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— Le Vieux m’attend ! dis-je en passant devant lui.

Et je suis déjà à la double lourde capitonnée de cuir fendillé quand il couaque d’un ton désespéré :

— Un instant, monsieur le commissaire ! M. le directeur n’est pas seul !

La suite, s’il en existe une, se perd dans les échos de l’antichambre.

Moi, l’Avantageux, bardé de succès, glorieux jusque sous les bras, de pénétrer dans le saint des saints. Et pour découvrir quoi ? Rassure-toi, je ne te le cèlerai pas puisque tout est compris dans l’achat du présent ouvrage : les dégueulasseries comme les coups de théâtre, les calembours comme les coups de queue, les pensées profondes comme le poil à gratter. Ça fait lurette qu’on a opté pour le forfait, mon éditeur et moi. C’est plus avantageux pour tout le monde. Ça n’augmente pas notre marge bénéficiaire, note bien, mais on s’y retrouve question prix de revient et l’acheteur ne craint pas de mauvaises surprises. J’ai des confrères que je tairai les noms, t’es obligé de terminer leurs books à la main. T’ajoutes ton propre humour si tu as besoin de rire, tu décodes à l’ordinateur si tu veux comprendre, tu mets toi-même les verbes au subjonctif (qu’ils en sont incapables, ces gueux), tu écris à la main les renvois en bas de page et t’inscris tes pensées à toi sur les pages de garde et de faux titre.

Donc, compte tenu de ce que t’as droit à tout, je t’informe que je trouve le grand Achille occupé à cacheter une donzelle qu’il me semble connaître, bien qu’elle se trouve à l’envers.

Le dirluche, ça l’investit complet, la minouche tyrolienne ! Paraît qu’il ne fait plus que ça, entre deux conférences, le Tondu. Au point qu’il s’est équipé pour groumer les dames à l’aise. Il les perpètre à son bureau. On a vissé des repose-pieds sur les accoudoirs de son fauteuil, le boss. Son sous-main en cuir de Cordoba a été remplacé par un autre, rembourré, qui, une fois ouvert, constitue un matelas relativement amortisseur. De plus, il s’est offert un coussin de velours, un peu anachronique, sur le cuir de son siège, mais qui constitue un oreiller des plus doux le cas échéant (et il échoit souvent).

L’équipement n’est jamais à négliger, que tu gravisses l’Annapurna (8078 m) ou que tu dégustes la cressonnière d’une sœur.

Donc, il est à l’œuvre, perdu dans ces abysses délectables, clapant vite et clapant fort (les paysans de son âge, eux, produisent ce bruit en bouffant leur soupe). Quel appétit ! Ma petite copine Betty Nelson, car c’est elle l’heureuse bénéficiaire de ces prouesses caméléones, en est chavirée. Je ne sais si c’est par plaisir ou politesse qu’elle manifeste avec bruyance, mais elle pousse de très aimables cris, fouailleurs, je trouve, de ceux qui t’éperonnent le désir et lancent un grappin par-dessus le mur de la réalité. Tu montes, tu montes, ta bitoune aussi, comme l’écureuil escalade les aubes de sa roue. Pour pouvoir t’élever, tu fonces, t’arrives, à force de vélocité, à vaincre, un bref instant, l’inertie de la roue ; mais c’est pour basculer lamentablement de l’autre côté et t’écrouler au fond de ta cage. Personne ne quitte jamais sa cage, sinon les poètes ; mais les autres affirment qu’ils ne la quittent pas, si bien qu’ils restent tout de même prisonniers d’une hallucination collective.

Si tu as du mal à suivre ce que j’explique là, ça ne fait rien, achète le dernier prix Goncourt et de l’Aspirine.

Donc, Pépère broute Betty. Betty exprime en onomatopées franco-britanniques qu’elle aime very well beaucoup et que must quickly, chéri, je vous please !

Moi, la discrétion faite tome (de Savoie), je prends place dans le fauteuil vis-à-vis du bureau pour assister au déroulement de la cérémonie du sacre. Surtout je ne voudrais pas déranger. Y a des moments, le sensoriel devient fragilos comme verre filé. T’éternues trop fort et il éclate.

