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Rien ne se passe, sinon une exhalaison âcre qui me donne envie de tousser.

D’un geste péremptoire, j’indique à mes équipiers qu’on a la voie libre.

Et c’est le rush ! Mais crois-moi, nous n’allons pas loin ! La casba est pleine de gaz neutralisant. Il stagne encore dans la pièce principale au centre de laquelle gisent trois personnes que j’ai le temps d’identifier avant de battre en retraite pour me mettre les éponges à l’abri.

Je viens de voir la sublime Manuella Dubois, Jérémie Blanc et, tiens-moi bien, pas que je saute par la fenêtre ou sur ta femme : le gros eunuque qui habitait, en compagnie de Riley, la villa de la Via Appia et que nous n’avons plus retrouvé dans le bungalow de la plage d’Ostie.

— La ferme vient d’être gazée ! m’indique avec force Grantognon Lucien.

— Merci du renseignement, réponds-je, j’ai tout de suite pigé, en vous voyant, que vous êtes le type d’homme à qui rien n’échappe.

— L’entraînement, explique le débile profond, soucieux de ne pas trop s’écarter des sentiers de la modestie.

On s’éloigne de la fâcheuse demeure pestiférée pour tenir conseil. J’explique à Grantrognon Lucien que le gisant noir est un homme à moi. A-t-il des masques qui permettraient d’aller le récupérer ?

Il m’assure chaleureusement que non. Il dispose seulement de gaz, ce qui est bien utile pour neutraliser les autres, mais qui ne vous permet pas de leur tenir la main pendant qu’ils sont out.

— Viens, Mathias ! On va aller récupérer Blanche-neige. Pour cela on doit s’emplir les soufflets ras bord et foncer. La mer Rouge est bourrée de pêcheurs capables de tenir trois minutes sous l’eau. Pour nous, une seule devrait suffire. Tu y es ?

Il opine.

Ensemble, on s’en flanque une hyper-goulée, on s’indique d’un bref signe de tête que notre Canadair est plein et on pénètre dans le logis.

Juste comme on empare le Noirpiot, Mathias par les tiges, moi par les endosses, une nouvelle bombe asphyxiante choit à côté de nous, produisant un souffle d’air qui fait lâcher prise au Rouillé. Il est génial, mais pas très costaud, l’albinos ; surtout quand il s’est écrémé les bourses dix-neuf fois d’affilée.

Tant pis, je hale Jérémie tout seul. Pas de la tarte, car il pèse ses cent soixante livres, toutes détaxes comprises, mon mâchuré.

Heureusement, chevaleresque, mercenaire jusqu’au bout des angles, Grantognon se précipite et m’aide.

On s’écarte de la demeure, lestés de mon inspecteur, que nous allons déposer avec douceur dans de hautes herbes dont nous saurons un peu plus tard (et M. Blanc davantage que nous) qu’elles sont des orties.

On a raison de dire que la fonction crée l’organe. Voilà qu’il prend la direction des opérations, le chef de la sécurité. L’action le dope. Il survolte en plein. Fume des naseaux, grogne, pète, ricane. Tu croirais un robot en folie qui a des ennuis avec son condensateur mouliné à fréquence équivoque.

Je tousse à pierre fendre, ou comme vache qui pisse, because la saloperie de gaz que, t’as beau te retenir, il se faufile par tes pores et orifices secondaires, le bougre, t’investit, peu ou prou.

J’ai l’impression que mes poumons partent en charpie dans la Lettre de la Nation. Un petit coup de crevance pris au passage et qui s’ajoute aux autres. A la longue, ça forme un tout définitif. Tu vois, après de telles équipées, je traverse chaque fois une période indécise, faite de sombre contentement et de désillusion accentuée. Je te cause toujours de mes parties de chicorne ou de trou du cul, jamais du « repos du guerrier ». Ça se vendrait pas. Te ferait bâiller. Alors je le garde pour m’man et moi. Notre jardin secret, tout petit comme une tombe. Dans ces moments postcritiques, je comprends que là est le vrai danger. Ça m’apparaît clairement que je suis un taureau plein de banderilles et de sang en geyser. Un brave taureau brave et fatigué. Qui sait qu’il va mourir au bout de la corrida parce qu’il en a compris les règles à mesure et fur qu’elle se déroulait. Un taureau brave qui lutte sans plus y croire, juste pour l’honneur d’être vaincu. Mais tout ça, ces lambeaux, si je te les proposais, tu me cracherais à la gueule et t’irais voir chez mes confrères si j’y suis plus !

