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La première cartographie à haute altitude d’UMa47/E avait révélé la présence saisonnière de tempêtes de poussière d’une intensité presque martienne, surtout dans l’hémisphère Sud. Chris se dit que celle-là devait sortir de la norme, le Sujet n’ayant pas parcouru plus de cent cinquante kilomètres depuis Homardville, qui se situait à une bien plus grande distance que cela au nord de l’équateur. Ou peut-être était-elle tout à fait naturelle, élément d’un cycle long non détecté par les surveillances préliminaires.

Le Sujet s’enfonçait dans l’atmosphère opaque, le torse incliné. Son image pâlit, redevint limpide, s’affaiblit à nouveau. « Charlie craint qu’on ne le perde complètement, dit Marguerite. Je vais à l’Œil. »

Chris la suivit en bas. Dans le salon, Tess regardait les programmes que proposait Télé Blind Lake le samedi en matinée. Un dessin animé dans lequel des lapins au museau surmonté d’énormes lunettes cultivaient des carottes dans des vases à bec et des alambics médiévaux. Sa tête rebondissait en douceur et en rythme sur le canapé.

« Tu avais dit qu’on irait faire de la luge, rappela-t-elle.

— Chérie, j’ai une urgence au boulot. Je te l’ai dit. Chris va s’occuper de toi, d’ac ?

— Je devrais pouvoir l’y emmener, dit Chris. Sauf que ça fait une sacrée trotte.

— C’est vrai ? demanda Tess. On peut ? »

Marguerite pinça les lèvres. « Je suppose, mais je ne veux pas que tu fasses l’aller-retour à pied. Mme Colangelo a dit qu’on pourrait emprunter sa voiture en cas de besoin… Chris va étudier ça. »

Il promit de poser la question, ce qui amadoua Tess, et Marguerite enfila sa parka. « Si je ne suis pas rentrée pour le dîner, il y a à manger dans le congélateur, Soyez créatifs.

— Le problème est grave ?

— Ça n’a vraiment pas été simple de faire en sorte que les O/BEC se concentrent sur un seul individu. Si on le perd dans la tempête, on n’arrivera peut-être pas à le retrouver. Pire, il y a une grosse perte de signal en ce moment, et Charlie ne sait pas pourquoi.

— Vous pensez pouvoir faire quelque chose ?

— Pas sur le plan technique. Mais il y a des gens à Hubble Plaza qui n’attendent qu’une occasion comme celle-là pour abandonner le Sujet. Je ne veux pas que cela se produise. Je vais leur mettre des bâtons dans les roues.

— Bonne chance.

— Merci. Et merci de tenir compagnie à Tess. Je me débrouillerai pour rentrer avant qu’elle aille se coucher. »

Elle se précipita à l’extérieur.

Par esprit de corps, Chris appela Élaine pour l’informer de la crise en cours à l’Allée. Elle dit qu’elle découvrirait ce qu’elle pourrait. « Les choses deviennent bizarres, dit-elle. Je commence à penser qu’il faudrait se préparer au coup dur. »

Il dut admettre se sentir lui-même un peu nerveux. Presque quatre mois de quarantaine, et on avait beau essayer de l’ignorer ou de la justifier, cela signifiait qu’il se passait quelque chose de prodigieusement mauvais – peut-être dehors, peut-être dedans. Quelque chose de mauvais, de dangereux et de caché qui finirait par venir avec bruit en pleine lumière.

Mme Colangelo, qui gérait le magasin de vêtements du centre commercial de Blind Lake, avait en réalité pris sa retraite depuis le blocus. Elle le laissa emprunter son petit roadster Marconi vert citron, et Tess chargea sa luge à l’arrière, une luge en bois, à l’ancienne. Elle expliqua que la plupart des gamins utilisaient des chambres à air ou des traîneaux en plastique, mais qu’elle avait repéré cette luge (une vraie, insista-t-elle) dans une boutique d’occasion et supplié sa mère de l’acheter. C’était à Crossbank, plus vallonné que Blind Lake mais aussi très arboré – au moins, ici, elle ne percuterait pas d’arbres.

Tess restait une énigme pour Chris. Elle lui rappelait sa sœur Portia de beaucoup (peut-être trop) de manières, par son obstination, son imprévisibilité, son irascibilité. Mais Porry avait été une grande bavarde, surtout quand elle se découvrait une nouvelle passion. Tess ne parlait que de temps en temps.

