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— C’est vrai, reconnaît le Daron : il est enfoncé ! Vous savez que ça a été machinal.

Une vieille chanson française de papa me revient en mémoire :

On a fait ça machinalement Sans savoir comment…

C’est bête, hein ?

BOUQUET FINAL

Il s’en est bien tiré, Achille.

Pas d’exécution, pas de révocation. Il continue sa « mission ». Les Britiches ont rengracié quand ils ont eu la preuve que les deux tueurs étaient bel et bien décédés de la typhoïde dans une villa des environs d’Istanbul (de gomme). Tu veux que je te dise, ces cons ? Ils s’imaginaient qu’à son arrivée en France, Lord Kouettmoll avait refilé la capsule à un correspondant. Ayant reçu le cadavre dans un beau cercueil à manettes de bronze doré, ils ont fouillé ses fringues mais ne se sont même pas avisés qu’on l’avait autopsié. Tu penses ! Jamais ils auraient imaginé qu’un cousin de la reine se serait placardé ces plans dans l’oigne !

Quant aux Japs, lorsque Achille leur a remis les plans et la capsule, ils ont simplement murmuré : « O ku », ce qui veut dire O.K. en japonais.

A notre demande, et sous la menace d’une démission collective, le Vieux s’est rendu en personne chez les Blanc pour présenter ses excuses à Jérémie et le supplier de reprendre sa lettre de démission. Ça s’est arrangé. Il y avait grand méchoui chez nos amis. Il y est resté et, aux dires du Noiraud, s’en est fourré ras le faux col ! Il a été très sensible au charme discret de Cadillac V 12, la jeune sœur de Jérémie, dont il voudrait faire une « Marie Pervenche ». Affaire à suivre.

Violette a été nommée « conseillère privée » de notre éminent patron. Son odeur de violette l’ensorcelle, que veux-tu qu’on y fasse ?

Béru est parti en croisière avec les Pinaud tandis que sa Berthe aide leur pote Alfred, le coiffeur, à emménager dans un salon ultramoderne proche des Champs-Elysées. Il est question qu’elle dirige le département « soins de beauté pour messieurs ». Le Gros compte, à l’escale d’Istanbul, aller remettre à Cathy l’onguent de jeune fille de Berthe, très efficace dans les cas de « pot défoncé ». Il est à base de suif, de teinture d’iode et d’huile d’olive vierge ; c’est une recette de famille mise au point par la grand-mère de Berthe qui fut, jadis, violée par un chleuh.

Moi, je regarde couler la vie à travers les vitres du petit restaurant où Mathias m’a fixé rendez-vous, très mystérieusement.

Il pleut, Paname grisaille. Sur le trottoir, un vieux type couperosé, à poils blancs, fait pisser son chien : un autre corniaud, mais à poils noirs, lui !

Le loufiat qui ressemble à Daniel Prévost me demande si j’aimerais un « p’tit apéro en attendant ». Je lui réponds « qu’oui : un kir ». Là-dessus, Mathias entre : imper, chapeau très con, à petit bord, sculpté dans du tissu écossais ; le tout ruisselant. Il s’en défait, redevient un incendie vivant et s’approche, la main tendue.

— Bonjour, commissaire, je suis en retard ? Excusez-moi.

— C’est moi qui étais en avance. Tu ne me tutoies plus ?

Il sourit.

— J’avais oublié.

— Mon Dieu ! Déjà ?

Il hausse les épaules.

— A vrai dire, je ne le sens plus. Je crois que vous m’impressionnez trop. Par instants ça va, j’ose, et puis à d’autres moments, le « tu » me reste dans le gosier comme un os de lapin. Cela dit je vous… je te remercie d’avoir accepté mon invitation. Ce bistrot est modeste, mais on y bouffe des plats canailles comme vous tu les aimes !

Il s’installe, commande un kir également.

— Je tenais à me mettre à jour vis-à-vis de toi, Antoine. Je ne peux pas te faire de cachotteries.

— A quel propos ?

— Mon décrypteur au sujet duquel j’ai tant fait de mystères. Il s’agit d’un vieux savant nazi condamné à mort par contumace et qui se planque en France depuis la Libération. Comme il est accusé de crimes contre l’humanité, son « affaire » est imprescriptible. J’ai fait sa connaissance il y a longtemps, fortuitement. Malgré son passé, nous avons sympathisé et nous travaillons beaucoup ensemble. C’est un génie…

Pigé ! La plupart des fumants gadgets du Rouillé sont dus au Boche ! C’est lui qui les invente et Xavier qui les réalise. Je ne bronche pas.

— Vous comprenez, com… Tu comprends, Antoine, que, dans ces conditions, il m’était impossible de le livrer ?

— Je comprends tout à fait.

Un temps. Le serveur nous présente deux menus écrits à la main sur des bristols à allure de parchemins.

Je me cache derrière le mien pour demander :

— Il a eu le temps de déchiffrer les six mètres de papelard ?

— Oui.

— On peut savoir ?

A son tour, Mathias dissimule sa frimousse carotte derrière son document riche en « andouillettes A.A.A.A. » grillées, en tête de veau ravigote, boudin aux deux pommes, ris de dévot à l’ancienne et autres folies calorifiques.

— Du bidon !

Du coup j’abats mon paravent alléchant :

— Pardon ?

Il agit de même.

— Un leurre, Antoine. De la poudre aux yeux.

— Tu te fous de moi !

— Non ! Attendez. Le document ne rimait à rien, mais ce qui importait, c’était la capsule. Elle constituait l’échantillon d’un nouvel alliage qui, aux dires de mon Allemand, va tout révolutionner. Plus léger que le plastique, plus résistant que l’iridium, son exploitation bouleversera les techniques. Une nouvelle ère va remettre en question l’industrie !

— Merde ! Et nous aurons eu cela dans le creux de la main ! Et, une fois de plus, cette découverte nous passe sous le pif !

Mathias tire son portefeuille de sa poche, y prend une enveloppe pliée en deux, me la tend.

— Sa formule est là-dedans, Antoine. A toi de jouer !

Je glisse prestement l’enveloppe dans ma fouille, comme si elle allait mobiliser l’attention et la cupidité des populations. Mon cœur bat le tocsin. J’ai la gorge serrée comme un anus de fourmi.

— Ton vieux Boche, coassé-je ; il a quel âge ?

— Quatre-vingt-huit balais.

— Alors couvre-le bien, qu’il prenne pas froid !

FIN