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Elle me regarda.

– Je n’ai jamais pu comprendre ça, dit-elle.

– Tu n’as jamais essayé.

J’étais plus sévère que je ne voulais.

– Peut-être, dit-elle. Peut-être que nous pourrions arranger un petit peu les choses.

– Arranger ?

– Parler de tout ça ensemble. Peut-être que nous pourrions nous asseoir et parler de toi et de nous. Je sais que je n’ai pas…

Je vis qu’elle faisait un effort sur elle-même.

– Tu dois être dans un état lamentable, dit-elle. Tu veux me dire ce qui s’est passé ? Je sais que tu es incapable de faire le moindre mal à qui que ce soit.

– Tu en es sûre ? Tu ne sais rien de moi. Tu as évité de savoir quoi que ce soit de moi pendant des années et des années. Tu as eu longtemps honte de moi et tu as sans doute encore plus honte de moi maintenant.

– Je suis quand même venue te voir, dit-elle. Je sais que je ne t’ai pas montré beaucoup de compréhension…

– Beaucoup de compréhension ? répétai-je sur un ton scandalisé.

– … et c’est sûrement surtout de ma faute si nous n’avons plus de liens, mais j’aspire à changer tout ça. J’aspire à t’aider.

– Tu ne crois pas que c’est un peu tard ?

– Il n’est jamais trop tard, dit-elle.

– Qu’est-ce que la psychiatre t’a dit ?

– Elle a dit que ça nous ferait du bien de nous voir et de nous parler.

Elle hésita.

– Elle a dit que ça te ferait du bien. Que tu n’allais pas bien.

– Et tout à coup tu as des remords ?

– Je…

– Elle t’a dit que tu aurais pu être moins méchante avec ta pauvre fille bien qu’elle soit comme elle est ?

– Elle… J’ai aussi parlé à ton frère.

– Je n’ai rien à faire de ton aide, dis-je, et je me levai. Pas plus maintenant qu’avant. Jamais. C’est compris ? Tu ne t’es pas occupée de moi pendant toutes ces années et maintenant tu n’as rien à faire dans ma vie. Rien ! C’est trop tard. Tu comprends ? Trop tard. Pour toi comme pour moi !

Je flanquai un coup de pied dans la porte qui s’ouvrit sur-le-champ. Gudlaug aux sabots était de faction.

– Je veux retourner en cellule, dis-je.

– Tu peux rester plus longtemps, dit-elle en regardant maman.

– Ça ne m’intéresse pas, dis-je en sortant.

Repensant un peu à ce qu’elle avait dit, je me retournai vers la porte et lui criai :

– Et tu peux dire à mon frère qu’il aille se faire foutre !

23

Ils ne découvrirent le cadavre de Tómas que cinq semaines plus tard. Il avait beaucoup plu dans la région. Les gens d’Akureyri n’avaient pas abandonné les recherches bien que celles-ci fussent officiellement arrêtées et ils allèrent voir sur place avec leurs chiens.

Et finalement ils arrivèrent au bout de leur peine. Ils descendirent dans la crevasse, en retirèrent le cadavre, attachèrent des cordes au traîneau et hissèrent le tout. Ils le firent en toute insouciance, ces jeunes hommes de l’équipe de secours qui croyaient avoir accompli un exploit en découvrant le cadavre. La police, elle, était furieuse. Dans de telles circonstances, la police criminelle doit être consultée. Ces jeunes gens auraient dû immédiatement annoncer qu’ils avaient découvert le cadavre et ne pas toucher aux pièces à conviction.

Lorsque la police fut finalement prévenue de l’affaire, le cadavre était déjà en train d’être acheminé à Akureyri par hélicoptère. La motoneige était au bord de la crevasse et les hommes de l’équipe de secours avouèrent plus tard l’avoir pas mal manipulée.

