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— Tout de suite », répondit-elle aussitôt. Une hiérarchie plutôt informelle régnait dans la station, et jamais Cai, femme-libre kuiper jusqu’au bout des ongles, ne lui donnerait du « Monsieur » comme le faisaient systématiquement les scientifiques terriens. Une certaine déférence transparaissait néanmoins dans sa voix.

Tam sentit le poids des responsabilités s’installer solidement sur ses épaules.

La nouvelle recrue – Zoé Fisher, le bébé-éprouvette dont par malheur la combinaison d’excursion se trouvait encore au fond de la soute – se présenta dans l’habitacle. Sourcils froncés, elle affichait un air grave. « Puis-je être utile en quoi que ce soit ?

— Oui, en ne nous gênant pas. » C’était la première réponse qui lui était venue à l’esprit.

Elle hocha la tête une seule fois et retourna dans la cabine des passagers.

Tiens bon, Mac, pensa Hayes.

Yambuku n’avait pas besoin d’une autre mort tutélaire. Isis avait déjà pris trop de vies.

Les jours sur Isis duraient en moyenne trois heures de plus que sur la Terre, et son inclinaison axiale moins prononcée rendait ses saisons plus douces. Le soleil planait au-dessus des montagnes de Cuivre quand Hayes, enfermé dans l’imposant volume de la bioarmure, sortit de Yambuku. Autour de lui, la forêt se remplissait déjà d’ombres denses ; le long crépuscule d’Isis débuterait dans une petite heure.

Autour de la station, on avait brûlé ou assaisonné d’herbicides longue durée une large bande de terrain pour la débarrasser de sa végétation. Le cœur et les quatre anneaux coaxiaux de Yambuku étaient enchâssés dans ce désert noir telle une perle tombée à terre. La zone de combustion empêchait les plantes autochtones de grimper sur les murs en agrégat compressé de la station, d’obstruer ses sorties et d’affaiblir ses joints. Elle évoquait aussi à Hayes l’espace vide entre une forteresse et son mur d’enceinte. Un champ de tir.

Mais ce no man’s land n’était d’aucune efficacité contre les micro-organismes aériens, cause probable des défaillances à répétition des joints, et déjà les mauvaises herbes tentaient de nouvelles avancées, comme si la forêt étendait à tâtons ses doigts verts.

Hayes, qui suait dans sa combinaison isolante, retrouvait comme à chacune de ses sorties l’impression de ne pas vraiment faire partie du paysage qui l’entourait. Tout ce qu’il percevait – le craquement du sol brûlé sous ses pieds, le murmure du vent dans les feuilles – lui parvenait par l’intermédiaire des senseurs de l’armure. Son sens du toucher était émoussé par l’épaisseur des gants, malgré leur polyvalence et leur sensibilité. Sa vue était limitée comme par des œillères et son odorat inexistant. Sinon par procuration, dans cet hybride mi-robot, mi-humain, il ne pourrait jamais pénétrer dans cette vallée fluviale luxuriante et sauvage comme un jardin d’été.

Elle le tuerait à la première occasion.

Il dépassa le mur courbe de la station, dressé telle une falaise de calcaire dans la lumière oblique du soleil, et atteignit l’endroit, en face du sabord des tractibles, où Macabie Feya était piégé par son armure défectueuse.

Le problème sautait aux yeux. La jambe droite de Mac avait brûlé jusqu’à la hanche, laissant une cavité évasée et noircie dans le bouclier externe. Les hydrauliques primaires et secondaires situés sous la taille étaient irrémédiablement endommagés. Mac était figé sur place dans une inconfortable position accroupie.

L’accident était survenu presque huit heures plus tôt. La combinaison avait posé un garrot sur la jambe et aurait même pu pratiquer une réanimation cardio-respiratoire le cas échéant : cela restait une bonne machine, même avec les systèmes du torse complètement brûlés. Mais huit heures devaient paraître une éternité quand on était seul et blessé. Et la petite réserve d’analgésiques et de narcotiques intégrée à la combinaison arrivait à épuisement.

