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— Foutaises, mon bon ! Foutaises. Maintenant, soyez gentil, j’aimerais faire l’amour de nouveau à cette merveilleuse créature d’Outre-Manche ; me croiriez-vous si je vous disais qu’elle a un goût de violette ?

— Oui, monsieur le directeur, je vous croirai, réponds-je ; car, cela, moi je le savais aussi !

Et je sors pendant qu’il rouvre son sous-main matelassé.

TOUT LE MONDE EN SCÈNE POUR LE FINAL

Il m’est masqué par la grande ombre de Berthe penchée sur son chevet comme une baleine sur le lit de son époux venant de se faire éperonner mochement en tournant un riz-mec de Moby Dick.

Elle lui parle. Elle dit, comme ça, en termes empreints de sérénité, mais où l’on sent se coaguler une grandiose irritation :

— Si t’es revenu pour foirer dans l’ sirop, Sandre, vraiment, c’tait pas la peine ! Juste au moment qu’ not’ avocat allait m’obtiendre un fort dédommagement. Y s’ serait agi de plusieurs dizaines de millions. Du coup, on s’ serait eu mis ensemble pour de bon, Alfred et moi, d’puis le temps qu’ ça couve, les deux. Av’c l’argent, j’eusse acheté un appartement à mon nom dans un immeub’. S’lement, à présent qu’ t’es là, ceinture ! Les indemnisances me passent sous l’ nez. Et tout c’ que je vais avoir droit, c’t’un gros con gâteux qui n’ sait même plus reconnaît’ un verre de vin blanc d’un verre d’ beaujolais ! L’eguesistence est dure pour moi, Sandre. J’ai un enfant à élever. Presque veuve, ça va pas êt’ d’ la tarte ! Est-ce tu peux piger ça, dans ta pauv’ tronche sinistrée ?

« Ç’aurait eût été mieux que tu mourrirasses, j’ te le dis franch’ment, sans vouloir te peiner. Mais ce dont j’ tiens, maintenant, c’est de divorcer, Gros. J’ sus t’encore jeune et belle. Dans tout l’épanouissage de mon âge et faut qu’ je profiterole pour refaire ma vie. Toi, pour pousser ta p’tite voiture ou te préparer ta bouillie, tu trouveras toujours quéqu’un d’ bienveillant, telle Maâme Létronsec, not’ voisine du dessus qui passe ses dimanches dans les hôpitals à laver les pinceaux des vieillards âgés. Tu vas plus avoir b’soin d’ beaucoup, Sandre, dans l’état dont tu t’ trouves, mon pauv’ bonhomme. J’ te laisserai tout d’ même le lit, la table de la cuisine et une chaise, plus ton linge personnel ; tu m’ suis, Sandre ? »

— Moui moui, bavoche le Gravos, totalement à la masse.

Il enchaîne avec une phrase peu audible et qu’elle lui demande de répéter.

Ça donne à peu près :

— Chut corps léche cheveux hagarde p’tit.

Elle conjecture, reste dans le flou.

— Redis voir plus lentement, j’ te prille, Sandre ?

Il répète. Elle est tout de même douée car elle pige dans un éclair :

— Tu es d’accord, mais tu veux la garde du petit ?

— Moui, moui. — Mais mon pauv’ malheureux, t’es pas en état d’ l’élever, c’t’enfant !

— Confit raie Amsterdam fée ici, bredouille le cher Gros.

— Tu le confieras à Mme Félicie ?

S’apercevant de ma présence à son côté, la douce maman d’Apollon-Jules m’interroge du regard et de la voix :

— Vous croivez qu’elle consentirerait à l’élever, Antoine, vot’ chère maman ?

— Il est déjà à la maison, ma bonne dame. Et il semblerait qu’il y soit heureux.

— J’ veux pas êt’ plus catholique qu’ l’ pape, soupire l’Ogresse. Si ça peut le rend’ heureux, Béru, je contrariererais jamais sa volonté. C’t’enfant, y s’accrochera à lui, Sandre. Ça l’aidera à surmonter, tandis qu’ moi, pour m’aider à viv’, j’ai la vie, n’est-ce pas, Antoine ? J’ dis pas qu’ mon cœur d’ mère soye à la fête. Y saigne, ça je voudrais qu’ vous l’ vissiez, Antoine. Mais si on se sacrifiererait pas pour l’homme en détresse, on s’rait moins qu’ des animaux. Bon, j’ sus d’accord, Sandre : tu peux l’ garder, c’ chérubin, d’autant qu’avec ma vie active il est entravant. Alors t’es consentant pour un divorce à l’amiab’ comme quoi je garde tout, tout sauf l’enfant, plus une pension alimenteuse ? Tu l’ dis d’vant un commissaire de police, Sandre, t’en es conscient ? Un bon divorce, tu sais, ça n’empêche pas les grands sentiments. J’ te conserv’rai toujours mon culte, comme du temps où tu m’as filé ma première troussée dans la cave à m’sieur Hippolyte, mon patron. Bon, je cours chez l’avocat.

Elle dépose un baiser sur le front de celui qui demeure encore son époux. Me fait un « gouzi gouzi » à distance de ces cinq francforts et se taille.

Un silence. Je prends la place de l’Odieuse près du lit pour contempler le cher gros Béru.

Il est immobile, les yeux ouverts sur le plafond blanc où s’étirent des ombres étranges venues d’ailleurs. Il respire calmement.

— Elle s’est barrée, t’es sûr, l’ grand ?

Sa voix ! Sa chère belle et noble voix, grasse comme une marenne triple zéro !

Se peut-il que ?… Qu’il ait feint ?

— Oui, mon pote. Encore un prodige à Ramadé. Elle m’a enfoncé un doigt dans le cul, un aut’ dans la bouche, elle a dit des mots cannibalistiques, ensute elle a changé l’emplacement des deux doigts en question. Là, elle a crié très fort dans son jargon nègre noir. Le fripon d’ démon qui me vadrouillait dans le cigare a pris les jetons et m’a laissé quimper. A présent, j’ sus t’en pleine bourre, mon drôle.

— Mais, pourquoi as-tu laissé croire à Berthe que ?…

— Pour voir sa rédaction. J’étais certain qu’elle régirait commak, la fumière de salopiote ! Moi, c’ divorce, c’est la grosse aubaine : j’ vais pouvoir marier Antonella Roubignoli et d’venir marquis d’ ce fait. J’ veux pas m’ pousser du col mais j’ai toujours pensé qu’ j’étais fait pour êt’ nob’. Elle a plein de palais partout : j’ vous inviterai, l’équipe. On va baptiser Apollon-Jules et c’est elle qui s’ra marraine, elle eguesige.

— Mais il l’est déjà baptisé, balbutié-je, même que c’est ma mère la marraine et Pinaud le…

Le Gros se met sur son séant.

— Attention, Sana, murmure-t-il, attention, gardons la tête froide. Apollon-Jules a été baptisé en France ! Il ne l’a jamais été en Italie. Y a aucune raison qu’il soye catholique en France et pas en Italie, là qu’habite le Saint-Père, en sus !

Je vais pour commencer une grande conversation théologique quand un bruit s’opère dans la salle de bains.

— Fais pas attention, soupire le Gros : c’est Mathias av’c sa souris napolitaine. Y sont v’nus me passer un bonjour, mais la digue du fion les a bichés et y m’ont d’mandé la permission d’aller limer dans la baignoire. C’tait pas concevab’ qu’ j’ refusasse, t’es bien d’accord ?

Je suis d’accord.

FIN