Pendant toute cette période, je n’avais quasiment pas eu de nouvelles de Bettý. J’essayais de l’appeler, mais elle ne répondait pas. Nous avions bien dit que nous ne pourrions pas être beaucoup en contact après cet événement. Mais, malgré ça, j’avais le sentiment qu’elle faisait tout pour m’éviter. Peut-être y avait-il chez moi un mélange de paranoïa et de terrible sentiment de culpabilité. Ce sentiment m’assaillait totalement, me minait et ne me lâchait plus, à telle enseigne que j’étais sur le point d’aller moi-même à la police pour leur raconter ce qui s’était passé. Tout. Tout depuis que j’avais vu Bettý dans la salle de cinéma jusqu’à l’aide que je lui avais fournie pour dissimuler nos traces au bord de la crevasse.

Je ne parvenais pas à travailler. Je retournai à Reykjavík dans le nouvel appartement que j’avais acheté et l’arpentai, complètement hébétée. Je désirais Bettý. Je voulais lui parler, avoir son soutien, entendre sa voix me consoler, lui faire dire que tout irait bien. Je voulais l’entendre dire que ça serait bientôt fini. Que tout serait enterré et oublié, et que nous pourrions être ensemble, toujours. J’avais tellement besoin d’elle que j’étais sur le point de devenir folle. J’essayais de la joindre. J’essayais de trouver les paroles de consolation qu’elle me dirait, mais c’était comme si la terre l’avait engloutie.

Elle était tellement plus forte que moi. Dans toute cette tragédie, il est clair qu’elle n’avait pas besoin de moi. Elle n’avait aucune raison de me contacter. Pas un mot. Rien.

Les dernières paroles que j’avais entendues d’elle étaient : “Fais-moi confiance.”

Je me rendis au bureau de l’entreprise à Reykjavík, mais plutôt pour faire acte de présence. En réalité, j’étais incapable de travailler. Après une réunion, comme j’étais complètement dans la lune, mes collègues me dirent de rentrer chez moi et de me reposer : “Prends des vacances. Tu as encore droit à quelques jours.”

À ce moment-là, avant qu’ils ne découvrent le cadavre de Tómas, je fus convoquée pour être interrogée par la section criminelle de la police de Reykjavík. Ils disaient que c’était une affaire de routine. L’affaire était instruite au titre des disparitions. On n’avait pas pris le temps de me demander de faire une déposition à Akureyri. On le faisait maintenant. Ce fut un policier tout ce qu’il y a de plus sympa qui me dit tout ça au téléphone et me demanda si je pouvais passer rapidement le lendemain matin. J’étais en sueur.

Bettý et moi, nous nous étions entraînées ensemble pour notre déposition et je me rendais compte que je n’avais pas à en démordre, mais je n’avais aucune idée de ce qu’ils savaient ni des questions qu’ils me poseraient. Il ne savaient sans doute rien, mais j’étais convaincue qu’en voyant ma tête ils verraient que je mentais et comprendraient tout. Je n’avais jamais su mentir. Avant c’était le cas, plus maintenant. Je suis passée maître dans l’art de mentir.

Ils paraissaient avoir déjà parlé à Bettý. L’un des policiers était Lárus, qui par la suite devait m’interroger souvent. L’autre, je ne l’ai plus jamais revu. Lárus l’appelait Sigurdur, je crois. Ils parlaient d’un certain Erlendur9 ou d’un étranger quand je les ai dérangés en pleine enquête sur un squelette trouvé dans le lac de Kleifarvatn.

Ils m’ont demandé quelles étaient mes relations avec Léo. Je me souvenais des paroles de Bettý et je les répétai. Nous n’avions pas de relations en dehors du fait que nous travaillions tous les deux pour Tómas et que nous nous étions liés d’amitié avec Bettý et son mari grâce à notre travail. Tómas et Léo étaient d’excellents amis. Bettý et moi étions de bonnes amies. Nous avions l’intention de faire une promenade tous les quatre, mais Léo avait eu un empêchement de dernière minute. Ils hochèrent la tête.

– Et il avait l’intention d’essayer l’engin ? Tómas aussi ?