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« C’était toujours comme ça, demanda-t-il ? Avec Ray ?

— Pas aussi mauvais. Pas toujours. Surtout au début. »

Comment expliquer que ce qu’elle avait par erreur pris pour de l’amour s’était si vite transformé en aversion ? Sa main lui cuisait toujours de l’avoir giflé.

« Ray est plutôt bon acteur. Il peut se montrer charmant, quand il veut.

— J’imagine qu’il supporte mal la pression. »

Elle sourit. « Il faut croire. Tu as entendu tout ce qu’il a dit là-haut ? »

Chris secoua la tête.

« Il a dit qu’il ne rendrait pas Tess.

— Tu crois qu’il parlait sérieusement ? demanda-t-il.

— En temps ordinaire, je répondrais non. Mais en temps ordinaire, il n’oserait pas me menacer de la sorte. Il ne viendrait pas ici. Dans le monde réel, Ray respecte assez bien les limites légales. Ne serait-ce que pour éviter de se rendre vulnérable. Là-haut, il parlait comme quelqu’un qui n’a rien à perdre. Il parlait de la quarantaine. Il disait qu’on pourrait tous être morts dans une semaine.

— Tu crois qu’il sait quelque chose ?

— Soit il sait quelque chose, soit il veut que je le croie. Tout ce que je peux dire est qu’il ne ferait pas le malin avec notre accord sur la garde de Tessa s’il pensait que je pourrais disposer d’un recours légal. Je veux dire, que je pourrais en disposer un jour ou l’autre. »

Chris y réfléchit un long moment en silence. La bouilloire siffla. Marguerite se concentra sur la préparation du thé, rituel apaisant, deux sachets, une cuillerée de lait dans sa tasse, rien dans celle de Chris.

« J’imagine que je ne me suis jamais autorisée à y penser, dit-elle. Je veux croire qu’un jour prochain, ils rouvriront les portes et restaureront les canaux de données, et que quelqu’un en uniforme nous présentera à tous ses excuses en nous remerciant pour notre patience et en nous suppliant de ne pas intenter de procès. Mais cela pourrait se terminer d’une autre manière, j’imagine. » D’une manière mortelle. Et bien entendu, n’importe quand. « Pourquoi nous feraient-ils ça, Chris ? Il n’y a rien de dangereux, ici. Rien n’a changé depuis la veille du blocus. De quoi ont-ils peur ? »

Il eut un sourire pincé.

« La blague.

— Quelle blague ?

— Un vieux numéro – j’ai oublié où je l’ai vu. Ça se passe pendant la Deuxième Guerre mondiale, les Britanniques ont trouvé l’arme ultime. Une blague si marrante que tu meurs de rire en l’entendant. La blague est traduite mot à mot en allemand phonétique. Les soldats sur le front la crient avec des porte-voix, et les troupes nazies tombent raides mortes dans les tranchées.

— D’accord… Et ?

— C’est le premier virus informationnel. Une idée ou une image capable de rendre quelqu’un fou. Peut-être est-ce de cela dont le monde a peur.

— C’est une idée stupide, et elle a été écartée il y a dix ans au cours des auditions sénatoriales.

— Mais suppose que ça se soit produit à Crossbank, ou qu’il se soit produit à Crossbank quelque chose qui y ressemble.

— Crossbank ne regarde pas la même planète. Et en supposant qu’ils aient trouvé quelque chose de potentiellement dangereux, en quoi cela devrait-il nous affecter ?

— En rien, sauf si le problème s’est produit dans les O/BEC. C’est la seule chose que nous ayons vraiment en commun avec Crossbank : le matériel.

— D’accord, mais ça reste ridiculement conjectural. On n’a pas la moindre preuve qu’il se soit produit un problème à Crossbank. »

Marguerite avait oublié le morceau de page de magazine volé à la clinique par Chris. Il le sortit de la poche de sa veste et le posa sur la table de la cuisine.

« On en a une, maintenant », dit-il.

