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Il lève son poignet plâtré.

— J’ai fait ce que j’ai pu. Il a fait ce qu’il a voulu.

Cher Mathias !

Il lèche tant mal que bien sa lèvre éclatée. Et sourit, façon archange gothique.

— Enfin, à compter de ce jour, je peux vous tutoyer et vous appeler Antoine, il n’y a que cela qui m’importe. Tenez ! Pour marquer cette date mémorable, je vous fais l’hommage de mon invention. Voici le premier tube de MA colle spéciale, Antoine. Fais très attention en te vous en servant : c’est une arme !

Je le remercie et glisse le tube dans ma vague. Puis extrais de mon larfeuille la petite capsule prélevée dans les viscères de Lord Kouettmoll.

— A présent, boulot, mon cher Mathias. Cette petite bricole provient de l’intestin d’un noble Anglais assassiné dans l’escalator d’un aéroport. Il est urgentissime que tu l’étudies à fond et me dises ce qu’elle renferme. Le gazier en question est un cousin de la famille royale britannique et son décès brutal risque de faire du tchoum chez les Rosbifs.

— Je m’y colle immédiatement, monsieur le commissaire, soyez tranquille !

Je lui donne une tape amitieuse sur la nuque.

— Tu ne me tutoies déjà plus et continues de me donner du commissaire gros comme le bras ! noté-je en ricanant vilain.

Je sors du labo, m’engage dans l’escalier de fer.

Comme j’atteins l’étage inférieur, j’entends s’ouvrir précipitamment une lourde, la voix exaltée du Rouquemoute, réverbérée par la vaste cage d’escalier, clame à tous les échos :

— Antoine !… Je t’aime !!!!!!

LA PIGE

On achève de déjeuner. Pour m’amorcer, m’man m’a promis une blanquette. Et la voici, onctueuse, de couleur ivoire, avec quelques fines rondelles de cornichon pour parsemer. M’man met toujours un peu de corninche, du citron et beaucoup de crème dans la blanquette. C’est le jaune d’œuf qui lui donne cette patine ivoirine. La viande te fond dans la clape. Je ferme les yeux. Instant royal. Pour le parachever, je bois une gorgée de Côte-rôtie. C’est la félicité totale. La félicité par Félicie ! Toinet a déjà morfilé sa porcif et torche son assiette avec de gros morceaux de pain pour ne rien laisser de la sauce. Il exorbite des lotos !

— Encore ! réclame l’avide.

Heureuse, ma vieille le ressert.

— Ne mange pas si vite, on ne va pas te le prendre ! dit-elle au garnement.

Mais il est déjà en batterie, l’artiste, s’empiffrant comme un sauvage.

— Et l’école, ça carbure ? je lui demande.

Il hausse les épaules :

— Tu croives que c’est l’moment d’causer de ça, Grand, alors qu’on est heureux ?

— Je ne réclame de toi que trois lettres : « oui » ou « non » ?

Il élude en partie :

— C’est médium, comme ils disent dans les restaurants : ni cru, ni trop cuit. Y a du bon, du moins bon, du pas bon.

— C’est quoi, le bon ?

— La gym !

— Le moins bon ?

— Le dessin.

— Et le pas bon ?

— Le reste !

Il avale d’une glottée béruréenne son morceau d’animal mort.

— Tu connais la nouvelle version de Cendrillon, Grand ?

Et sans attendre, il narre :

— C’est Cendrillon qui pleure parce qu’elle voudrait aller rejoindre le Prince Charmant. La fée Marjolaine se pointe, lui file un coup de baguette magique. V’là la môme saboulée de first : collant noir, minijupe, santiags à bouts d’acier. Une Testarossa l’attend devant la lourde. La fée lui dit : « Amuse-toi bien, mais si tu n’es pas rentrée à minuit, ta chatte se transformera en melon. »

— Toinet, voyons ! proteste m’man.

Toinet n’en a cure.

— Ben quoi, c’est la vie ! objecte-t-il. Donc, v’là la môme Cendrillon qui rejoint le Prince. Ils vont dans un restau super-classe. La môme s’efforce de claper sélect pour êt’ à la hauteur. Au dessert, le Prince commande un melon en disant comme quoi, il adore. Fectivement, il oublille ses belles manières et se met à le goinfrer comme un sagouin, en le tenant à pleines mains. Quand il a fini de claper, y demande à Cendrillon

« — Au fait, il faut que vous soyez rentrée à quelle heure ? »

« — Oh ! qu’elle fait, songeuse : vers les quatre, cinq heures du matin ! »

— Toinet ! revient à la charge m’man, tes histoires ne sont pas convenables !

— Une histoire n’a pas besoin d’être convenable, déclare le vaurien, ce qu’il faut, c’est qu’elle soye drôle !

Il a déjà tout pigé, l’artiste.

Et puis voilà qu’on sonne à la grille, Maria, l’Ibérique-de-mon-corps, vient confirmer le fait.

— Allez voir ce que c’est, soupire Félicie. Mais si c’est Monsieur qu’on demande, répondez qu’il est occupé.

Pressentant une couillerie, je me mets à dévorer la blanquette pour profiter de mes derniers instants de liberté. Toinet, ravi que l’on fasse l’impasse sur sa vie scolaire, m’imite.

Retour de l’ancillaire inépilée, porteuse d’un pli.

— C’esté ouna dame ! annonce-t-elle, qu’elle vient dé la part dé vostre director.

Je saisis le message dont l’enveloppe est frappée du sceau d’Achille.

L’éventre.

Lis :

Cher San-Antonio,

Je vous adresse Mlle Violette Lagougne, que vous avez connue à Riquebon. J’ai parachevé moi-même sa formation professionnelle et la juge performante. Prenez-la comme auxiliaire dans la délicate enquête qui vient de vous échoir.

Cordialement.
(signé illisible, mais sur dix centimètres de long)

Un grattouillis me dermifuge de la cave au grenier. Seigneur ! Que m’arrive-t-il ! Violette, l’ancienne contractuelle levée par Bérurier ! Violette, la boulotte, la rouquine, la saute-au-paf tout-terrain qui se fait aussi bien les gonzesses que les mecs ! Violette la violeuse. Elle, mon adjointe ! A moi, si élégant, si racé, si tout !

— Demandez-lui d’attendre dans le petit salon, Maria !

L’Espingote me virgule un long regard passionné, qui, s’il était une langue, me ferait feuille de rose.

Je me carre un nouveau godet de Côte-rôtie, breuvage ineffable de la somptueuse vallée du Rhône.

— La meilleure blanquette de ta vie, m’man ! assuré-je en essuyant mes lèvres.

Elle pâme d’aise.

— Tu me dis cela à chaque fois, Antoine.

— Parce que c’est chaque fois vrai, ma chérie. Tu progresses implacablement.

J’ouvre la porte doucement. Je découvre un tailleur pied-de-poule à col de velours, une paire de jambes admirables, des chaussures Kélian. Quant au visage, il m’est provisoirement dérobé par une édition du Voyage au bout de la nuit illustrée par Tardi.