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Je toussote. Le Voyage descend jusqu’aux genoux de la lectrice et mon souffle se met à ressembler à celui d’une vieille machine à vapeur partant à l’assaut de la cordillère des Andes au temps de Pancho Villa.

Violette !

Oui, bien sûr, c’est elle.

Elle, indéniablement. Mais elle, autrement. Elle, moins dix kilogrammes, elle, non plus rousse ardente, mais blonde vénitienne (si je puis dire). Elle, au visage mieux fardé que celui d’une star hollywoodienne. Elle, élégante et dotée de manières exquises.

— Violette…, bafouillé-je-t-il.

Elle dépose le bouquin sur une table basse et me tend la main.

— Je suis ravie de vous revoir, commissaire.

Je lui chipe la dextre, la malaxe en hésitant à m’embarquer dans un baisepogne Grand Siècle.

Ne serait-ce pas de la confiture de roses accordée à une gorette ?

Que non point ! Le Vieux a admirablement joué les Pygmalion et fait du boudin de naguère le plus raffiné des caviars. Le parfum délicat de la donzelle me titille l’olfactif agréablement. Son regard est spirituel, son maintien irréprochable. Je plonge pour la bisouille furtive. Elle-même tient sa pattoune levée gracieusement.

— Quelle somptueuse transformation ! exulté-je. Mes compliments, Violette.

— Merci de l’avoir remarqué, commissaire. Mais le mérite en revient à ce magicien d’Achille qui s’est piqué au jeu pour faire de la grosse gourde dévergondée que j’étais, une femme à peu près convenable.

Elle me vote un éclatant sourire carmin qui décou-vre un somptueux collier à paf.

— Achille m’estime opérationnelle et souhaite que vous m’acceptiez pour collaborer à l’enquête concernant l’assassinat du Lord anglais. Avec son goût pour le romantisme, il a décidé de baptiser cette affaire : « Cousin frileux. »

— Pourquoi « frileux » ?

— C’est la question que je me suis permis de lui poser ; il m’a répondu assez sèchement : « Parce que ».

— C’est toujours la meilleure explication qu’un chef peut fournir à ses subordonnés, ris-je.

Elle décroise ses admirables jambes pour les recroiser dans l’autre sens.

Ah ! comme le Dabe a bien fait les choses ! Elle porte des bas, un porte-jarretelles, une exquise culotte noire festonnée de dentelle rose. Le haut de gamme de l’excitante.

— Vous prendrez bien quelque chose, Violette ?

Le rêve serait qu’elle me répondre « Oui : un coup de bite ! », mais le style a changé.

— Si vous buvez du café après votre repas, j’en accepterais volontiers une tasse, commissaire.

— Appelez-moi Antoine.

— Je préfère pas : ce ne serait pas convenable ; le respect de la hiérarchie conditionne l’efficacité des armées.

Mazette ! Il a fouillé la « formation » de sa protégée, le Chilou. Quel remarquable chef du protocole il aurait fait !

— Vous voyez toujours Alexandre-Benoît ? m’enquiers-je.

Elle crispe un peu des labiales.

— Ce poussah ! Oh ! commissaire, je compte bien me faire des relations plus huppées ! Il appartient à un passé que je vais devoir occulter de ma mémoire. Mais l’oubli est notre principal atout, à nous autres femmes. L’homme s’attarde sur le passé, tandis que la femme se gave du présent. Bon, cela dit, souhaitez-vous que nous commencions à parler de « Cousin frileux » ? Achille m’a communiqué le dossier ce matin et, avant de venir vous trouver, je me suis livrée à quelques investigations.

Elle sort de son sac à main un minuscule bloc de papelard à reliure spirale dont elle a noirci les premiers feuillets. Elle les consulte rapidement, puis déclare d’un ton uni, calme et minutieux :

— « Cousin frileux » avait sur lui son billet d’avion et sa carte d’embarquement. Il allait prendre le vol de 9 heures 5 pour Athènes. La personne qui l’a exécuté a fatalement pris un avion aussi puisqu’elle a perpétré son assassinat dans la zone située après les formalités de police. Si elle ne l’avait pas pris, il y aurait eu des appels puisqu’elle s’était forcément enregistrée et son vol ne serait pas parti sans un contrôle des bagages sur l’aire de départ ; vous connaissez le processus.