Dix-neuf

Pendant l’absence de son père, Tess regarda la télévision. Télé Blind Lake continuait à fonctionner sur son stock de programmes de divertissement déjà téléchargés, pour l’essentiel des vieux films et des séries des réseaux. Ce soir-là, elle diffusait une comédie musicale anglo-indienne avec de nombreux numéros de danses et des costumes colorés. Mais Tess eut du mal à fixer son attention dessus.

Elle savait que son père se comportait de manière bizarre. Il lui avait posé toutes sortes de questions sur le crash de l’avion et sur Chris. Elle fut juste surprise qu’il n’ait pas une seule fois mentionné la fille-Miroir. Tess non plus, elle n’était pas assez bête pour aborder ce sujet avec lui. À Crossbank, à l’époque ou ses parents habitaient ensemble, ils s’étaient plus d’une fois disputés au sujet de la fille-Miroir. Son père en reprochait les apparitions à sa mère. Tess ne voyait pas pourquoi : elles n’avaient rien en commun. Mais elle avait appris à ne rien dire. S’immiscer dans ces disputes ne servait en général qu’à la faire pleurer, ou à faire pleurer sa mère.

Son père n’aimait pas entendre parler de la Fille-Miroir. Il s’était mis depuis peu à ne pas aimer non plus entendre parler de sa mère ou de Chris. Il passait la plupart de ses soirées dans la cuisine à parler tout seul. Lorsque cela se produisait, Tess s’occupait elle-même de son bain. Elle se couchait et lisait jusqu’à ce qu’elle arrive à s’endormir.

Ce soir-là, elle était seule à la maison. Elle avait fait du pop-corn dans la cuisine, en nettoyant bien après, et essayé de regarder le film, Destination Bombay. Les numéros de danse lui plurent. Mais elle sentait derrière ses yeux la pression de la curiosité de la Fille-Miroir. « Ce n’est que de la danse », dit-elle avec mépris. Mais cela la dérangeait de s’entendre parler à voix haute quand il n’y avait personne d’autre dans la maison. Le son résonnait entre les murs. La maison de son père semblait trop grande sans lui, trop bien rangée pour avoir l’air naturelle, comme une maison témoin construite à fins d’exposition et non pour que quelqu’un y vive. Tess passa avec nervosité de pièce en pièce, en allumant les lumières. Elle se sentait mieux avec de la lumière, même si elle ne doutait pas que son père lui passerait un savon pour gaspillage d’énergie.

Et pourtant, il ne le fit pas. À son retour, il lui parla à peine, lui disant juste de se préparer pour la nuit avant d’aller dans la cuisine passer quelques coups de téléphone. Du premier étage, une fois sortie du bain, elle entendait toujours sa voix au rez-de-chaussée, qui parlait, parlait, parlait. Au téléphone. À personne. Tess enfila sa chemise de nuit et emporta son livre dans son lit, mais les mots écrits sur la page lui échappaient. Elle finit par éteindre la lumière et rester allongée en regardant par la fenêtre.

Dans la maison de son père, la fenêtre de sa chambre donnait au sud sur le portail principal et la prairie, mais une fois couchée, Tess ne voyait que le ciel. (Elle avait fermé la porte pour être sûre qu’aucune lumière ne se refléterait sur la vitre, la transformant en miroir.) Le ciel était dégagé et sans lune. Elle vit les étoiles.

Sa mère parlait souvent des étoiles. Sa mère lui donnait l’impression d’être tombée amoureuse des étoiles. Tess comprenait que les étoiles qu’elle voyait la nuit étaient juste d’autres soleils très lointains et que ces autres soleils possédaient souvent des planètes en orbite. Certaines étoiles avaient des noms étranges et évocateurs (comme Rigel ou Sirius), mais le plus souvent, elles avaient des chiffres et des lettres, comme UMa47, comme quelque chose qu’on pourrait commander sur catalogue. On ne pouvait donner un nom spécial à toutes les étoiles parce qu’il en existait bien davantage qu’on n’en voyait à l’œil nu, il en existait des milliards de plus. Toutes les étoiles n’avaient pas de planètes, et seules les planètes de quelques-unes ressemblaient à la Terre. Même comme ça, il devait y avoir beaucoup de planètes ressemblant à la Terre.