Elle garda le silence pendant les cinq premières minutes du trajet, mais il faut croire qu’elle aussi pensait à Portia : « Ta sœur allait skier, des fois ? » demanda-t-elle.

Depuis l’épisode de la fenêtre, Tess était venue plusieurs fois le trouver pour qu’il lui parle de Porry. Fille unique, Tess semblait fascinée par l’idée que Chris avait été grand frère – moins qu’un parent, plus qu’un ami. Elle semblait penser que Portia avait mené une existence de rêve. Faux. Portia avait été enterrée sous la pluie dans un cimetière de Seattle, victime de la forme la plus aiguë de la maladie mortelle qu’était l’âge adulte. Bien entendu, il ne le dirait pas à Tess. « Il ne neigeait pas souvent là où on a grandi. Ce qu’on avait de plus proche de la luge consistait à descendre sur des chambres à air les pentes d’une petite station dans les montagnes.

— Portia aimait ça ?

— Au début, non. Elle avait plutôt peur. Mais après deux ou trois descentes, elle a décidé que c’était marrant.

— Je pense qu’elle aimait ça, sauf qu’elle avait froid.

— C’est vrai, elle n’aimait pas beaucoup le froid. »

Élaine l’avait accusé de « se mettre en ménage » chez Marguerite. Il se demanda si c’était vrai. Au cours des dernières semaines, il était presque devenu partie intégrante de l’univers de Marguerite et Tessa Hauser, comme malgré lui. Non, faux, pas malgré lui : il avait effectué chaque pas de bon cœur. Mais l’ensemble de ces pas avait constitué un voyage imprévu.

Il n’avait pas encore couché avec Marguerite, mais à en croire tous les signaux qu’il arrivait à déceler, c’était là où son voyage le conduisait. Et il ne s’agissait pas d’une gentille petite affaire passagère, d’une aventure sans lendemain ou même d’une aventure de blocus explicite, l’échange de chaleurs sans promesses exprimées ou sous-entendues. Les enjeux étaient beaucoup, beaucoup plus élevés.

Était-ce ce qu’il voulait ?

Marguerite lui plaisait, tout ce qu’il savait d’elle lui plaisait. Chacune de leurs conversations nocturnes – et il y en avait eu beaucoup, ces derniers temps – les avait rapprochés. Elle n’hésitait pas à se raconter. Elle parlait sans gêne de son enfance (elle avait vécu avec son pasteur presbytérien de père dans un presbytère d’une petite banlieue dortoir – et étape ferroviaire – près de Cincinnati, une maison vieille de soixante-dix ans avec une véranda ouverte en bois), de son travail, de Tess, et parfois, avec plus de réticence, de son mariage. Rien dans sa vie quelque peu protégée ne l’avait préparée à Ray, qui avait prétendu l’aimer mais ne cherchait qu’à meubler sa vie d’une femme à la manière conventionnelle, Ray qui considérait la cruauté comme la baise ultime. Les hommes de ce genre abondaient sur terre, mais Marguerite n’en avait jamais rencontré. Il s’en était suivi neuf ans de cauchemar instructif.

Et que voyait-elle en Chris ? Pas tout à fait le contraire de Ray, mais peut-être une image plus bienveillante de la masculinité, quelqu’un à qui elle pouvait se confier, sur qui elle pouvait s’appuyer sans redouter de châtiment. Cela le flattait, mais c’était une opinion mal avisée. Non qu’il soit incapable d’aimer. Il avait adoré son travail, sa famille, sa sœur Portia, mais ce qu’il aimait avait tendance à tomber en miettes entre ses doigts, déchiré par son désir maladroit de le protéger.

Il ne la ferait jamais souffrir de la manière dont Ray l’avait tait souffrir, mais sur le long terme, il pourrait bien s’avérer tout aussi dangereux.

Tess lui avait indiqué le meilleur endroit pour la luge : de petites collines cinq cents mètres après l’Allée, là où la route d’accès se terminait en cul-de-sac goudronné. Les tours de refroidissement de l’Œil apparurent à gauche de la route, sentinelles sombres dans un paysage blanc. Tess brisa à nouveau le silence : « Portia avait des problèmes à l’école ?