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La porte s'ouvrit, sans que personne y eût frappé. Isabelle de Montsalvy apparut, vêtue de noir de la tête aux pieds. Un long manteau l'enveloppait du col aux talons et un escoffion de voile, noir aussi, donnait à son visage mince une hauteur impressionnante. Dans l'ombre de son manteau, on apercevait la figure de fouine de Marie. La mère d'Arnaud s'arrêta au seuil et, sans même un salut :

— Venez-vous ? dit-elle. La messe va commencer...

— Je viens, fit seulement Catherine.

Elle prit un manteau à capuchon, s'en enveloppa, rabattit la capuche sur sa tête nue et suivit sa belle- mère après avoir posé un baiser léger sur le front de Michel que Sara avait déposé au creux des oreillers du grand lit.

Le soleil était à son déclin lorsque Arnaud regagna le château. Avec Fortunat et la dizaine d'hommes qu'il avait emmenés, il avait battu les alentours pour s'assurer que rien de suspect ne s'y dissimulait. Ensuite, il s'était arrêté assez longuement au village de Carlat pour interroger les notables, examiner les réserves de vivres et aussi tenter d'insuffler un peu d'espoir à ces paysans découragés qui, depuis des années, vivaient en alerte perpétuelle, prêts à chaque instant à fuir ou ! à se battre.

Deux choses frappèrent Catherine quand Arnaud entra dans la grande salle, nettoyée à fond et jonchée de paille fraîche, où la famille l'attendait pour souper : l'expression soucieuse de son visage et le fait qu'il n'avait pas ôté son armure. Il lui parut plus pâle encore que le matin. Tout de suite alarmée, elle courut à sa rencontre, tendant déjà les bras pour l'étreindre, mais il la repoussa doucement.

— Non, ne m'embrasse pas, ma mie ! Je suis sale et je me sens fiévreux. Mes vieilles blessures me font souffrir. J'ai dû prendre quelque refroidissement et tu ne dois pas, toi, risquer d'être malade.

— Que m'importe ? s'écria Catherine furieuse de deviner derrière son dos le sourire satisfait de Marie.

Arnaud sourit, leva la main pour la poser sur la tête de sa femme, mais retint son geste avant de l'achever.

— Pense à ton fils. Tu le nourris encore, il a besoin d'une mère en parfaite santé.

C'était la logique, la sagesse même, mais Catherine ne put se défendre d'un serrement de cœur. Pourtant, elle constata qu'il présentait à sa mère des excuses analogues, s'inclinait seulement devant elle et devant Marie. Isabelle de Montsalvy examinait son fils avec une surprise nuancée d'inquiétude.

— Pourquoi encore armé ? Penses-tu souper avec cinquante livres de fer sur le dos ?

— Non, ma mère. Je ne souperai pas... pas ici tout au moins. Je suis inquiet. Les paysans signalent d'étranges allées et venues, la nuit. On a vu des hommes s'approcher des murs extérieurs, d'autres même, tenter l'escalade du roc. Il faut que j'apprenne à fond les ressources de ce château, que je connaisse aussi mes hommes. Je vais vivre avec eux quelques jours.

J'ai déjà ordonné qu'on me dresse un lit de camp dans la tour Saint-Jean, la plus avancée de l'éperon rocheux...

Il se tourna vers Catherine. Pâle et le cœur gros, elle retenait par orgueil la plainte qui lui venait tout naturellement.

Pourquoi voulait-il s'isoler d'elle, la priver de ce qui formait le plus clair de son bonheur : leurs merveilleuses heures d'intimité.

— Il nous faut être raisonnables, mon cœur. Nous sommes en guerre et j'ai de lourdes responsabilités.

— Si tu veux loger dans la tour Saint-Jean, pourquoi n'irais-je pas aussi ?

— Parce qu'une femme n'a rien à faire dans un corps de garde ! coupa sèchement la mère d'Arnaud. Il est temps que vous appreniez qu'une femme de guerrier doit, d'abord, apprendre à obéir !

— Une femme de guerrier doit-elle, nécessairement, avoir un cœur cuirassé de fer, doit-elle mettre une armure à son âme ? lança Catherine déjà révoltée.

— Pourquoi non ? Les femmes de notre maison n'ont jamais faibli, même quand c'était difficile, surtout quand c'était difficile ! Il est évident que vous n'avez pas été élevée dans ces sentiments.

