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Arnaldur INDRIDASON

BETTÝ

Traduit de l’islandais

par Patrick Guelpa

Éditions Métailié

20, rue des Grands Augustins, 75006 Paris

www.editions-metailie.com

-2011-

Titre original : Bettý

© Arnaldur Indridason, 2003

Published by agreement with Forlagid, www.forlagid.is

Traduction française © Éditions Métailié, Paris, 2011

ISBN : 978-2-86424-813-2*

Résumé

Dans ma cellule je pense à elle, Bettý, si belle, si libre, qui s’avançait vers moi à ce colloque pour me dire son admiration pour ma conférence. Qui aurait pu lui résister ? Ensuite, que s’est-il passé ? Je n’avais pas envie de ce travail, de cette relation. J'aurais dû voir les signaux de danger. J'aurais dû comprendre bien plus tôt ce qui se passait. J'aurais dû… J'aurais dû… J'aurais dû…

Maintenant son mari a été assassiné et c’est moi qu’on accuse. La police ne cherche pas d’autre coupable. Je me remémore toute notre histoire depuis le premier regard et lentement je découvre comment ma culpabilité est indiscutable, mais je sais que je ne suis pas coupable.

Un roman noir écrit en parallèle avec la série des aventures du commissaire Erlendur Sveinsson.

Biographie

Arnaldur Indridason est né à Reykjavík le 28 janvier 1961. Diplômé en histoire, il est journaliste et critique de films pour le Morgunbladid, puis il se consacre à l’écriture. Il vit avec sa femme et ses trois enfants à Reykjavík.

Il a publié de nombreux romans à partir de 1997. Il est l’un des écrivains de romans noirs les plus connus en Islande et dans les 37 pays où ses livres sont traduits. Il a reçu le prix Clef de verre du Skandinavia Kriminalselskapet à deux reprises : en 2002, pour La Cité des jarres, et en 2003, pour La Femme en vert.

Arnaldur Indridason collabore avec The Icelandic Film Fund à l’adaptation cinématographique de ses romans.

Ceci devrait être un meurtre tellement désolant que ça n’en serait même pas un, mais seulement un banal accident de voiture qui arrive quand des hommes sont soûls et qu’il y a de l’eau-de-vie dans la voiture et tout ce qui va avec.

James M. Cain,

Le Facteur sonne toujours deux fois

1

Je ne me suis pas encore bien rendu compte de ce qui s’est passé, mais je sais enfin quel a été mon rôle dans cette histoire.

J’ai essayé de comprendre un peu mieux tout ça et ce n’est pas facile. Je ne sais pas, par exemple, quand cela a commencé. Je sais quand a débuté ma participation, je me rappelle le moment où je l’ai vue pour la première fois et peut-être que mon rôle dans cette étrange machination avait été décidé depuis longtemps. Longtemps avant qu’elle ne vienne me voir.

Aurais-je pu prévoir cela ? Aurais-je pu me rendre compte de ce qui se passait et me protéger ? Me retirer de tout cela et disparaître ? Je vois, maintenant qu’on sait la façon dont tout ça s’est combiné, que j’aurais dû savoir où on allait. J’aurais dû voir les signaux de danger. J’aurais dû comprendre bien plus tôt ce qui se passait. J’aurais dû… J’aurais dû… J’aurais dû…

C’est curieux comme il est facile de commettre une erreur lorsqu’on n’est au courant de rien. Ce n’est même pas une erreur, tant qu’on ne se rend compte de rien et que c’est beaucoup plus tard que l’on comprend ce qui s’est passé ; tant qu’on ne regarde pas en arrière et qu’on ne voit pas comment ni pourquoi tout cela s’est produit. J’ai commis une erreur. Tomber dans le panneau, une fois encore, voilà ce qui m’est arrivé. Dans certains cas, c’était volontairement. Dans mon for intérieur, je le savais et je savais aussi qu’il y avait danger, mais je ne savais pas tout.

Je pense parfois que sans doute je retomberais encore dans le panneau, si seulement j’en avais l’occasion.

Ils sont très corrects envers moi, ici. Je n’ai ni journaux, ni radio, ni télévision, comme ça je n’ai pas les informations. Je ne reçois pas non plus de visites. Mon avocat vient me voir de temps en temps, le plus souvent pour me dire qu’il n’y a aucun espoir en vue. Je ne le connais pas bien. Il a une grande expérience, mais il reconnaît lui-même que ce procès risque de le dépasser. Il a parlé avec les femmes dont j’ai trouvé l’adresse, pensant qu’elles pourraient m’aider, mais il dit que c’est plus que douteux. Dans tout ce dont elles peuvent témoigner, très peu de choses concernent l’affaire elle-même.

J’ai demandé un stylo et quelques feuilles de papier. Le pire, dans cet endroit, c’est le calme. Il règne un silence qui m’enveloppe comme une couverture épaisse. Tout est réglé comme du papier à musique. Ils m’apportent à manger à heure fixe. Je prends une douche tous les jours. Ensuite, il y a les interrogatoires. Ils éteignent la lumière pendant la nuit. C’est là que je me sens le plus mal. Dans l’obscurité avec toutes ces pensées. Je m’en veux terriblement d’avoir permis qu’on m’utilise. J’aurais dû le prévoir.

J’aurais dû le prévoir.

Et pendant la nuit, dans l’obscurité, voilà que le désir fou, le désir fou de la revoir m’envahit. Si seulement je pouvais la revoir une fois encore. Si seulement nous pouvions être ensemble, ne serait-ce qu’une fois encore.

Malgré tout.

Je ne me rappelle plus le sujet de la conférence au cinéma de l’université. Je ne me rappelle pas non plus le titre de mon intervention, d’ailleurs cela n’a pas d’importance. C’était quelque chose comme la situation des négociations des armateurs islandais à Bruxelles, quelque chose au sujet de l’ue et nos pêcheries. J’ai utilisé PowerPoint et Excel. Je sais aussi que j’aurais pu m’endormir.

Elle était là. Elle était arrivée en retard et je l’avais tout de suite remarquée parce qu’elle était… merveilleuse. Merveilleuse dès l’instant où je l’ai vue pour la première fois entrer dans la salle, au crépuscule. Derrière elle, la lumière du couloir lui faisait un halo, comme à une star de cinéma. Elle n’avait aucune crainte de se montrer féminine, contrairement à nombre d’autres femmes ; il y en avait une dans la salle qui était en anorak, assise avec les jambes sur le dossier de la chaise la plus proche. La femme qui se tenait dans l’embrasure de la porte, elle, avait une robe moulante avec de minces bretelles qui laissaient voir de gracieuses omoplates, son abondante chevelure brune lui retombait sur les épaules et ses yeux étaient enfoncés, bruns avec une pointe de blanc qui étincelait. Et lorsqu’elle souriait…

J’ai remarqué ces détails lorsqu’elle vint vers moi sur le podium tout de suite après mon intervention. J’essayais de feindre l’indifférence, plus exactement j’essayais de ne pas la fixer. Ses seins étaient petits et on devinait les mamelons qui pointaient sous la robe. Elle était svelte, avait de gros mollets et des chevilles fines, presque fragiles. Tels des pieds de coupes de champagne. Elle avait une chaînette d’or enroulée autour d’une de ses chevilles. Maman aurait trouvé un mot pour définir sa démarche. “Majestueuse”, aurait-elle dit.