Mais Grantognon, il est de la vraie race des vivants, lui. Alors, il pète-sèque :

— Bozon, bordel ! Allez me chercher l’aboyophone dans la jeep !

Un gus se précipite. Et pousse un cri de pingouin qui s’est laissé coincer les pattoches par le gel, sur la banquise.

Il zigzague et s’écroule, touché par une balle tirée d’on ne sait d’où.

Hé, ho ! Ça se gâte, comme disait le dentiste de Mathusalem ! Cette fois, c’est la guerre pour de bon !

Grantognon Lucien, il a la grosse crise de Parkinson ; ça confine au delirium des plus minces ! Il dansedesainguyte comme un polichinelle à ficelle, le noble nœud.

— Quoi ! On me flingue mes mecs ! Non mais, je rêve ! Faut qu’on va appeler du renfort. Laqueumaul ! Allez à la jeep et contactez la gendarmerie ! D’après quoi vous me ramenez mon aboyophone que ce pauvre con de Bozon n’aura pas été foutu d’aller chercher !

L’interpellé ne bronche pas.

— Mais, chef ! qu’il bêloche, le nouveau désigné.

— Mais quoi, bordel, Laqueumaul ?

— Ils tirent, chef !

— Vous croyez que je ne le sais pas ou que je l’ignore ? C’est bien parce qu’ils tirent qu’il faut mettre le dispositif en place !

— Ils viennent déjà d’abattre Bozon, chef !

— C’est pourquoi je vous envoye en ses lieux et place ! D’abord, n’exagérons pas ; ils lui ont simplement tiré dans les jambes : regardez-le, ce con, il rampe vers nous ! Au lieu d’aller chercher l’aboyophone ! Bon, vous ne voulez pas y aller, Laqueumaul ?

— Eh bien, je préfère pas, chef !

— Enculé de couard de merde ! Je vous licencie ! Filez tout de suite d’ici et allez préparer vos bagages, je veux plus vous retrouver au centre à mon retour.

Il se campe, les mains sur les hanches.

— Qui veut remplir la mission dont je viens de confier à ces deux poltrons ? Personne ? Tout le monde est licencié pour faute professionnelle grave. Et vous pourrez toujours me faire chier avec vos syndicats et autres prud’hommes de mes fesses : je vous traînerai en correctionnelle, moi, mes pleutres ! Bande de capons ! J’ai des témoins ! Et quels ! Un commissaire ! Un officier de police !

— Pourquoi vous ne donnez pas l’exemple en y allant vous-même, chef ? suggère une voix dans la nuit.

Ils sont fumiers, les subalternes quand leurs supérieurs les malmènent. Tu peux faire chier le général, mais gaffe-toi toujours de la troupe, l’aminche ! Tu sais pourquoi ? Le général, il a les étoiles, le savoir-faire-la-guerre, l’autorité, tout ça, d’accord. La troupe, elle n’a qu’une chose, mais essentielle : le nombre ! Tu peux montrer ton cul à l’autorité, pas au nombre !

Grantognon se cabre.

— C’est un sous-entendu ? demande-t-il.

Et puis, comprenant que son prestige est sur le point de se transformer en papier chiotte usagé, il fonce.

Là, tu réalises qu’elle lui est utile, sa formation de mercenaire. Il aurait fait Saint-Cyr, c’est pas avec son casoar qu’il parviendrait à l’exploit, Grandunœud. Tu verrais la manière qu’il se déplace ! Un poème ! Epique ! Et collégramme ! Kangourou lancé à fond de vibure ! Des bonds terribles, imprévisibles : gauche, droite, droite, encore, droite, devant, gauche, devant, gauche, devant, droite, droite. Disparu.

Quelques balles ont sifflé. En vain.

Je me mets à compter.

Sur lui, d’abord. Puis mentalement. Zéro zéro un ! Zéro zéro deux, etc.