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Élaine couchait dans un petit appartement de service laissé vide par un technicien de maintenance parti à Fargo subir une lithotritie la veille du blocus. Un deux pièces au rez-de-chaussée dont les fenêtres donnaient sur les poubelles à l’arrière du Sawyer’s. « Je n’ai pas beaucoup de place pour bouger, ici… C’est mieux ?

— Un peu.

— On avait bien besoin en ce moment d’une autre de ces foutues tempêtes au pays des vaches. Bon, tu as lu les documents ? Qu’est-ce que tu en retires ? »

Chris pesa sa réponse.

Les documents étaient exactement ce qu’avait soupçonné Sue Sampel : des messages textuels qui traînaient dans les serveurs des maîtres de recherche partis à Cancun pour la conférence annuelle. Ils contenaient des nouvelles soigneusement tenues secrètes mais qui auraient été rendues publiques a la conférence : la découverte d’une structure artificielle à la surface de HR8832/B.

La structure ressemblait à une demi-sphère hérissée de pointes, avec des bras radiaux. Une note en comparaît la forme à celle d’un adénovirus géant ou d’une molécule de C60 Chris résuma ce qu’il avait lu : « Apparemment, elle exprime un principe mathématique appelé fonction énergie qui peut être écrit comme une expression du volume dans un espace de dimensions plus nombreuses… mais un icosaèdre aussi, donc ça ne prouve rien. S’il s’agit vraiment d’un artefact, ses constructeurs semblent avoir disparu. Un des messages affirme que l’intérieur de la structure est d’une difficulté unique à imaginer, quoi que cela puisse signifier…

— Et cetera, dit Élaine. Beaucoup de blabla scientifique curieux, mais dis-moi une chose : y vois-tu le moindre début de menace ? Quoi que ce soit expliquant ce qu’on a lu dans ce fragment de magazine ?

— Il doit y avoir un lien.

— Bien entendu, mais pense à ce que Ray disait dans sa conférence. Il affirmait détenir la preuve que les processeurs O/BEC de Crossbank étaient devenus physiquement dangereux.

— On pourrait en tirer cette conclusion.

— J’emmerde les conclusions qu’on pourrait en tirer : vois-tu la moindre preuve de cela ?

— Pas dans ces papiers, non.

— Tu crois que Ray dispose de preuves dont nous ne savons rien ?

— Possible. Mais Sue ne le pense pas, et elle a approché Ray de très près.

— C’est vrai. Tu sais quoi, Chris ? À mon avis, Ray n’a pas la moindre preuve. Juste une hypothèse. Et quelque chose qui le démange un max.

— Tu penses qu’il veut arrêter l’Œil et qu’il se sert de cette hypothèse comme excuse ?

— Exactement.

— Mais l’Œil pourrait bien être une menace. Le fait que Ray manque d’objectivité ne signifie pas qu’il a tort.

— S’il n’a pas tort, il est au moins irresponsable. Il n’y a rien dans ces documents qu’il ne pouvait pas partager avec le reste d’entre nous.

— Ray n’aime pas partager. Cela figurait sans doute dans son dossier au jardin d’enfants. Qu’est-ce que tu proposes qu’on fasse ?

— Qu’on rende tout cela public.

— De quelle manière ?

— En transmettant ces documents à tous les serveurs domestiques de Blind Lake. J’aimerais aussi y joindre un petit résumé, comme une lettre explicative, disant que nous avons obtenu les documents d’une source protégée et que leur contenu est important mais peu probant.

— Comme ça, Ray ne pourra pas agir seul de son côté. Il sera obligé de tout expliquer…

— Et peut-être de nous consulter un peu avant de débrancher la prise.

— Sue pourrait avoir des ennuis.

— Elle a bon cœur, Chris, mais j’aurais aussi tendance à penser qu’elle en a déjà, des ennuis. Des gros. Même si Ray ne peut rien prouver, il n’est pas idiot.

— Cela pourrait nous causer des ennuis.

