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Sylvía se leva et se versa un nouveau verre. Elle ne ressentait nul besoin d’expliquer pourquoi elle buvait de la vodka pure en milieu de journée. C’est le genre de scrupule qu’elle avait perdu depuis longtemps.

– Elle rêvait tout le temps de devenir riche, dit-elle en se rasseyant. Bettý n’avait qu’un seul but dans la vie quand je l’ai connue : devenir riche. Elle voulait rouler sur l’or, plus tard. Elle voulait pouvoir tout se payer et vivre comme une reine. Elle parlait souvent de ce qu’elle ferait quand elle serait riche. Elle voulait habiter une île dans un pays au soleil et ne plus jamais revenir chez elle dans ce pays de merde.

Sylvía souriait.

– On rêvait toutes de ça, je crois, dit-elle.

Et elle se remit à siroter son verre.

– “Pays de merde”, c’est comme ça qu’elle disait. Elle ne supportait pas le froid et les désagréments de l’hiver. C’était une fille élégante. Vraiment. Mais il y avait quand même… quelque chose…

– Quoi ?

– Ah, je ne sais pas comment dire. De la duplicité, peut-être. Elle était totalement immorale. Elle ne pensait à rien d’autre qu’à elle. Elle pouvait nous monter les unes contre les autres dans l’immeuble et à l’école, et elle harcelait les autres enfants au point qu’ils n’osaient plus sortir de chez eux. Mais sinon elle était vachement cool et drôle, et quelque part…

Sylvía commençait à ressentir les effets de l’alcool et elle se mit à parler moins fort. Elle s’arrêta au milieu de sa phrase, assise pensive avec son verre vide, comme plongée dans un passé oublié et enterré.

– Tu sais peut-être quel genre de fille c’était, non ? Elle l’est encore ?

– Quel genre de fille ?

– Avec les filles. Elle en est encore ?

– Je connais…

– Elle était bien. Après tout, elle a le droit d’être comme ça.

Sylvía se leva, se saisit de la bouteille de vodka et la posa sur la table devant elle. Elle était à moitié vide.

– Elle allait aussi avec les garçons. Elle allait autant avec les garçons qu’avec les filles autrefois. Elle était très précoce…

Sylvía me regarda.

– Je ne devrais peut-être pas parler d’elle comme ça. Je suis en train de trahir des secrets ?

– Je ne crois pas, dis-je, pour dire quelque chose. J’étais gênée.

– J’ai appris qu’elle avait avorté.

– Avorté ?

– Une amie de ma sœur travaille chez un médecin…

– J’ai entendu dire qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfants, l’interrompis-je.

– Ah bon ?

– C’est certain.

– Moi, j’ai entendu autre chose, dit Sylvía qui s’obstinait. Tu crois peut-être que je mens ? Tu crois peut-être que je te raconte des histoires ?

– Non, dis-je, pas du tout, c’est seulement que je… c’est nouveau pour moi, car je croyais…

Sylvía termina son verre.

– Tu sais quand c’était ? demandai-je.

– Il y a à peu près trois ans.

– Tu sais pour Tómas, son mari ? dis-je.

– Oui, je me tiens au courant des infos.

J’étais totalement déconcertée. Je me souvenais très bien de quand Bettý m’avait parlé de leurs difficultés, à elle et à Tómas. Quand elle m’avait raconté comment elle avait fait une fausse couche et quelles étaient les difficultés liées à la fécondation artificielle. Est-ce qu’elle poussait le mensonge aussi loin ?

– Tu ne parleras pas de ça dans ton journal, n’est-ce pas ? dit Sylvía. Tu ne parleras pas de l’avortement et tu ne diras pas non plus qu’elle allait autant avec les filles qu’avec les garçons avant, jamais, hein ?

Sylvía se versa encore un verre qu’elle tenait à la main quand elle se leva.

– Est-ce qu’elle a dit quelque chose… Non, ça serait drôle…

– Quoi ? Elle aurait dit quoi ?

Sylvía se dirigea vers la fenêtre du séjour et regarda la balançoire et le bac à sable qui se trouvaient dans le jardin, derrière la maison.