Hayes s’approcha prudemment de son ami. Au contraire des jambes, les bras puissants avaient gardé leur mobilité. Si jamais il paniquait, Mac pourrait lui infliger de sérieux dommages.

Deux tractibles terrestres s’écartèrent à l’arrivée de Hayes, leurs caméras se braquant en alternance sur les deux hommes. Leurs yeux, bien entendu, étaient ceux de Yambuku, ceux d’Elam Mather, en fait, qui les télécommandait. Tout semblait si calme en cette fin d’après-midi ; des aviants jacassaient en haut des arbres et un insecte noir traversait tranquillement la zone cendrée, l’air d’un minuscule banquier victorien. Hayes s’éclaircit la gorge. « Mac ? Tu m’entends ? »

Sa voix était relayée par radio dans le casque de Mac. Nous entendons les insectes mieux que nous-mêmes, songea Hayes. Deux solitudes, des sémaphores par-dessus un océan microbiotique.

Il ne reçut en réponse que le faible bourdonnement de la porteuse. Mac avait dû à nouveau glisser dans l’inconscience.

Hayes se trouvait maintenant assez près pour examiner le trou dans la combinaison. Celle-ci comportait plusieurs couches : en temps normal, les hydrauliques et les moteurs opéraient isolés à la fois de l’humidité de leur cargaison humaine et de la biosphère corrosive d’Isis. La surchauffe avait détaché la couche externe de la flexarmure comme une feuille d’aluminium, exposant un enchevêtrement d’isolants brûlés et des fuites de fluide bleu. Une blessure de robot. Enfoui tout au fond, Mac Feya en était le cœur, tendre, caché, mais sous le coup d’une terrible menace.

Hayes avait besoin de la coopération de Mac. Mieux valait, sinon, qu’il soit inconscient. Il s’enquit de la télémesure auprès d’Elam.

« Pour autant que je puisse en juger, Tam, ses indicateurs vitaux sont aussi stables que possible étant donné la situation. Tu veux que je demande à sa combinaison de réduire les narcotiques ?

— Oui, s’il te plaît, juste un peu.

— Tu es sûr de ne pas vouloir l’attacher d’abord ?

— Je suis justement en train de m’en occuper. »

Il décrocha un corset intégral du tractible le plus proche et entreprit de le relier à la partie supérieure de l’armure de Mac. Des tractibles plus grands ou plus souples auraient pu s’en charger eux-mêmes. Mais on était sur Isis, et quelque kacho terrien avait fixé des limites de taille et de poids aux robots sans réfléchir aux conséquences pratiques. Hayes s’affaira dans le dos de Mac, connecta le corset aux ports chordaux, et entama un échange de protocole avec ce qu’il restait de l’électronique de la combinaison.

Il avait presque terminé d’établir la liaison quand Mac revint à lui.

Son hurlement résonna dans le casque de Hayes, un son qu’il n’associa pas tout de suite à son ami Macabie Feya, un rugissement inhumain qui satura les transducteurs audio. Elam cria pour se faire entendre : « Ses indicateurs vitaux s’affolent. Il faut que tu prennes le contrôle de son armure au plus vite ! »

Hayes enfonça fermement le dernier connecteur dans l’armure prise de soubresauts.

Il essayait de verrouiller le dispositif quand l’épaule de Mac le percuta.

Hayes, meurtri, le souffle coupé, recula en chancelant. Le volume de son armure ne l’empêchait pas d’être fragile, d’une certaine façon : elle avait été conçue pour le protéger de la biosphère, non d’une attaque physique. Hayes souffrait des côtes, il avait du mal à respirer et il entendait l’alarme de sa combinaison réclamer son attention.

« Tam, il y a un trou dans ta couche externe ! Retourne immédiatement dans le sas !

— Mac », appela Hayes.

La plainte confuse de l’ingénieur diminua de volume.

« Mac, tu m’entends, n’est-ce pas ?