— Qu’est-ce que tu appelles des ennuis ? Rester indéfiniment enfermés dans une installation fédérale dirigée par un cinglé, ça ressemble à des ennuis quoi qu’on fasse d’autre. Mais si tu préfères, je ne fais pas figurer ton nom dans les documents que je transmettrai.

— Non, sers-t’en, dit Chris. Mais n’implique pas Marguerite.

— Aucun problème. Mais si tu penses à la réaction de Ray, j’insiste, ce n’est pas un imbécile, gardez vos portes fermées à clé.

— C’est déjà fait. À double tour.

— Bien. Maintenant, préparez-vous pour une tempête de merde par rapport à laquelle ce blizzard ressemblera à une averse d’été. »

Au dîner, Tess mangea à peine et parla peu, même si le rituel sembla lui procurer un certain réconfort. Ou peut-être, se dit Marguerite, appréciait-elle juste d’avoir Chris près d’elle. Chris était un homme à la fois grand et doux, mélange grisant pour une petite fille nerveuse. Ou même une femme nerveuse.

Après le repas, Tess emporta un livre dans sa chambre. Marguerite prépara du café pendant que Chris l’informait du contenu des documents volés. Un grand nombre d’entre eux avaient été rédigés par Bo Xiang. Marguerite le connaissait pour avoir travaillé avec lui à Crossbank, et il n’était pas du genre à s’exciter sans une bonne raison.

On n’avait jamais trouvé le moindre indice d’une civilisation technologique sur HR8832/B. La structure doit être d’un âge incommensurable, se dit-elle. HR8832/B avait connu un certain nombre d’importantes glaciations planétaires : la structure devait être antérieure à au moins l’une d’elles. La ressemblance avec les flotteurs coralliens équatoriaux suggérait quelque chose, mais quoi ?

On ne pouvait répondre à ces questions, du moins pour le moment. De plus, Chris et Élaine avaient raison : rien de tout cela ne prouvait l’existence d’une menace.

La tempête secouait la fenêtre de la cuisine pendant qu’ils discutaient. On peut obtenir des images de mondes en orbite autour d’une autre étoile, se dit Marguerite, pourquoi ne peut-on pas empêcher une fenêtre de trembler dans le mauvais temps : Il régnait à l’extérieur une obscurité épaisse et impressionnante. Les lampadaires urbains semblaient des balises voilées, des torches dans le lointain. Autrefois, les journaux auraient mentionné un temps de ce genre : “Une tempête d’hiver bloque les autoroutes dans l’Ouest. Aéroports fermés, voyageurs coincés…”

Tess se couchait en général vers 22 heures, 23 heures le week-end, mais il était 21 heures lorsqu’elle vint dans la cuisine leur annoncer : « Je suis fatiguée.

— La journée a été longue, reconnut Marguerite. Je te fais couler un bain ?

— Je prendrai une douche demain matin. Je suis juste fatiguée.

— Monte te changer, alors. Je viendrai te border. » Tess hésita.

« Qu’est-ce qu’il y a, chérie ?

— Je pensais que Chris voudrait peut-être me raconter une histoire. » Elle baissa la tête comme pour dire : C’est les bébés qui demandent ça, mais je m’en fiche.

« Avec plaisir », répondit spontanément Chris.

Difficile de ne pas aimer cet homme-là, songea Marguerite.

« Quel genre d’histoire te ferait envie ? » s’enquit Chris, assis au bord du lit de Tess. Il pensait déjà connaître la réponse :

« Une histoire de Porry.

— Promis, Tess, je crois t’avoir raconté toutes les histoires de Porry qu’il y avait à raconter.

— Tu n’es pas obligé d’en raconter une nouvelle.

— Tu as une préférence ?

— L’histoire des têtards », répondit-elle aussitôt.

La fenêtre de la chambre était toujours plus ou moins bien bouchée par des planches. L’air froid entrait par les fentes, s’infiltrait sous les panneaux radiants électriques puis traversait le plancher en cherchant les endroits les plus profonds de la maison, Tess avait remonté ses couvertures jusqu’au menton.