la vieille Donatienne qui n'avait pas voulu quitter ses maîtres la troisième. Cadet Bernard et ses chevaliers dressèrent leurs trefs dans l'immense cour. Quant au vieux sire de Cabanes, il n'avait jamais habité le logis, préférant le donjon où il avait ses habitudes. De là l'invraisemblable saleté du lieu où, seule, la salle du rez-de-chaussée servait aux hommes d'armes. Tout le reste était à l'abandon. Mais quelques vigoureux hurlements de Bernard opérèrent des miracles, répondant en écho aux cris furieux d'Arnaud qui inspectait les défenses et le chemin de ronde.

Heureusement, le bois ne manquait pas et, dans toutes les cheminées, on put allumer de grands feux.

Quand Catherine, enfin, rejoignit son époux dans la chambre, elle était rompue de fatigue et plutôt déprimée au moral.

Elle alla s'asseoir sur l'étroite banquette de pierre, dans l'embrasure de la fenêtre, et laissa son regard errer sur la cour où brûlaient encore les feux de cuisine des soldats. Les dernières lueurs des brasiers éclairaient sinistrement les cadavres aux branches du chêne, tranchant durement avec l'élégance des grandes tentes de soie ou de toile brodée qui abritaient les seigneurs. La jeune femme frissonna et resserra autour d'elle la grande étole de laine dont elle s'était enveloppée.