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— Ne bouge pas, Gros ! Sinon tu risques de finir tes jours avec une jambe de bois !

J’exhorte Trouduk.

— Coupe une nouvelle liane et fais un nœud coulant, mon pote ! S’agit de confectionner une muselière pour le radeau de notre ami.

Tremblant de frousse, le Noir obéit. Encore quelques sérieux efforts et nous parvenons à retirer de la bourbe Bérurier et le crocodile.

Du beau travail, non ?

Vous avez déjà vu des histoires semblables ailleurs, vous autres ?

Non, jamais !

CHIPARTE CINQ

Y a que les Noirs qui sachent danser.

Les Blancs, sur une piste, sont ridicules. Des fois, je les observe et je me dis que je les préfère quand ils font l’amour ; ils ont l’air plus intelligents.

Les julots de ma patrouille, ils sont comme les poiscailles : dès qu’il se produit une quelconque alerte, ils se cassent, et puis reviennent dard-dard sur les lieux pour vérifier le ce dont il s’agissait. Les poissons pêchés, somme toute, l’ont été à cause de leur curiosité. S’ils étaient restés sur leur premier mouvement (qui est toujours le bon) Sa Sainteté le Pape serait obligée d’annuler le jeûne du vendredi, le carême et toutes ces fausses austérités commanditées par les marchands de merlans.

Apercevant Bérurier à califourchon sur son crocodile, sublime statue équestre crépie de fange, ils se mettent illico à lui gambader autour. Ensuite de quoi le tireur à l’arc (il était soudeur à l’arc chez Renault à ses débuts) loge une flèche sous l’aisselle gauche du saurien auquel Béru a fait lever la patte en lui faisant sentir l’un des lampadaires bordant la piste. L’exploit de mon pote confond nos amis kuwiens. Ils le prennent pour un gros Dieu cradingue, le Mastar. Ils lui implorent des grâces, le prient, le supplient, le célèbrent. Bref, c’est Lourdes !

Alexandre-Benoît reçoit ces témoignages de ferveur avec beaucoup de noblesse.

— Repos, les gars, décrète-t-il en virgulant un coup de pompe dans les gencives du plus fana pelotonné à ses pieds, vous me lichouillerez les nougats plus tard, faut qu’on récupère not’ monde derrière l’auparavant.

— Tu vas m’expliquer, commencé-je…

— Après ! Après… Y a plus pressé.

Vous savez, dès lors, ce que fait Béru, mes petites canailles ? Il met ses mains gluantes en porte-voix et lance un appel.

Jusque-là, rien que de très normal. C’est sa nature qui est confondante, étourdissante, et autre.

— Ho ho ! BERTHE !

Vous avez bien lu ? Je l’ai fait écrire en majuscules pour que ça vous pète à l’œil.

BERTHE.

Je me cramponne au bras musclé, sinon séculier de Troudrukru.

— Qu’entends-je ! je soupire, est-ce une illusion ? Un abus de mes sens ? Est-ce un mirage sonore, si j’ose ainsi m’exprimer ? Ou bien ta chute aurait-elle perturbé tes facultés, Béru ?

— Ho ! ho ! Berthe ! répète le Dodu d’une voix si puissante, si fracassante, si ample, si stentorellienne qu’aussitôt la forêt se tait, intimidée.

Les animaux ne mouftent plus ! Les branchages se figent.

Sur des kilomètres plus ou moins carrés, c’est la pétrification absolue, l’hermétisme, une sorte de vide angoissant.

Et brusquement, soudain, tout à coup (ceci pour vous montrer que je ne suis jamais à court de synonymes s’il m’arrive d’être à court d’argent) un rire hystéro éclate, tout proche, en provenance des hauteurs. Rire purement organique, mes amis. Un rire de femme chatouillée.

On s’empresse, la tête dressée jusqu’aux limites du torticolis.

On avance en s’entretâtant pour ne pas s’égarer ou pour s’égarer tous ensemble.

Et qu’apercevons-nous ? Je le dis ? J’ose ? Vous le voulez vraiment ? Vous serez gentilles avec moi, les filles ?

Vous me gardez votre estime ! Personne ne portera plainte ? Juré ?