– Il n’y a jamais d’enfants qui jouent dans ce jardin, dit-elle. Je ne vois jamais d’enfants dans cet immeuble.

– Non, ça…

– Elle a parlé de moi ? m’interrompit-elle, comme si elle croyait que je venais de la part de Bettý.

J’eus tôt fait de comprendre ce qu’elle voulait dire.

– Elle a parlé de moi ? demanda-t-elle.

– Elle te salue, dis-je en faisant un gros mensonge qui me fit me mépriser.

26

Clic-claquante, Gudlaug me conduisit du couloir de la prison à la salle d’interrogatoire. J’avais envie de lui dire d’échanger ses sabots contre des sandales souples, mais dans les films qui passent au cinéma on apprend à ne pas irriter le gardien.

Cette fois-ci, c’étaient Dóra et Lárus qui m’attendaient. Il y avait des gens derrière la grande glace, parce qu’ils étaient tous les deux très polis, en particulier Lárus, qui autrement ne l’était pas, et ils étaient bien habillés. Qui plus est, Dóra me parut bien mieux. Je jetai un coup d’œil à la glace et, comme d’habitude, je ne vis que l’image de moi-même dans cette horrible pièce. Je me demandai si le commissaire n’était pas présent derrière la glace cette fois-là.

Lárus mit le magnétophone en marche. Il lut le numéro de l’affaire, la date et l’heure. Il était juste un peu plus de dix heures. Dix heures du matin, supposai-je. Ça n’a pas d’importance.

– Nous avons parlé du viol qu’aurait commis Tómas, Sara, dit Lárus en s’efforçant de faire officiel. Tu nies qu’il s’agissait d’un viol.

– C’est une question ? dis-je.

– Est-ce que Tómas t’a violée ? demanda Lárus.

– Non, dis-je. Il n’a pas fait ça.

– Est-ce que, au cas où Tómas l’aurait fait, tu considérerais que ce serait une raison suffisante pour le tuer ?

– Au cas où… ?

– Ne tourne pas comme ça autour du pot, dit Dóra. Nous n’avons pas que ça à faire.

– Oui, dis-je. Je trouve qu’il faudrait tuer tous les violeurs, mais dans mon cas, ce n’était pas un viol.

– Nous avons la déposition de ton amie, dit Dóra.

– Elle ment, dis-je. Vous ne comprenez pas ? Vous ne comprendrez jamais qu’elle ment comme elle respire ?

– Tiens-toi tranquille ! dis Lárus.

– Toi-même, éructai-je. Bettý s’était fait avorter. Est-ce qu’elle vous a dit ça ? Vous l’avez interrogée là-dessus ? Vous lui avez demandé pourquoi elle s’est fait avorter ?

– Qu’est-ce que ça a à voir ? dit Dóra.

– Ce que ça a à voir ? dis-je. C’est vous, les flics. C’est à vous de le trouver. Allez savoir pourquoi elle a dit à Tómas qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfants. Demandez-lui si Tómas ne voulait pas avoir d’enfants avec elle et pourquoi ça n’a pas marché. Ensuite, demandez-lui pourquoi elle a eu besoin de se faire avorter.

– Nous n’avons rien au sujet d’un avortement, dit Lárus.

– Non, c’est vrai ? Vous avez besoin de cinq colonnes dans ces foutus journaux pour vous mâcher le travail ?

Ils se regardèrent.

– Mais quel genre de flics vous êtes ? Je n’ai jamais vu ça. Si on ne vous serine pas les choses mille fois, il n’y a rien qui fonctionne dans votre cerveau ?

Lárus jeta un coup d’œil rapide à la glace.

– Bettý s’est fait avorter, dis-je, un peu plus calme. Elle m’a dit qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfants, elle et Tómas. Pourtant, je sais qu’elle s’est fait avorter. Alors, de deux choses l’une : soit elle était enceinte de Tómas et pour des raisons que j’ignore elle a fait supprimer le fœtus, et elle a menti à Tómas en lui faisant croire qu’ils ne pouvaient pas avoir d’enfant…