Dis donc, elle a l’air d’en avoir dans le cigare, la mère ! Et quand le Vieux la juge « performante », il ne se berlure pas.

Violette poursuit :

— Le tueur de « Cousin frileux » devait avoir hâte de quitter l’aéroport ; voire le territoire français une fois son « contrat » rempli. Il m’est donc venu à l’esprit qu’il s’est embarqué rapidement, non dans l’avion du « Cousin », puisque la mort de celui-ci allait en retarder le départ, mais à bord d’un autre appareil au décollage imminent. Le plus proche départ après l’avion pour Athènes est celui de l’avion pour Istanbul à 9 heures 15. Comme les témoignages sont une denrée de brève consommation, je me suis rendue à l’aéroport et j’ai demandé à parler aux préposés, hommes et femmes, qui, hier matin à 9 heures, assuraient le contrôle des bagages à main et des passagers aux appareils détecteurs de la salle d’embarquement pour Istanbul. Comme la matinée d’hier était ensoleillée, je leur ai demandé s’ils avaient souvenance de passagers nantis de parapluie ou de canne. Evidem-ment, c’est le genre de détail qui ne laisse guère de trace dans la mémoire.

« Toutefois, deux des quatre policiers en service se sont rappelés un religieux à col romain et croix — d’argent qui s’aidait d’une canne pour marcher. L’arceau magnétique a sifflé lorsqu’il est passé. Il a alors tendu sa canne à l’un des flics en lui expliquant que l’embout de celle-ci étant métallique, la chose se produisait à chaque fois. Il a repassé l’arceau sans déclencher d’alarme et on lui a restitué sa canne perturbatrice. Je me suis fait donner un signalement le plus précis possible de l’homme en question. Il portait un costume gris foncé, était âgé d’une cinquantaine d’années, avait de l’embonpoint, surtout dans la région de l’abdomen, des cheveux presque blancs, le nez épaté et une paupière tombante. J’ai aussitôt communiqué ces renseignements à l’Identité judiciaire et ils travaillent dessus. »

Me voilà médusé de haut en bas. Tu parles d’une guerrière ! Non mais, elle va me faire la pige, Violette, si elle continue sur cette lancée.

— Vous irez loin ! ne puis-je m’empêcher de murmurer.

Elle sourit :

— En tout cas, jusqu’à Istanbul, n’est-ce pas ?

LA BITE SOUS LE BRAS

Tout en alexandrins ! Fallait le faire !

Ça commençait comme ça :

Les jeunes folles pubères à la chatte torride.

Et c’était plein de frifris, de moules, de cramouilles, de chaglattes, de craquettes.

Il m’avait adressé son manuscrit en m’implorant une préface. Devant cette avalanche de sexes féminins, je le lui avais retourné, agrémenté de l’avant-propos ci-après : « Un livre cons. »

Il avait trouvé ça génial « venant de moi » et avait fait imprimer le chef-d’œuvre à compte d’auteur chez un bas requin de l’édition, un de ces écumeurs d’adolescents transis, d’instituteurs inspirés, de dames mal baisées, de retraités désœuvrés soucieux de « laisser une œuvre » avant d’aller se faire offrir des chrysanthèmes à la Toussaint. La couverture était rose (cucul la) praline, ornée d’un cul-de-lampe représentant un soutien-gorge en forme de deux cœurs. Il m’avait torché un envoi pas piqué des hannetons : « Au Grand San-Antonio, sans qui rien ne serait. » La formule était un peu déifiante et devait flatter ma vanité ; elle ne fit qu’ajouter à mon désarroi, car je regrettais de trouver mon nom sur cette plaquette insalubre.