C’est tellement inouï dans l’osé !

Téméraire, presque !

J’ai beau réfléchir, mobiliser mes souvenirs, draguer dans les bibliothèques, franchement, je ne vois rien d’approchant dans la littérature précédente. Rabelais ? Même pas ! Claudel ? À peine… Robbe-Grillet ? Si peu… Henry Bordeaux ? Tout juste… Jean Dutourd ? Pas encore ! Voyez-vous, la plupart des écrivains sont des prismes, des filtres ! Ils déforment, transforment, écument. Avec San-Antonio, mes amis, vous avez LA vérité !

À poil !

Ne lui en manque pas un, pas un duvet, pas un grain de beauté !

Elle vous est projetée ruisselante dans les bras.

La pudeur ? J’ignore.

Le respect humain ? Je le place dans ma franchise intégrale.

La peur de choquer ? Tiens, fume !

Je suis le Bayard des lettres.

J’en ai pas ?

Si : toujours cinq au service des grognons, des râleurs, des effarouchables.

C’est vrai que j’hésite, par moments, devant l’énormité de ce qui va suivre. C’est vrai que je me dis, avant de plonger : « Qu’en penserait saint François-le-Sale ? » J’ai des bribes de timorance, des petits scrupules ! Des craintes confuses. Y a tant et tant de connards autour de nous, qu’un mot de travers fait sursauter, qu’une allusion égrillarde fait rougir, qu’une description un peu poussée indigne. Je lis tant de mépris dans certains regards ! Les lanières de la flagellation sifflent sur ma tête, comme tournent les pales d’un ventilateur. Il n’importe, mes gueux ! Je vous passe outre et poursuis ma route. J’ai confiance : je sais qu’elle mène nulle part !

Ce que nous apercevons, gens critiques, mauviettes du langage, poires blettes, sinistrés de l’âme, c’est un gorille de forte taille, monstrueux, avec ses babines bleues, son nez orangé, ses dents proéminentes. Je sais pas sa race exacte, faudra que je téléphone chez Jean Richard. L’orange et le bleu, c’est pourtant beau.

Sur les ailes d’un papillon entre autres.

Mais sur la bouille d’un gorille, ça guérit le hoquet. Le primate (des Gaules) est debout sur une branche de giscardien à feuilles provisionnelles. Il passe un moment de qualité, je vous conjure de le croire ! Le père Messager reviendrait, il ajouterait une variante à son fameux air de l’Oscar Paulette. Approchez, méames zaimessieurs ! Le spectacle vient de commencer ! Admirez la prouesse ! Voyez comme Mme Berthe Bérurier est parfaitement suspendue à une branche supérieure grâce aux sustentes de son parachute. Regardez comme le gorille salace a su la débarrasser de la partie inférieure de son accoutrement de dame-parachutiste. Ne sont-elles point admirables, ces formidables fesses rebondies, boursouflées et poilues. Appétissantes ? Voire ! Question de goûts ou de dégoûts ! Mais le gorille en gévacolor aime. Il se sent descendre de l’homme, lui ! Il s’imagine enfant d’Adam, aussi s’embourbe-t-il superbement cette fille d’Eve.

Poussez, poussez, l’escarpolette.

Berthy vole vers les frondaisons, comme une petite fille modèle vole vers Mâme Ségur, en batifolant des jambons.

Hahahaha ! je ris, de me voir poubelle ! chantait Marguerite.

Chez la Bérurière, c’est presque idem.

Hahahaha ! gazouille la rombière.

Le père gorille la réceptionne au retour. Cracziboum ! Te l’oblitère ! Un mâtin ! Un mutin ! Un salingue !

Puis la repousse avec force ! Ardent de l’ardillon avec ardeur !

Et la morue du Gravos s’en réjouit, en re-jouit ! Elle trouve cela unique, ça l’est ! Plaisant, bioutifoule !

Elle est partante, revenante ! Une bestiale !

En découvrant l’étrange scène, Béru a un sursaut. Il contemple, comme nous tous, puis demande, manière de causer :

— Il est dressé, ce macaque, on dirait ?

Lors, estimant que le manège a suffisamment duré, le chevaucheur de crocodile lance à sa femelle :