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Oui.

« Et que se passe-t-il ensuite ? »

Cela dépasse l’entendement.

« Comment l’histoire finit-elle ? »

Personne ne peut le dire.

« Est-ce la voix de mon père ? » La voix en question semblait provenir du niveau d’observation de la galerie O/BEC, où Tess voulait aller mais où elle avait très peur de se rendre.

Oui.

« Qu’est-ce qu’il fait là ? »

Il songe à mourir, répondit la Fille-Miroir.

Chris pénétra dans la galerie d’observation O/BEC – circulaire à la manière d’une salle d’opération – du côté opposé à celui où se trouvait Ray. Il ne voyait de Tess et de son père que deux vagues silhouettes déformées par les panneaux de verre ceignant les quelques mètres de largeur de la chambre O/BEC.

Le verre n’était plus transparent, mais voilé par ce qui ressemblait à des cordes et des colonnes de givre. Quelque chose de désastreusement étrange se produisait en bas, dans les cylindres du cœur.

Chris s’accroupit et commença à parcourir lentement la galerie. Il entendait la voix de Ray, basse et sans inflexion, rebondir sur les parois courbes.

« Je ne la déteste pas. À quoi bon ? Elle m’a appris une leçon. Une leçon que la plupart des gens n’apprennent jamais. Nous vivons dans un rêve. Un rêve de surfaces. Nous aimons tellement nos peaux que nous ne voyons pas ce qu’il y a en dessous. Mais ce n’est qu’une histoire. »

La voix de Tess, d’un calme surnaturel : « Qu’est-ce que ça pourrait être d’autre ? »

Chris les voyait maintenant derrière la courbe du mur de verre. Il s’accroupit et resta immobile, aux aguets.

Assis par terre, jambes écartées, Ray regardait droit devant lui. Tess se tenait assise dans son giron. Elle aperçut Chris et lui sourit. Elle avait les yeux lumineux.

Ray tenait un couteau dans la main droite. La lame en était posée sur la gorge de Tessa.

Mais bien entendu, ce n’était pas Tessa.

Ray avait l’impression de tomber d’une falaise, chaque impact au cours de la chute lui valant une blessure irréparable, mais l’impact final, l’atterrissage brutal, fut de comprendre que cette chose qu’il avait prise pour sa fille n’était pas Tess mais le symptôme de sa maladie. De toutes leurs maladies, peut-être.

C’était la Fille-Miroir.

« Tu es venu me tuer », dit la Fille-Miroir.

Il tenait le couteau contre sa gorge. Elle avait la voix et le corps de Tessa, mais ses yeux la trahissaient. Ses yeux et la connaissance intime qu’elle avait de lui.

« Tu penses que seule la douleur est authentique, murmura-t-elle. Mais tu te trompes. »

C’en était trop. Il pressa le couteau dans le creux de sa gorge, aussi impossible que soit cet acte, un meurtre qui ne pouvait réussir, l’exécution d’une force primordiale ayant la forme de son enfant unique, et le tira avec violence sur la peau pâle.

Il s’attendait à du sang. Il n’y en eut pas. Le couteau ne rencontra aucune résistance.

Elle se volatilisa comme une bulle qui éclate.

Une nouvelle secousse se fit sentir loin sous le sol, et les parois de verre opaque de la galerie O/BEC commencèrent à s’effriter.

Mais ce n’est pas vraiment Tess, se dit Chris. Il entendit alors derrière lui une course paniquée et une petite voix qui hurlait… Non, ça, c’était Tess, en train de courir vers son père.

Chris se retourna à temps pour l’attraper par les épaules et la soulever.

Elle lui donna des coups de pied et se tortilla dans ses bras. « Mais lâche-moi ! »

Les parois de verre séparant la galerie de l’enceinte O/BEC s’effondrèrent. Des tentacules d’une substance nacrée commencèrent à sinuer sur le sol en ensembles de dentelle symétriques. L’air empestait l’ozone. Chris regarda Ray qui se relevait tant bien que mal et clignait des yeux comme un homme qui sortait d’un cauchemar. Ou se retrouvait dedans.