Pendant qu’Achille accomplit, je me dis que les meilleurs bouffeurs, ce sont les vioques, because la langue, c’est la virilité du vieillard, et qu’il consécute des méfesses de l’âge, un accroissement de l’aptitude à faire minette. Le jeune con viril, lui, il bouffe comme un sot, n’ayant qu’une idée en tronche : se débarrasser au plus vite du mandrin qui l’encombre en le plantant dans le porte-parapluies de la dame.

Tout cela dit, exprimé, sous-titré, tourné en couleurs naturelles, je sais que je vais à nouveau déclencher une rafale d’indignations chez quelques chagrins, mais on ne fait pas d’hommes laids sans caser des nœuds, et plus j’indignerai, plus je me rapprocherai du but. Moi, j’écris des livres sonorisés. T’as déjà des bagnoles qui te grondent si t’as mal fermé la lourde, des balances qui t’annoncent que t’as pris du poids, des pendules qui disent l’heure, etc. L’homme a inventé l’objet qui parle pour se sentir moins seul dans la vie. Moi, j’ai créé le livre qui pète ! Le livre qui rote ; le livre qui ronfle ou qui crie au secours ! Qu’on se sente moins seulabre en le bouquinant. Ça veut dire que mon polar existe, tu saisis ? Qu’il a bouffé des haricots. Mais y a pas que les flatulences. Parfois, mon book, il exclame : « Seigneur ! », indiquer qu’il croise en Dieu dans les parages, le long des côtes agnostiques. Je fais du cabotage spirituel. Et quand je débouche à l’estuaire d’un beau cul, je jette l’ancre, le foutre, ma gourme et mes principes.

Ah ! l’ami… Si tu me comprends, je t’aime de bonheur. Et si tu ne me comprends pas, je t’aime de tristesse.

Betty cesse de caviarder son texte de mots français pour ne plus pâmer qu’en anglais ! Et pourtant, c’est pas un dialecte fait pour prendre son panard, t’admets ?

Messire le Dabuche la poursuit encore, par galanterie, surtout jamais risquer la panne « sèche » du fait d’une méprise. Il court sur son erre, quoi ! Un vieux paquebot comme cézigue, avant de stopper, lui faut du temps. Elle le regimbe à deux mains, mais glisse sur sa calvitie absolue. L’Achille, il offre pas de prises. D’autant qu’il a de toutes petites oreilles bien plaquées.

Mais bon, l’ordre revient, c’est-à-dire la morosité de la vie courante.

Il se dresse pour regarder sa partenaire, quêtant un remerciement, une appréciation flatteuse.

Elle le comble d’un terme cher aux Anglo-Saxons, lesquels manquent tellement de conversation qu’ils en usent à chaque phrase.

— Fantastic !

— Merci ! s’émeut Pépère.

Il se tamponne les lèvres de sa pochette en soie, tranquille comme Baptiste.

M’aperçoit !

— Oh ! vous étiez là, mon garçon. Qu’en dites-vous ?

— Epoustouflant, monsieur le directeur ! Une telle virilité défie l’entendement.

— Oh ! Tony ! gazouille Betty en quittant le bureau. Quelle joie ! Je me faisais tellement de soucis à votre sujet que je suis venue voir votre cher directeur pour essayer d’obtenir de vos nouvelles.

— Il ne pouvait pas vous en donner de meilleures, mon cœur. Remettez votre adorable slip, je vais vous raconter tout cela !

Je prends un ton de compteur à gaz d’autrefois. Genre ceux qui te narraient les Milunuits, avec les quarante violeurs qui l’ont eu dans l’Alibaba, Aladin et sa wonderful Wonder, et autres merveilles à faire mouiller les jeunes filles lympathiques.

— Cette affaire a commencé voici plusieurs mois, au Brésil, dans les environs de Brasilia, pour être précis, où s’étaient réfugiés un savant russe dissident, le professeur Kasetapine de la faculté de Kiev, et sa femme Pedovna Chopplamoa qui était en outre son assistante. Le couple avait inventé un rayon laser à haute performance destiné à provoquer des fissures dans les turbo végétateurs connexes des centrales nucléaires. Il avait avant de fuir la Russie expérimenté son invention à Tchernobyl, et le monde entier a connu les résultats. Le groupe terroriste auquel appartenaient la belle N’Gruyer Râ Pé (alias Manuella Dubois) et les deux monstres japonais ont chargé un dangereux gangster Terry Star (alias Edward Riley), de s’approprier le terrible laser. Riley a mobilisé son équipe, usé de grands moyens et il est parvenu à ses fins.