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– Je ne sais pas où tu veux en venir avec ça, dit Lárus. Qu’est-ce que le fait d’avoir des enfants ou pas a à voir dans cette affaire ?

– Elle a menti à Tómas. Ils pouvaient avoir un enfant, mais Bettý n’en voulait pas. Pour des raisons que j’ignore, elle a fait en sorte qu’ils n’aient pas d’enfant et elle a fait comme s’ils ne pouvaient pas en avoir. J’imagine qu’elle a utilisé des contraceptifs à son insu et qu’ensuite, à un moment donné, ça n’a pas marché.

– Mais pourquoi ?

– Allez lui demander à elle, dis-je. C’est vous les flics. Ce n’est pas à moi de faire votre travail. Demandez-lui pourquoi Tómas ne pouvait pas avoir d’enfant avec elle. Allez vous renseigner dans les hôpitaux, parlez avec les médecins. J’ai entendu parler d’un seul avortement, mais peut-être qu’il y en a eu plusieurs.

– Tu es en train de nous dire qu’elle ne voulait pas avoir d’enfant avec Tómas ? dit Dóra.

– Demandez-lui pourquoi elle ne voulait pas fonder une famille avec Tómas. Pourquoi seul son argent l’intéressait, sa richesse, les maisons chics, les voyages, les navires de croisière.

Je regardai la glace.

– Parlez-lui de ça !

– Il n’y a personne derrière, dit Dóra.

– Si, sûrement ! dis-je.

– Quelle est l’autre possibilité ? dit Dóra. Tu as dit : “De deux choses l’une.” Elle était enceinte de Tómas ou bien…

– Qu’est-ce que tu crois ?

– J’ai envie d’entendre ce que toi tu crois, dit Dóra.

Je me mis à sourire. Lárus nous regarda tour à tour. Il semblait avoir perdu le fil.

– Elle était enceinte, mais l’enfant n’était pas de Tómas.

– L’enfant n’était pas de Tómas ? dit Dóra en écho à mes paroles.

– Il était de qui, alors ? dit Lárus en nous regardant tour à tour.

– J’ai ma petite idée là-dessus, mais…

– Quelle idée ? demanda Dóra.

Je me tus.

– Je crois que tu n’as rien à gagner à te taire, dit Lárus.

– Je vois que je n’ai rien à gagner non plus à vous parler. Ce n’est pas à moi que vous devez parler, c’est à Bettý.

Dóra regarda Lárus et il y avait quelque chose dans son expression que je ne comprenais pas.

– Nous avons de bonnes relations avec Bettý, dit-elle en me regardant.

Je fixai les yeux sur elle.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ne te fais pas de souci pour Bettý, dit Lárus.

– Elle est ici ?

Ils me regardèrent sans répondre.

– Est-ce que Bettý est ici ?

Ils se turent.

– Elle est en détention ? Elle est dans une des cellules, ici ? Vous la détenez comme moi ?

Ils ne répondirent pas. Je posai les yeux sur Dóra qui était assise et me renvoyait un regard fatigué. Je regardai Lárus et il me sembla que ses lèvres se tordaient en un rictus. Je regardai à nouveau Dóra et je vis qu’elle dirigeait son regard vers la glace. Elle le fit furtivement, sans remuer la tête. Elle me disait quelque chose. Je me redressai et la fixai des yeux, et soudain je compris le signe qu’elle m’avait fait.

Je m’adossai de nouveau à ma chaise. Je tournai la tête en direction de la glace.

Je sentai sa présence.

C’est Bettý qui était derrière la glace !