Le dédain était flagrant dans le ton de la vieille dame et Catherine, déjà sensibilisée par sa déception, l'éprouva cruellement. Blessée, elle allait répliquer, mais Arnaud s'interposa.

— Laissez-la, mère ! Si vous ne pouvez la comprendre, au moins ne le lui faites pas sentir ! Et toi, ma mie, tu seras courageuse parce qu'il le faut.

Sara dormira près de toi. Je ne veux pas que tu sois seule.

Il s'éloignait déjà avec un geste de la main et Catherine fit un effort sur elle-même pour garder contenance malgré L'envie de pleurer qui montait. Ce soir, les choses reprenaient cet aspect absurde et inquiétant qu'un instant elles avaient perdu. Cadet Bernard avait-il emporté aux sabots de son cheval la sécurité, la joie de vivre et l'insouciance ? Et les fantômes de la peur et du doute, écartés pour un temps par son vigoureux bon sens, allaient-ils revenir ? Catherine éprouva une pénible sensation d'étouffement. Les murs semblaient s'incliner vers elle pour l'ensevelir. Que faisait-elle dans cette salle étrangère, entre ces deux femmes hostiles ? Pourquoi Arnaud la laissait-il seule ? Ne savait-il pas que, sans lui, rien n'avait de goût, ni de couleur ? Chacune de ses absences durait le temps d'un hiver... La voix sèche de sa belle-mère la rejoignit au fond de sa solitude.

— Eh bien, soupons donc ! Rien ne sert d'attendre davantage.

— Excusez-moi, fit Catherine, je n'ai pas faim. Je préfère rentrer chez moi. Mon absence ne vous sera certainement pas pénible. Recevez mes souhaits de bonne nuit.

Une rapide révérence et elle avait quitté la salle. Dans l'escalier, l'impression d'étouffement s'envola. Décidément, elle respirait mieux quand elle était loin d'Isabelle et de Marie. Elle rassembla les plis lourds de sa robe pour monter plus vite, gravit presque en courant les dernières marches et tomba dans les bras de Sara qui venait d'installer Michel pour la nuit.

Tremblant à la fois de chagrin et de froid, elle s'accrocha au cou de sa vieille amie, cherchant instinctivement la chaleur d'un réconfort.

S'il me laisse continuellement avec ces deux femmes, je n'y tiendrai pas, Sara, je ne pourrai jamais ! Je sens leur haine et leur dédain comme si c'était quelque chose que l'on pût toucher. Dès demain, je verrai Arnaud, je lui dirai qu'il doit choisir, qu'il...

— Tu te tiendras tranquille ! coupa Sara fermement. Tu devrais avoir honte de te conduire comme une gamine. Et pourquoi donc ? Parce que ton époux a d'autres devoirs et ne peut passer son temps à roucouler auprès de toi ? Quel enfantillage ! C'est un homme, tu sais, et il doit mener sa vie d'homme. La tienne est de l'aider. Il y a des moments où c'est difficile, terriblement difficile. Il faut avoir du courage.

— Du courage, du courage ! maugréa Catherine. Est-ce qu'un jour viendra où l'on cessera de m'en demander ? Je n'en ai plus, moi, du courage.

— Mais si !

Maternellement, Sara fit asseoir la jeune femme désolée sur une banquette et passa son bras autour d'elle. La tête blonde vint se nicher tout naturellement contre son épaule.

— Du courage, mon petit, il t'en faudra encore beaucoup, plus peut-être que tu ne le crois, mais tu ne faibliras pas, parce que tu l'aimes... parce que tu es sa femme.

Tandis que la main tendre de Sara caressait sa tête inclinée, Catherine ne vit pas que des larmes, de nouveau, emplissaient les yeux sombres de la zingara. Elle n'entendit pas la prière muette qui montait du cœur de sa vieille amie, une prière passionnée pour que s'éloignât sans la toucher l'amère coupe de souffrance qui se préparait.

— Noble dame, fit le soldat, essoufflé d'avoir couru, messire Arnaud vous demande ! Vite... c'est très urgent ! Il a besoin de vous... Il est malade !

— Malade ?

Catherine jeta loin d'elle la quenouille de laine qu'elle filait auprès du berceau de Michel, pour occuper ses mains, se leva d'un bond.