Ray avança en titubant vers la chambre O/BEC, désormais une fosse ouverte.

Des pointes de matière cristalline s’élevèrent jusqu’au plafond qu’elles transpercèrent, libérant une neige de plâtre. Les barres de néon au-dessus de leurs têtes perdirent de leur éclat.

« Ray, appela Chris. Hé, mon vieux. On n’est pas en sécurité, ici. Il faut sortir. Il faut qu’on fasse remonter Tess. »

La fillette se détendit contre lui et attendit la réaction de son père. Chris garda une main fermement posée sur la petite épaule.

Ray Scutter plongea le regard dans l’abîme à ses pieds. La chambre O/BEC était un puits d’une croissance cristalline haute de trois étages, un fût plein de verre. Il lança à Chris un petit coup d’œil dédaigneux. « Évidemment qu’on n’est pas en sécurité, ici. C’est bien le putain de problème.

— Vous avez peut-être raison. Je ne vais pas argumenter avec vous. Il faut qu’on fasse remonter Tess, Ray. Il faut qu’on prenne soin de votre fille. »

Ray sembla y réfléchir. Mais plus rien ne le pressait. Il les regarda à nouveau tous les deux, longuement. Chris eut l’impression de n’avoir jamais vu un visage refléter autant de fatigue.

Puis son expression s’apaisa, comme s’il avait résolu une énigme difficile. « Vous, faites-le », dit-il.

Et il enjamba le rebord.

Tess s’arracha à l’étreinte de Chris et se rua vers l’endroit où son père s’était tenu.

Trente-six

Le Sujet disparut, tout comme les lumineuses voûtes cathédrales en pierre et le paysage aride d’UMa47/E. Marguerite se retrouva soudain plongée dans une obscurité déconcertante, qui devint les contours de la salle de réunion aveugle du premier étage de la clinique. Ses genoux se dérobèrent. Elle s’agrippa à une chaise pour ne pas tomber. Un rectangle tremblotant de bruit sans signification emplissait l’écran mural. Perte d’intelligibilité, pensa Marguerite.

Combien de temps était-elle partie ? En supposant qu’elle soit vraiment partie. Elle n’avait probablement jamais quitté la pièce, même si elle sentait dans toutes les cellules de son corps s’être rendue à la surface d’UMa47/E, avoir touché de ses doigts la peau parcheminée du Sujet.

La salle de réunion vide, la clinique, le matin neigeux à Blind Lake, la folie de Ray : comment se réinsérer dans cette histoire ? Elle pensa à Tess, en bas dans la salle d’attente avec Chris, Élaine et Sébastian. Elle prit une grande inspiration pour se calmer et sortit dans le couloir.

Mais le couloir était plein de gens en combinaisons protectrices blanches, des gens armés. Marguerite les regarda sans comprendre jusqu’à ce que deux d’entre eux viennent la prendre par les bras.

« Ma fille est en bas, parvint-elle à dire.

— Madame, nous évacuons ce bâtiment et tous les autres. » Une voix féminine, ferme mais pas hostile. « On triera tout le monde après. Veuillez nous accompagner. »

Marguerite se soumit à cette humiliation jusqu’à l’entrée de la clinique, où on l’autorisa à récupérer son manteau d’hiver sur le dossier d’une chaise. On l’escorta ensuite à l’extérieur où, dans le froid matinal à couper au couteau, on la plaça avec un groupe d’employés de la clinique. Son cœur se serra quand elle ne vit trace ni de Chris ni de Tess.

Elle aperçut Sébastian Vogel et Élaine Coster qu’on faisait monter dans un véhicule de transport de troupes avec une douzaine d’autres personnes. Elle les appela, cria le nom de Tessa, mais Élaine fut tirée à l’intérieur par un homme casqué et Sébastian ne put qu’esquisser un vague geste en direction de l’ouest… en direction de l’Allée de l’Observatoire que, en haussant le cou, Marguerite vit au bout de la rue, à l’opposé de la zone commerçante.