27

Comme on peut l’imaginer, les médias étaient en ébullition lorsque les policiers découvrirent enfin le cadavre de Tómas. J’étais en voiture avec la radio allumée lorsque les premières infos sur la découverte du corps furent divulguées. J’étais arrêtée à un feu rouge et oubliai tout autour de moi, je ne me réveillai que lorsqu’on frappa à la vitre de la voiture. J’étais restée sur place au feu vert et le conducteur qui était derrière moi se mit à m’agonir d’injures. Je démarrai sur les chapeaux de roues en grillant le feu rouge et il s’en fallut de peu que je ne sois la cause d’une collision. Je me rangeai sur le bord de la route et restai là, hébétée, à réfléchir à tous les ennuis qui pourraient arriver lorsqu’ils se mettraient à examiner le cadavre. En mon for intérieur, j’espérais qu’ils déclareraient que Tómas avait péri dans un accident et que nous serions mises hors de cause.

J’étais en route pour aller voir une femme que je n’avais jamais vue auparavant et que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam. J’avais mis plusieurs jours à dénicher son adresse, mais j’avais enfin réussi avec l’aide du répertoire national d’identification des personnes physiques, de l’état civil d’Akureyri et d’une société dont je ne connaissais pas l’existence qui s’occupait d’élire la plus belle femme de la région Nord. Elle s’appelait Stella, elle avait déménagé à Reykjavík, avait deux enfants et était divorcée. Elle habitait dans un immeuble de Grafarvogur et était directrice d’école maternelle. Elle me raconta tout ça au téléphone en ajoutant que ça serait sympa si je pouvais passer chez elle vers les sept heures. Je sentis qu’elle hésitait un peu en apprenant le motif de ma visite, c’est-à-dire parler un peu des concours de beauté avec elle, mais elle y consentit. Peut-être était-elle curieuse. Comme moi.

Elle était encore d’une grande beauté et à certains égards elle ressemblait à Bettý, avec son épaisse chevelure brune, son teint basané, ses lèvres pulpeuses et ses yeux marron. Il y avait cependant chez elle quelque chose de plus puéril. Quelque chose de plus innocent. Elle se maintenait en forme. Elle faisait sûrement de la gymnastique. À la voir, on n’aurait pas dit qu’elle avait deux enfants. Je me dis qu’il fallait être vraiment bête pour perdre de vue une telle femme.

Elle était en train de cuisiner et, lorsqu’elle me précéda pour aller dans la cuisine, je remarquai qu’elle boitait très légèrement. Elle dit que les enfants étaient en train de jouer dehors.

Je regardai sa jambe et me rappelai l’histoire du concours de beauté.

– Ça me donne du répit, dit-elle en souriant. Je suis tellement heureuse que mes enfants ne soient pas casaniers. Je ne peux pas imaginer les voir gâcher leur jeunesse plantés bêtement devant l’ordinateur ou la télévision.

– Oui, dis-je en souriant. Elle me plut tout de suite. On n’est plus du tout habitués à voir les enfants jouer dehors.

– Pourquoi est-ce que tu écris sur les concours de beauté ? demanda-t-elle en s’asseyant à la table de la cuisine. Ça intéresse encore quelqu’un ?

Je m’assis auprès d’elle. Je lui avais menti lorsque je l’avais appelée en lui disant que je travaillais dans une petite maison d’édition d’Akureyri qui voulait publier des histoires sur les concours de beauté en Islande. C’était un mensonge différent de celui que j’avais utilisé avec Sylvía, mais c’était le même prétexte. Je n’ai jamais été habile pour mentir. Stella parut me croire et se demander si elle devait m’inviter chez elle. Je sentis immédiatement qu’elle n’avait pas envie de parler du concours. Elle avait fini par céder et me convier chez elle mais, au sujet de Bettý, je sentis la même hésitation qu’au téléphone. Cela semblait réveiller les mauvais souvenirs de ce temps-là. Elle était encore amère après toutes ces années.

– Ils pensent que ça intéresse toujours les gens, dis-je en évoquant mes éditeurs imaginaires. Ensuite, il y a des photos et beaucoup de gens qui viennent. Ils pensent que ça peut se vendre. Nous traiterons des grands concours comme des plus petits dans la région, et des principaux de toute façon.